Page publiée en ligne le 1er octobre 2012
Sur cette page :
Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire (présentation - SdN)
La catastrophe (introduction - SdN)
Accident nucléaire : l’inacceptable pari (Bernard Laponche, 9 juin 2012)
À voir également sur le site (publications et dossiers thématiques)
Télécharger l’article de Bernard Laponche dans sa mise en page d’origine (pdf, 135 Ko)
ATOMES CROCHUS : ARGENT, POUVOIR ET NUCLÉAIRE
Le Réseau « Sortir du nucléaire », en association avec la Compagnie théâtrale Brut de béton production, organise ses secondes Journées d’études et de propositions les 3 et 4 novembre 2012 à Clermont-Ferrand autour du thème « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire ».
Le journal Atomes crochus a été publié pour engager les Journées d’études. Il donne de multiples informations pour peser sur l’enjeu de cette thématique et ouvrir le débat à travers de nombreux articles. L’énergie nucléaire est-elle vraiment bon marché ? L’énergie nucléaire est-elle directement liée au pouvoir ? Qui a mis en place la politique atomique de la France et sur quels réseaux s’appuie-t-elle ? Et si le nucléaire n’était plus rentable pour personne ?
16 pages couleur - format A3
Téléchargement : Atomes crochus (pdf, 2 Mo)
LA CATASTROPHE
La catastrophe nucléaire a une définition technique : un accident de niveau 7 dans l’échelle INES (International Nuclear Event Scale) encore appelé accident majeur et impliquant « des effets considérables sur la santé et l’environnement (*) ».
Derrière cette définition se cache une réalité humaine, écologique et économique :
Humaine : la catastrophe nucléaire menace l’espèce humaine tout entière et cela sur des générations. En même temps elle rappelle que le nucléaire est une épée de Damoclès qui peut, en un instant, en terminer avec notre espèce.
Écologique : la catastrophe nucléaire dégrade en profondeur l’environnement et reproduit, à l’échelle humaine, ce que la nature effectue à des échelles cosmiques.
Économique : la catastrophe nucléaire a un coût sans commune mesure
avec les coûts supportés par les autres industries. Elle peut coûter, en un instant, l’équivalent de l’ensemble des dépenses depuis les origines de l’industrie nucléaire.
Il y a eu quatre accidents majeurs depuis 30 ans et, pour citer le directeur général de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, Jean-Christophe Niel : « Personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais d’accident nucléaire en France [le terme « accident » correspond à notre terme « catastrophe »] (...) Nous savons aujourd’hui que l’improbable est possible. (...) Beaucoup pensent que Fukushima est derrière nous, mais c’est en fait devant nous. (**) »
(*) Voir le document de l’ASN « Les échelles de classement des incidents et accidents nucléaires et des événements en radioprotection dans le cadre de radiothérapies ».
(**) Présentation à la presse du détail des prescriptions de l’ASN aux exploitants du parc nucléaire français suite à son rapport de janvier pour améliorer la sûreté du parc nucléaire français (L’Usine nouvelle, 28 juin 2012).
ACCIDENT NUCLÉAIRE : L’INACCEPTABLE PARI
Bernard Laponche, in « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire », Réseau Sortir du Nucléaire, juillet 2012
1. Accident nucléaire grave et accident nucléaire majeur
Des dispositifs considérables sont nécessaires pour que, en toutes circonstances, les éléments radioactifs contenus dans les éléments combustibles d’un réacteur nucléaire ne puissent s’en échapper et, par conséquent, irradier ou contaminer les travailleurs de la centrale, les populations et l’environnement (atmosphère, terrains et végétation, eaux).
Dans les réacteurs à uranium enrichi refroidis et modérés à l’eau qui équipent la plupart des centrales nucléaires dans le monde, cette protection est assurée par trois barrières : les gaines des combustibles, la cuve en acier contenant le réacteur et une enceinte de confinement en béton, simple ou double.
En fonctionnement normal, la gaine du combustible constitue effectivement une barrière totalement étanche. Par contre, les deux autres barrières sont traversées par de nombreuses « portes de sortie » : circuit primaire de circulation de l’eau dans les réacteurs à eau sous pression (qui équipent toutes les centrales nucléaires en fonctionnement en France) qui va dans les échangeurs de vapeur (multitude de tubes à fine paroi), circuit direct de vapeur jusqu’à la turbine dans les réacteurs à eau bouillante (comme ceux de la centrale de Fukushima), passages pour les barres de contrôle nécessaires pour l’arrêt de la réaction en chaîne, quantité de vannes et de soupapes.
L’accident grave est un accident au cours duquel les combustibles nucléaires sont significativement dégradés par la détérioration des gaines du combustible et une fusion plus ou moins complète du cœur du réacteur (ensemble des combustibles). Dans un réacteur nucléaire à eau, pressurisée ou bouillante, l’accident grave se produit du fait de la perte de refroidissement des éléments combustibles. Un tel accident peut résulter soit de la rupture de la cuve du réacteur ou d’une tuyauterie du circuit primaire, soit d’une défaillance totale du système de refroidissement, normal ou de secours. C’est ce qui s’est passé à Three Mile Island (États-Unis) en 1979, mais il n’y a pas eu de dispersion importante d’éléments radioactifs dans l’environnement. Cet accident a cependant marqué un coup d’arrêt du nucléaire aux États-Unis.
