Charte de Global Chance


Cette charte a été publiée en décembre 1992 dans le premier numéro de la revue Les Cahiers de Global Chance.

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MOTIVATIONS

Dans un monde marqué par des inégalités croissantes, on assiste depuis quelques années à une prise de conscience nouvelle des effets des activités humaines sur l’environnement global (« global change ») :
• Changements climatiques dûs à l’effet de serre ,
• Appauvrissement de la biodiversité végétale et animale,
• Dégradation des sols,
• Désertification et raréfaction des ressources en eau,
• Pollution des océans,
• Destruction de la couche d’ozone,
• Risque de prolifération nucléaire et accumulation de déchets radioactifs à très longue durée de vie,
• etc...

Cette situation est aujourd’hui largement attribuable au mode de développement de la planète depuis deux siècles.

Les pays du Nord portent en particulier une double responsabilité globale vis-à-vis de l’humanité puisqu’ils ont déjà prélevé pour leur développement une part significative des ressources de la planète et contribué de façon majoritaire à l’accumulation des rejets responsables des atteintes à l’environnement.

La situation actuelle comporte des menaces. La prise de conscience de ces menaces engendre à la fois des risques de régression et des chances d’avancée pour l’humanité.

Le but que se fixe Global Chance est de tirer parti de la prise de conscience de ces menaces pour promouvoir les chances d’un développement mondial équilibré.

LES RISQUES

Devant ces menaces, il existe plusieurs types de comportement qui constituent des risques de régression pour l’humanité :

• Le risque de voir se développer une attitude purement fataliste, "après moi le déluge", qui conduirait, en oubliant les générations futures, à privilégier au Nord comme au Sud son propre développement et sa consommation sans prendre en compte l’environnement.

• Le risque d’une attitude plus volontariste “d’apartheid” des pays du Nord vis-à-vis des pays du Sud qui repose sur la priorité accordée à la préservation du mode de vie occidental, malgré ses conséquences sur l’environnement global.

Comme le développement des pays du Sud implique une forte croissance des besoins, même en cas de modération de la croissance démographique, il conduit inéluctablement, à technologies inchangées, à des prélèvements de ressources non renouvelables et à des rejets rapidement insupportables pour la planète. Consciemment ou non, la sauvegarde de la planète conduit alors à refuser de fait le développement des pays du Sud.

Une telle attitude conduirait à la réactivation d’une confrontation Nord-Sud excluant de fait tout esprit de coopération ; la confrontation risquerait de s’étendre aux pays du Nord dont les intérêts divergent (USA, Europe, Japon) et à ceux du Sud (pays en réel développement d’Asie ou d’Amérique Latine et pays en stagnation d’Afrique), et à l’intérieur même de chaque pays avec le développement d’une société à deux vitesses. Une telle confrontation s’appuierait très naturellement sur les nationalismes culturels, économiques mais aussi technologiques qu’elle contribuerait elle-même à renforcer.

• Le risque d’un intégrisme écologique venant prendre le relai des idéologies humanistes collectives du 19ème et du 20ème siècle qui s’essoufflent aujourd’hui. Intégrisme de certains qui rêvent du retour individuel à la terre, ou de ceux qui proposent d’asservir l’homme au profit de la Nature et de sa préservation. La première attitude trouve sa justification dans la morale, mais ne trouve pas de traduction opérationnelle sous forme d’action collective à la mesure des menaces et des enjeux. La seconde dénie l’humanisme au nom d’un concept supérieur, la Nature.

• Le risque d’amplification de la croyance en la possibilité de réponses uniquement fondées sur la science et la technique, évacuant le double danger de nouvelles nuisances plus graves et de rapport de domination encore plus inégalitaires.

LES CHANCES

Mais la prise de conscience de ces menaces pour l’environnement global peut aussi devenir la source de chances nouvelles à saisir par et pour l’humanité : nouvelles solidarités géographiques et inter-générationnelles, nouvelles marges d’action. Il n’y a pas de raison d’attendre que tout le monde s’y mette pour commencer à agir.

La connaissance croissante des conséquences physiques de nos actions sur l’environnement global de l’ensemble des pays de la planète est peut-être une chance unique de prise de conscience de notre interdépendance profonde. Il existe là un gisement nouveau de solidarités à explorer et à exploiter, d’expérimentation d’un mode de vie plus convivial.

Ce pari de solidarité justifie le choix d’un objectif de “développement soutenable” de l’humanité sur les cinq continents à atteindre avant 2100. Il est potentiellement porteur de facteurs nouveaux de consensus et de synergie.

Un tel objectif suppose :

• Le développement réel de l’ensemble des pays du monde dans une perspective humaniste (égalité des droits et dignité de tous les êtres humains),

• Le choix d’une méthode démocratique comme principe supérieur de l’action,

• Le retour à un équilibre avec la nature, certes différent de celui que nous connaissons aujourd’hui, mais qui n’apparaisse pas comme incompatible avec le développement humain. Cette condition implique donc, après une phase transitoire :
i) des prélèvements globaux mineurs et décroissants de ressources non renouvelables,
ii) des rejets nuls ou mineurs d’éléments non recyclables (sur des durées de l’ordre de quelques générations) dans les processus de la nature.

Cette démarche permet à la fois :

• d’interpréter la situation actuelle et de dresser un bilan constructif du passé et de ses responsabilités par rapport aux exigences de l’avenir,

• d’exercer une fonction critique indispensable vis-à-vis de différentes options stratégiques,

• de placer en perspective les avancées technologiques et de fournir une référence à l’orientation des recherches techniques et sociales,

• de tracer des chemins convergents à partir de situations actuelles très contrastées,

• de donner son sens à des initiatives qui apparaissent aujourd’hui comme dispersées, voire antinomiques,

• de fonder les solidarités institutionnelles, culturelles, sociales, techniques et économiques entre et à l’intérieur même des sociétés du Nord et du Sud et cela dans une perspective inter-générationnelle.

EXPLICITER ET PROMOUVOIR LES CHANCES GLOBALES

Nous affirmons :

• que le développement des pays pauvres est à la fois une exigence morale et une nécessité géopolitique,

• que le ralentissement de la croissance démographique des pays du Sud ne peut pas être déconnecté de leur développement,

• que le développement des pays riches doit faire l’objet d’une profonde révision économique, sociale et écologique.

Nous tenons pour acquis :

• le risque d’un réchauffement du climat lié aux émissions de gaz à effet de serre,

• l’impossibilité de considérer aujourd’hui l’énergie nucléaire, présentée par ses promoteurs comme susceptible d’éviter le problème de l’effet de serre, comme une stratégie mondiale de remplacement énergétique, notamment du fait des risques de prolifération et des incertitudes liées au cumul des déchets radioactifs,

• la possibilité de mettre en œuvre des stratégies de développement durable, notamment fondées sur l’efficacité énergétique, le recours aux ressources renouvelables et de nouvelles pratiques agricoles.

Dans ces conditions et sur la base des objectifs constructifs à long terme précédemment décrits, Global Chance se propose de mettre les compétences scientifiques de ses membres au service de :

• la mise sur la place publique d’une expertise multiple et contradictoire,

• l’identification, l’explicitation, la critique et la promotion de réponses collectives nouvelles et positives aux menaces de changement global, dans les domaines scientifique et technique, économique et financier, politique et réglementaire, social et culturel,

dans un esprit de solidarité Nord-Sud, d’humanisme et de démocratie.