Deux “débats” officiels sur l’énergie ont déjà eu lieu en France, en octobre 1981 puis en février 1990, conduits au Parlement et ne rassemblant, dans l’indifférence classique des discussions sans véritable enjeu politique, que quelques parlementaires commis d’office. Organisé sur trois mois, l’actuel « Débat sur l’énergie et l’environnement », dont les conclusions devraient être remises au gouvernement le 15 août prochain, a donc au moins le mérite de faire sortir le débat de l’hémicycle. Pour le reste, et alors que les débats précédents n’avaient à vrai dire guère modifié le paysage énergétique français (qui a continué à refléter, dans ses grandes options, les orientations prises dans la seconde moitié des années 70 en faveur du nucléaire), que peut-on attendre de ce nouveau débat officiel, dont l’organisation est peu propice à une participation ouverte et avertie du public et dont l’objectif annoncé est « d’affermir le consensus national sur [...] la politique de l’énergie » - mais de quel consensus veut-on parler alors même que jamais la population française n’a eu à se prononcer sur le sujet ? Ce troisième débat ne va donc pas changer le long fleuve tranquille de la politique énergétique française. Reste qu’une certaine sensibilisation au sujet se fait jour progressivement, et qu’on assiste à l’émergence sur la place publique d’idées non-conformistes, tranchant sur les propositions péremptoires avancées par les ténors du productivisme énergétique emportés par EDF.
Débat sur la recherche, débat sur l’aménagement du territoire, débat sur l’énergie... la France est à l’heure des débats. Des débats menés tambour battant qui font rêver que l’on eut pris le temps. Le temps d’informer, de s’informer, du sujet à débattre. Le temps, en ce qui concerne l’énergie en particulier, de comprendre les enjeux des différentes stratégies énergétiques possibles et d’organiser des discussions larges et controversées dans de multiples lieux de rassemblement, à l’image de ce qu’a fait la Suède, par exemple, il y a une quinzaine d’années. En France, c’est sur trois mois que se déroule le débat sur l’énergie et l’environnement, dont l’objectif est « d’affermir le consensus national sur l’équilibre entre les préoccupations économiques et écologiques qui inspirent la politique de l’énergie ». Six grands thèmes « d’intérêt collectif » doivent donner lieu à un débat national spécifique dans une région, et 13 thèmes feront l’objet de débats conduits dans toutes les régions. Le rapport de synthèse doit être remis au gouvernement pour le 15 août. La saisine du Parlement est envisagée.
C’est le troisième débat tenu en France sur l’énergie. Les deux premiers ont été conduits au Parlement. En octobre 1981 puis en février 1990, l’hémicycle avait ainsi rassemblé, dans l’indifférence classique des discussions sans véritable enjeu politique, quelques parlementaires commis d’office qui au titre des ministères concernés, qui relevant des commissions de l’assemblée chargées des dossiers préparatoires, qui représentants officiels des différents groupes politiques. Ces débats n’ont à vrai dire guère modifié le paysage énergétique français qui a continué à refléter, dans ses grandes options, les orientations prises dans la seconde moitié des années 70. À savoir une emprise croissante de l’électricité dans le bilan énergétique, avec une poussée de l’énergie nucléaire dont la part dans la production d’électricité dépasse les 75%. Si la croissance de l’énergie nucléaire s’est infléchie par rapport aux prévisions dans le courant des années 80, pour s’arrêter en 1987, c’est principalement devant l’évidence d’une surproduction par rapport aux besoins de la consommation. Sans remous, ni coups d’éclat, deux évolutions décisives se sont cependant engagées en 1981. À cette époque, en effet, la maîtrise de l’énergie et les énergies renouvelables sont entrées dans les propos officiels tenus sur l’énergie. Ces deux thèmes sont même devenus la vocation d’une agence spécifique, l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME). Au sort inégal et toujours incertain, celle-là s’est néanmoins maintenue en adaptant son intitulé au goût du jour avec la dénomination d’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Au-delà d’un point de vue institutionnel, la maîtrise de l’énergie est devenue une préoccupation incontournable de la réflexion sur l’énergie, même si les bas prix du pétrole de ces dernières années en ont diminué la priorité effective. Quant aux énergies renouvelables, il est toujours de bon ton d’en parler mais on ne peut pas dire qu’elles soient sérieusement considérées en France par les autorités techniques et politiques.
