Anomalies génériques dans le parc électronucléaire Rapport à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité nucléaires

, par   Bernard Laponche

Les interrogations sur l’état du parc électronucléaire français et sur la dégradation de sa sûreté ont été replacées au premier plan de l’actualité du secteur ces dernières années suite à la découverte en 2016 d’irrégularités, voire de falsifications, dans les dossiers de fabrication par Creusot Forge, filiale d’Areva NP.
Dans ce contexte, la question des « anomalies génériques » mérite une attention renouvelée, tant elle est, elle aussi, révélatrice de la sûreté dégradée du parc électronucléaire français : affectant de façon transversale des équipements que l’on retrouve sur plusieurs réacteurs – et notamment sur les réacteurs français d’un même « palier » de puissance du fait de leur identité de conception et de construction – ces « anomalies génériques » se multiplient en effet de façon inquiétante.
Qu’on en juge : sur la période allant de septembre 2015 à mars 2018, un total de 214 situations « réacteur-anomalie » ont été identifiées, dont 48 classées 2 sur l’échelle de l’INES, classement justifié par le fait que si la défaillance de l’équipement concerné se produisait, cela pourrait conduire à un accident grave ou majeur...

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Bernard Laponche : Anomalies génériques dans le parc électronucléaire
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ANOMALIES GÉNÉRIQUES DANS LE PARC ÉLECTRONUCLÉAIRE

Bernard Laponche, Rapport à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité nucléaires, jeudi 31 mai 2018

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Ci-dessous : Table des matières | Introduction | Conclusion


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION
1. MALFAÇONS ET FALSIFICATIONS DANS LA FABRICATION DES ÉQUIPEMENTS
2. RISQUE DE PERTE DU CIRCUIT DE REFROIDISSEMENT INTERMÉDIAIRE EN CAS DE SÉISME
3. CONCENTRATIONS DE CARBONE DANS L’ACIER DES GÉNÉRATEURS DE VAPEUR
4. RISQUE DE DÉFAILLANCE D’ÉLÉMENTS IMPORTANTS POUR LA PROTECTION EN CAS DE SÉISME
5. RISQUE DE PERTE DE LA SOURCE FROIDE
6. NON TENUE AU SÉISME DES ANCRAGES DES SYSTÈMES AUXILIAIRES DES DIESELS DE SECOURS
7. CORROSION DES VASES D’EXPANSION DES GROUPES DIESELS
8. RÉSISTANCE AU SÉISME DE TABLEAUX D’ALIMENTATION ÉLECTRIQUE
9. RISQUE DE BLOCAGE DE GRAPPES DE COMMANDE
10. PRÉPARATION ET RÉALISATION DE TRAVAUX DE SOUDURE
11. TABLEAU RÉCAPITULATIF DES ANOMALIES GÉNÉRIQUES
CONCLUSION
Annexe : réacteurs et centrales nucléaires en France

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INTRODUCTION

L’année 2016 a été marquée par un événement d’une importance exceptionnelle dans l’histoire du programme électronucléaire français : la découverte, à la suite de la détection d’une anomalie sur la cuve du réacteur EPR en construction à Flamanville, d’irrégularités, voire de falsifications, dans les dossiers de fabrication par Creusot Forge, filiale d’Areva NP, d’équipements importants pour la sûreté, implantés dans les réacteurs du parc des centrales nucléaires d’EDF.

La revue alors demandée par l’ASN à Areva NP puis à EDF des dossiers de fabrication de l’ensemble des pièces provenant de Creusot Forge, revue toujours en cours, a mis en évidence un nombre considérable de pièces posant d’éventuels problèmes de sûreté, présents dans la quasi totalité des réacteurs en fonctionnement. Cette affaire, dite des « dossiers barrés » a révélé une fragilité que personne n’avait soupçonnée, d’autant plus inquiétante que certains des équipements concernés sont réputés respecter le principe « d’exclusion de rupture », c’est-à-dire que leur défaillance est, par définition, impossible.

Ayant suivi le déroulement de cette opération de contrôle et de vérification, nous nous sommes intéressés de façon plus générale aux « anomalies génériques » touchant le parc électronucléaire entre le début de cette revue et aujourd’hui, soit durant la période allant de septembre 2015 à mars 2018. Une anomalie générique est un défaut portant sur un équipement que l’on retrouve sur plusieurs réacteurs et notamment sur les réacteurs français d’un même « palier » (1) de puissance du fait de leur identité de conception et de construction.

Cette note présente, après un bref point d’étape de cette revue des irrégularités de fabrication, les neuf autres anomalies génériques qui ont été identifiées sur cette période, dans l’ordre chronologique : le risque de perte du circuit de refroidissement intermédiaire en cas de séisme, la concentration de carbone dans l’acier de générateurs de vapeur, le risque de défaillance d’éléments importants pour la protection en cas de séisme, le risque de perte de la source froide, la non tenue au séisme des ancrages des systèmes auxiliaires des diesels de secours, la corrosion des vases d’expansion des diesels de secours, la résistance au séisme de tableaux d’alimentation électrique, le risque de blocage de grappes de contrôle. Chaque anomalie est présentée dans un chapitre particulier.