L’accident majeur est un accident grave non maîtrisé conduisant à d’importants relâchements de radioactivité dans l’environnement : dans ce cas, les deux barrières au-delà de la gaine sont également défaillantes et ne parviennent pas à contenir les éléments radioactifs à l’intérieur du réacteur.
Les possibilités de combinaison de différentes causes sont très nombreuses dans une dynamique d’accident : défaillances matérielles (milliers de systèmes électriques, électroniques et mécaniques) ; défaillances humaines (erreur de conception, incapacité de répondre à des événements imprévus, manque de transmission des compétences, carences dans le contrôle et la maintenance) ; agressions externes accidentelles (séisme, tempête, inondation, incendie, accident industriel extérieur à la centrale) ; actes de malveillance ou de sabotage (notamment informatique) ; conflits armés.
Depuis l’accident de Tchernobyl en 1986, on sait que l’accident majeur d’un réacteur nucléaire a des conséquences dramatiques, aussi bien sur la vie et la santé de centaines de milliers d’individus que sur l’environnement, et sur des zones très étendues. À Fukushima, trois réacteurs ont subi un accident majeur du fait de la perte de tous les moyens de refroidissement du cœur. Il est trop tôt pour faire un bilan complet des conséquences sur les travailleurs du site et les populations environnantes comme sur l’environnement terrestre et marin. Mais on sait que les conséquences sur les populations ont été réduites par le fait que le vent a poussé vers l’océan Pacifique une part importante du nuage radioactif résultat de l’explosion survenue dans le réacteur. Si le vent avait soufflé dans le sens opposé, la zone de Tokyo aurait été touchée et il aurait fallu envisager l’évacuation de sa population (35 millions d’habitants). Les conséquences des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima s’étendent dans le temps et dans l’espace.
De tels accidents ont été longtemps réputés d’une probabilité tellement faible qu’ils étaient de fait considérés comme impossibles. Et pourtant les avertissements et les études critiques n’ont pas manqué. En France, depuis le démarrage de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), premier site électronucléaire mis en service en 1977, se sont produits de nombreux dysfonctionnements qui laissent imaginer l’occurrence d’un accident grave. Trois exemples peuvent être aujourd’hui donnés : l’erreur de conception du circuit de refroidissement à l’arrêt des réacteurs du palier N4 (quatre réacteurs de 1 450 MWe des centrales de Civaux et Chooz) constatée en 1998 ; l’inondation de la centrale du Blayais par la tempête de décembre 1999, qui a noyé des pompes et des circuits électriques de secours pendant des heures ; le blocage possible en cas d’accident des vannes des circuits de refroidissement de secours des réacteurs du palier P4 (douze réacteurs de 1 300 MWe des centrales de Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent-sur-Seine et Penly) constaté en 2001.
2. Un accident nucléaire majeur est loin d’être improbable
L’évaluation de la sûreté des centrales nucléaires actuelles est fondée sur une approche probabiliste. L’objectif de la doctrine de sûreté française a toujours été affiché comme la recherche d’une conception et d’un contrôle permettant de garantir que la probabilité d’un « accident grave », avec destruction importante et fusion du cœur, reste inférieure à 10exp-5 (1/100 000) par réacteur et par an, et celle d’un « accident majeur », accident grave non maîtrisé conduisant à d’importants relâchements de radioactivité, reste inférieure à 10exp-6 (1/1million) par réacteur et par an.
Le risque d’accident majeur dans une centrale nucléaire a été généralement considéré comme la combinaison d’un événement d’une gravité extrême et d’une très faible probabilité d’occurrence. Les promoteurs du nucléaire, mettant en avant cette très faible probabilité, affirmaient « qu’il n’y avait aucun danger ». Si la gravité des conséquences d’un tel accident a bien été confirmée par Tchernobyl et Fukushima, que peut-on dire aujourd’hui de la possibilité de son occurrence ?
Le parc mondial actuel de centrales nucléaires étant d’environ 450 réacteurs ayant fonctionné pendant 31 ans, ce qui correspond à 14 000 « année.réacteur » (1), la probabilité affichée d’un accident majeur conduit à 0,014 accident majeur possible pour l’ensemble du parc et pour cette durée de fonctionnement (14 000/1000 000 = 0,014). Résultat très faible : l’accident majeur serait donc extrêmement improbable, voire impossible.
Mais, sur ce parc, quatre réacteurs ont connu un accident majeur (un à Tchernobyl et trois à Fukushima). L’occurrence observée nous indique donc que le nombre d’accidents, quatre, a été environ trois cent fois supérieur (4/0,014 = 286) à ce qui était « attendu » sur la base du calcul théorique des probabilités.