La deuxième évolution que l’on peut faire remonter à 1981 est l’entrée des parlementaires dans le débat énergétique avec la création de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Aux prises avec les querelles entre la droite et la gauche, l’Office a mis longtemps pour affirmer son existence. Mais, à la fin des années 80, il a acquis un rôle majeur d’information pour le Parlement, en particulier en matière de sécurité nucléaire. Il a ainsi émis en 1991 un rapport sur le stockage des déchets nucléaires à haute radioactivité. C’était un an après que Michel Rocard, alors Premier ministre, ait décrété un moratoire sur toutes les recherches concernant ces déchets, en réponse aux oppositions violentes que les travaux de prospection conduits par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) déclenchaient sur tous les sites. Et, le 30 décembre 1991, le Parlement a adopté la première loi nucléaire française. Cette loi porte sur les déchets nucléaires de haute activité et suit dans ses grandes lignes le rapport élaboré par l’Office. Elle traite des recherches à entreprendre, et plus précisément des études géologiques à conduire en laboratoire souterrain. Elle répond directement aux préoccupations des populations qui avaient imposé le moratoire : elle institutionnalise l’indépendance de l’ANDRA par rapport au Commissariat à l’énergie atomique, elle fait une large place aux représentants locaux dans les instances de consultation et les assure de compensations financières.
En 1994, le débat sur l’énergie sort de l’hémicycle. Il fournira, sans doute, son lot classique de discussions intéressantes et de propos convenus. Cependant, certaines réserves viennent à l’esprit en ce qui concerne son impact. La première, nous en avons déjà parlé, est liée à la tenue précipitée des discussions qui laisse mal augurer d’une participation ouverte et avertie du public. La deuxième tient à l’a priori ouvertement affiché dans son objectif : « affermir le consensus national... ». De quel consensus veut-on parler alors même que jamais la population française n’a eu à se prononcer sur le sujet ? Troisièmement, le ministère de l’industrie a déjà commandité un rapport important sur le sujet, le rapport Mandil sorti à la fin de l’année dernière, qui doit servir de base au débat national. Sa principale préoccupation a trait à l’organisation électrique et gazière en France. Quelques marges permettront peut-être d’y insérer les attentes du public, cependant le sujet paraît bien pointu pour un néophyte. Enfin, alors que le débat commence à peine, le gouvernement vient de donner son accord à la mise en service des derniers ateliers de la deuxième usine de retraitement des combustibles irradiés à La Hague. Or cette opération technique constitue la base même de la doctrine nucléaire française. Assurant la séparation des divers éléments qui se sont constitués au cours du séjour du combustible dans la centrale nucléaire, et permettant ainsi la production du plutonium, elle assure selon ses promoteurs une gestion optimale des déchets du point de vue de la sûreté ainsi qu’une utilisation rationnelle des ressources énergétiques. Elle détermine en tout état de cause un cycle de combustible nucléaire impliquant l’utilisation du plutonium et une fin de cycle interdisant de stocker les combustibles irradiés en l’état. Le démarrage de la nouvelle unité de retraitement est lourd de conséquences, sur le plan financier comme sur le plan stratégique. Alors même que les gouvernements s’embourbent les uns après les autres dans le dossier de Superphénix, cette décision de s’engager plus avant dans la voie du plutonium rend plus difficile une diversification de la filière ou un retrait du nucléaire. Apparaît d’ailleurs ici une limite majeure à la loi votée par le Parlement qui, en se focalisant sur les déchets tels qu’ils existent aujourd’hui, s’est interdit de se prononcer sur des choix différents de cycle du combustible nucléaire, donc sur la stratégie nucléaire.
Selon toute vraisemblance, ce n’est pas ce troisième débat qui va changer le long fleuve tranquille de la politique énergétique française. Cependant, une certaine sensibilisation au sujet se fait jour progressivement en France. On assiste à l’émergence sur la place publique d’idées non-conformistes, tranchant sur les propositions péremptoires avancées par les ténors du productivisme énergétique emportés par EDF. Nous continuons à leur faire écho avec Global Chance. Après le troisième numéro qui s’est attaché à comparer différents scénarios énergétiques, après un débat au Sénat que nous avons organisé aux côtés de multiples organisations non gouvernementales et dont nous présentons ici un bref compte-rendu, nous proposons maintenant ces Cahiers qui passent du bois et du transport en France, aux réductions de gaz carbonique en Europe, posent la question du développement de la bioénergie et placent le débat français dans une perspective énergétique mondiale pour le siècle prochain.
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages