En amont du débat public prévu sur le Plan de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), ouvert du 17 avril 2019 au 25 septembre 2019, la commission particulière du débat public (CPDP) chargée de son organisation a mis en œuvre une démarche de « clarification des controverses ». L’objectif était, dans la perspective du débat d’apporter au public non spécialiste mais soucieux de disposer d’une bonne information technique les informations permettant de comprendre les différences d’argumentations exprimées par des experts ou des organismes institutionnels, et ce sur la base d’une série de questions relevant de ce plan... Ont participé à ce travail de mise à plat des enjeux du débat : EDF, Orano, l’Andra, le CEA et l’IRSN, mais aussi la CLI de Cruas, Global Chance, France Nature Environnement (FNE) et WISE-Paris.
André Guillemette et Bernard Laponche, Global Chance, contribution préalable au débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMR 2019-2021), vendredi 19 octobre 2018
Question 3b - Quels sont les mérites intrinsèques des différentes formes d’entreposage du combustible usé (à sec ou en piscine, centralisé ou sur site) ?
1. L’absence de l’entreposage à sec dans la gestion des combustibles irradiés en France
Après avoir été utilisés dans les réacteurs nucléaires, les combustibles irradiés sont entreposés quelques années dans des piscines de refroidissement attenantes aux réacteurs. La question d’un stockage pérenne se pose ensuite, lorsque leur radioactivité et la chaleur qu’ils dégagent ont suffisamment diminué.
Dans la majorité de pays pourvus de centrales nucléaires (1), c’est la solution d’entreposage à sec qui a été retenue. Même les pays pratiquant (ou ayant l’intention de pratiquer) le retraitement ont des stockages à sec opérationnels : c’est le cas de la Russie, de la Grande Bretagne, du Japon et de la Chine.
La France se distingue par son refus de cette option, au nom de sa doctrine du « retraitement » et au profit des deux projets contestables et contestés : l’enfouissement pour les déchets nucléaires hautement radioactifs et à durée de vie longue (projet Cigéo à Bure) et le projet d’entreposage centralisé en piscine au centre de l’hexagone.
Notons ici que l’exportation d’électricité, presque exclusivement d’origine nucléaire de 12% aujourd’hui et plus encore dans les projections d’EDF, augmente d’autant la quantité de déchets HA-VL, MA-VL et FMA-VL à gérer dans le PNGMDR, en plus de ce qui correspondrait aux besoins nationaux d’électricité.
2. L’entreposage à sec, le paradoxe américain d’Orano
Tandis que les promoteurs français du nucléaire écartent l’entreposage à sec, ils feignent d’ignorer l’expérience acquise en la matière par un pays tel que les États-Unis, pays où Orano « champion » du nucléaire en France se positionne sur le marché américain via sa succursale Orano TH, en vantant son système d’entreposage à sec de combustibles irradiés.
L’expérience d’entreposage à sec aux États-Unis est loin d’être marginale, elle a commencé en 1986. Si l’on prend les données 2009 de la NRC (2), 62 681 t de combustibles usés étaient sortis des 99 réacteurs en service et 13 856 t (22%) étaient en situation de stockage à sec sur 75 installations de stockage à sec.
Sur les 75 sites d’entreposage à sec, Orano TH revendique d’en être l’opérateur sur 33 sites (44%).
D’autre part, aux États-Unis, la firme Holtec International propose un nouveau modèle de conteneur qui permettrait de réduire très fortement le temps de séjour en piscine avant l’entreposage à sec (3).
3. Éléments de sûreté de l’entreposage en piscine ou à sec des combustibles usés
D’après l’IRSN, l’entreposage à sec des combustibles usés est envisageable à partir d’une puissance thermique résiduelle de 2 kW par assemblage (4), soit quatre ans après sortie de réacteur pour les combustibles UOX et 30 ans pour des combustibles MOX (voir figure n°2). La pratique usuelle aux États-Unis est de l’ordre de 10 ans de refroidissement en piscine, avec une durée minimale de 5 ans, avant transfert en entreposage à sec.
Sans aléas de fonctionnement dans la filière nucléaire actuelle, les capacités d’entreposage en piscines réacteurs et piscines de la Hague sont estimées comme saturées dans 5 à 10 ans par l’IRSN et les opérateurs, 1 an en cas d’arrêt générique sur les usines de La Hague comme une rupture sur les évaporateurs de solutions de haute activité.
Pour remédier à cette situation, EDF envisage la construction d’une piscine centralisée à l’échéance 2030. Ne serait-il pas plutôt pertinent d’envisager la mise en place, sur les sites actuels de réacteurs, d’installations de stockage à sec pour désengorger les piscines de réacteur ?
Au niveau de la sûreté d’une telle installation, la réfrigération s’effectue par convection naturelle, et le transport de combustibles à travers l’hexagone est supprimé.
Il nous paraît indispensable de demander à l’IRSN une étude approfondie sur la possibilité d’un stockage à sec des combustibles MOX usés, d’une part en explorant les types de chargement des conteneurs et, d’autre part, la qualité de ceux-ci et en particulier ceux proposés par Holtec.
Une étude économique de comparaison des différentes solutions, tant pour les combustibles irradiés (uranium et MOX) que pour les déchets radioactifs HA-VL et MA-VL, serait également indispensable.