Cet écart est considérable. Il nous montre que le calcul de probabilités est incapable de prendre en compte tous les facteurs de risque et en particulier le facteur humain, les phénomènes climatiques considérés comme impossibles, les actes de sabotage par des méthodes inconnues ou sous estimées, voire les actes de guerre, et surtout la combinaison de différentes causes, ce qui se passe toujours dans un accident de ce type. On est donc très loin de l’accident très improbable. Et cela, sans prendre en compte les piscines de stockage des combustibles irradiés, les usines de production et d’utilisation du plutonium, les transports et stockages des déchets radioactifs. La réalité constatée remet profondément en cause l’approche probabiliste de la sûreté nucléaire.
Il y a eu quatre accidents majeurs dans le monde depuis trente ans : c’est un avertissement sérieux pour l’Union Européenne (143 réacteurs début 2011) qui représente un tiers du parc mondial et pour le parc français (58 réacteurs) qui en représente 13%.
Deux citations sont à mettre en regard pour apprécier les risques actuellement encourus sur le parc nucléaire français.
D’une part, l’Institut de recherche sur la sûreté nucléaire, IRSN, définit dans son rapport « R&D relative aux accidents graves dans les réacteurs à eau pressurisée : bilan et perspectives » (2) ce que l’on entend par accident grave et présente l’objectif des recherches sur la sûreté relative à cet accident. On y lit :
« La recherche concerne les réacteurs en fonctionnement et les réacteurs futurs. Les phénomènes de base sont les mêmes pour les réacteurs à eau sous pression actuels ou en projet. Toutefois, dans le cas des centrales existantes, les accidents graves n’ont pas été considérés lors de leur conception. Les modifications envisageables de l’installation sont donc restreintes et les recherches menées dans ce cadre ont essentiellement pour objectif de trouver des moyens de limiter les conséquences d’un éventuel accident grave ».
D’autre part, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, ASN, a déclaré lors de son audition parlementaire du 30 mars 2011 :
« La position constante de l’ASN a toujours été la suivante : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais en France un accident nucléaire. Je dis ce que je dis, et je répète une position constante de l’ASN française ».
La nature même des réacteurs nucléaires qui produisent en leur sein des matières radioactives extrêmement dangereuses, couplée à l’impossibilité de garantir la maîtrise de la machine en toute circonstance (imaginable ou inimaginable) conduit logiquement à abandonner cette technique de production d’électricité, comme l’ont décidé les Allemands pour cette raison même.
3. Conclusion
L’intérêt de l’utilisation d’un réacteur nucléaire pour équiper des centrales de production d’électricité est que, par la combinaison de la fission des noyaux d’uranium et de la réaction en chaîne, cette technique permet de produire de la chaleur et, à partir de là, de l’électricité, comme dans une centrale thermique classique, à charbon par exemple. Mais cette production de chaleur, du fait de la fission, produit des matières radioactives extrêmement dangereuses dont il faudrait garantir qu’en aucun cas, elles ne s’échappent du réacteur.
Personne ne peut garantir qu’en toute occasion et en tout lieu l’accident nucléaire majeur ne se produira pas.
Quelques jours seulement après l’accident de Fukushima, dans un grand quotidien français, quatre fervents supporters des centrales nucléaires ont écrit cette phrase terrible qui condamne à elle seule leur propre cause : « Il existera toujours et partout un scénario dans lequel une catastrophe comme celle de Fukushima pourra se produire ». Phrase au futur et non au conditionnel. Ainsi, il faudrait que l’humanité s’habitue à de telles catastrophes, « de temps en temps » (tous les dix ans ?) tantôt dans un pays, tantôt dans l’autre, le rythme d’occurrence s’accroissant probablement avec le nombre des pays qui choisiraient de construire des centrales nucléaires.
On est ainsi passé de l’accident impossible à l’accident inévitable et, de fait, à l’acceptation implicite de son occurrence au nom de « l’obligation » de poursuivre l’utilisation de la technique des réacteurs nucléaires. Et l’on fait chaque jour le pari que, chez soi tout au moins, l’accident ne se produira pas. Ce pari est inacceptable.
Il est temps que ceux qui nous gouvernent prennent conscience de cette responsabilité.
Bernard Laponche est polytechnicien, docteur ès sciences en physique des réacteurs nucléaires, expert en politiques de l’énergie et de maîtrise de l’énergie, membre de l’association Global Chance.
Notes
(1) Année.réacteur : 1 année de fonctionnement d’1 réacteur.
(2) La Documentation française, janvier 2007. Rapport rédigé conjointement par l’IRSN et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique).
À VOIR ÉGALEMENT SUR LE SITE DE GLOBAL CHANCE
(si encadré : résumé au survol)
Publications
« Il y a une forte probabilité d’un accident nucléaire majeur en Europe »
Bernard Laponche (entretien), Télérama, n°3205, mercredi 15 juin 2011
Entre silence et mensonge. Le nucléaire, de la raison d’état au recyclage “écologique”
Bernard Laponche (entretien), La Revue internationale des Livres et des idées, n°14, novembre-décembre 2009
Les Dossiers de Global-Chance.org