La plupart de ces anomalies génériques ont été classées aux niveaux 0, 1 ou 2 de l’échelle INES (2) de classement de 0 à 7 des incidents et accidents nucléaires en fonction de leur gravité. On sait, et cela est souligné par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), que cette échelle ne constitue pas un outil d’évaluation de la sûreté nucléaire et de la radioprotection mais a pour but de faciliter la perception par les médias et le public de l’importance des incidents et accidents nucléaire, essentiellement selon le critère des conséquences éventuelles en termes d’irradiation ou de contamination des travailleurs ou de la population.

Cependant, l’échelle INES est utilisée par l’ASN pour apprécier le risque de dégradation de la défense en profondeur assurant la sûreté du réacteur concerné. C’est ainsi qu’une anomalie générique sera classée en niveau 2 si la défaillance des équipement concernés pourrait entraîner un accident grave ou majeur avec fusion du cœur (voir par exemple la différence entre le classement en niveau 0 ou en niveau 2 dans le cas du risque de perte de la source froide). Il est important de noter que l’ASN ne compte qu’un incident pour chaque anomalie générique (3), alors que nous les avons décomptés pour chaque réacteur concerné.

Notes

(1) Voir en Annexe la liste des réacteurs électronucléaires classés en particulier par « paliers ».

(2) INES : International nuclear event scale.

(3) Voir par exemple le « Rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2017 », page 141.

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CONCLUSION

Si l’on nomme « situation » un couple « réacteur-anomalie », on constate sur la période allant de septembre 2015 à mars 2018 un total de 214 situations.

1 réacteur connaît sur la période 7 anomalies génériques (Belleville 2), 5 réacteurs en ont 6 (Dampierre 3, Nogent 1, Tricastin 1, 3 et 4). Aucun réacteur n’a 0 ou 1 anomalie générique.

On constate également la répartition des « situations » en fonction du niveau de l’anomalie sur l’échelle INES :
• INES 0 : 10 situations
• INES 1 : 127 situations
• INES 2 : 48 situations

Rappelons que l’anomalie générique portant sur les générateurs de vapeur (29 situations) n’a pas fait l’objet d’un classement INES.

Une attention toute particulière doit être portée aux 48 situations de niveau 2 de l’échelle INES qui concernent 3 anomalies génériques : perte de la source froide (5b), ancrages des diesels de secours (6a et 6b), vases d’expansion des diesels de secours (7a), repérées dans 37 réacteurs répartis dans 17 centrales : Belleville, Bugey, Cattenom, Chinon, Chooz, Cruas, Dampierre, Fessenheim, Flamanville, Golfech, Gravelines, Nogent, Paluel, Penly, Saint-Alban, Saint-Laurent, Tricastin.
En effet, nous l’avons vu, le classement au niveau 2 de l’échelle INES de ces anomalies est justifié par le fait que si la défaillance de l’équipement concerné se produisait, cela pourrait conduire à un accident grave ou majeur.

Les anomalies peuvent provenir de défauts de conception, auquel cas l’ensemble des réacteurs d’un palier sont touchés, de défauts de fabrication touchant un équipement particulier qui peut implanté dans certains réacteurs, de défauts de construction (au niveau d’un palier ou de certains réacteurs), ou de défauts de maintenance qui peuvent être repérés sur certaines centrales.
On notera en particulier l’importance des anomalies liées au comportement des équipements en cas de séisme : il semble bien que cette question n’a pas été suffisamment bien traitée au niveau de la conception dans certains cas et, de façon assez générale au niveau de la maintenance (entretien ou remplacement trop différé de certains équipements).

Enfin, certaines anomalies ne pouvant pas être corrigées ou étant estimées trop onéreuses à corriger (c’est là qu’intervient la question trop généralement évitée du « coût de la sûreté ») ou bien reportée dans le temps, des « mesures compensatoires » doivent être appliquées par EDF afin d’atténuer les facteurs susceptibles de déclencher la rupture potentielle détectée par l’anomalie concernée. Ces mesures portent essentiellement sur les procédures d’exploitation des réacteurs, notamment en ce qui concerne les variations de température de l’eau de refroidissement du circuit primaire du fait des variations de puissance lors de l’arrêt ou du démarrage du réacteur (risque de choc froid ou de choc chaud dans le cas des générateurs de vapeur par exemple).
On comprend que ces modifications des conditions d’exploitation sont relativement faciles à respecter en fonctionnement normal mais on peut s’interroger sur ce qui peut se passer en cas d’incident ou d’accident nécessitant des réactions rapides.

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pour aller plus loin...
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Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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