Le « Débat National sur les Énergies » officiellement lancé le 18 mars 2003 aurait pu être l’occasion d’une vraie discussion publique citoyenne. La façon dont il a été annoncé et organisé tout comme son déroulement ont engendré une déception considérable : sous le contrôle très strict de la Direction Générale de l’Énergie et des Matières Premières du Ministère de l’Industrie, l’exercice, rarissime en France, s’est très vite transformé en opération de communication et de pédagogie gouvernementale, pour se clore sur une séance de synthèse surréaliste ! Seule l’initiative « Énergies : Le Vrai Débat » et sa série de colloques organisés parallèlement au débat officiel par plusieurs associations environnementales (Les Amis de la Terre, Agir pour l’Environnement, France Nature Environnement, Greenpeace, le Réseau Action Climat, le Réseau Sortir du Nucléaire, le WWF) auront donc permis une vraie discussion approfondie sur les politiques énergétiques alternatives, avec un accent particulier sur l’expérience de nos voisins européens...
Depuis l’automne 2002, la nouvelle majorité gouvernementale a fait preuve de beaucoup d’activité de communication dans le domaine du développement durable : dans la foulée du discours de Jacques Chirac à Johannesbourg « la maison brûle et nous regardons ailleurs », la mise en place d’un Comité interministériel du développement durable, d’un Conseil national du Développement Durable, la rédaction d’une charte de l’environnement adossée à la Constitution de la République, la publication d’une Stratégie Nationale du Développement Durable, l’annonce par Jean-Pierre Raffarin et la tenue sous la houlette du Ministère de l’Industrie d’un « débat national sur les énergies »… une activité politico-médiatique gouvernementale intense dans un domaine où la majorité précédente était restée bien discrète.
On aimerait bien pouvoir s’en réjouir sans arrière-pensées. Mais les six derniers mois ont malheureusement mis aussi en relief les limites de toute cette agitation, avec par exemple la sortie d’une Stratégie Nationale du Développement Durable, recueil de déclarations de bonnes intentions sans décisions concrètes autres que l’engagement à appliquer des directives européennes, l’emprisonnement brutal de José Bové, ou la démission de la majorité des membres et du président de la Commission Française du Développement Durable.
Alors qu’un tel événement, rarissime en France, aurait pu être l’occasion d’une vraie discussion publique citoyenne, la façon dont il a été annoncé, organisé et s’est déroulé a engendré une déception considérable :
• Annoncé par Jean-Pierre Raffarin dans des termes qui ne laissaient guère de doutes sur l’issue du débat,
• Organisé sous le contrôle très strict de la Direction Générale de l’Énergie et des Matières Premières du Ministère de l’Industrie, bien plus comme une opération de communication et de pédagogie gouvernementale que comme un véritable débat, malgré la mise en place d’un « Comité des Sages » qui semble avoir disparu en cours de route et d’un Comité de pilotage “pluraliste” que la plupart des ONG ont été amenés à quitter devant l’impossibilité à s’y faire entendre,
• Qui s’est tenu sous la forme de rencontres, des “tables rondes” où l’on voyait se succéder des prises de paroles d’une longue série d’intervenants, trop nombreux pour pouvoir dépasser les déclarations convenues, sans organisation d’une véritable discussion des thèses en présence, sans temps de dialogue suffisant avec les participants,
• Avec une séance de synthèse surréaliste, de deux heures à peine au lieu des deux journées prévues initialement, sous la forme d’une sorte de jeu télévisé questions–réponses, encadré de discours ministériels.
Questions soigneusement préparées, non par les journalistes animateurs du show, mais par le Ministère de l’Industrie, questions pré-attribuées aux quinze “personnalités” interrogées sommées de répondre chaque fois en moins d’une minute…
Encore une chance qu’une “fuite” ait permis, deux jours avant cette séance, de dévoiler et modifier la question finale, point d’orgue du débat proposé, et rédigée initialement sous la forme suivante : « Pourquoi faut-il lancer aujourd’hui la construction d’un démonstrateur EPR ? » devait demander ingénument Michel Field à un interlocuteur bien choisi.
Quant à la proposition de la CFDD d’organiser, à l’issue de différents débats et avant la saisine du Parlement, une conférence de citoyens intitulée « Énergie, quelles responsabilités pour un monde habitable ? » dont les résultats auraient apporté un éclairage citoyen au débat parlementaire, elle a été jugée inutile par la Secrétaire d’État au Développement Durable, au prétexte que le Ministère de l’Industrie avait déjà organisé ce débat.
Pas de quoi donc vraiment se féliciter comme l’a fait Nicole Fontaine dans son discours de clôture « du grand dialogue démocratique inédit jusqu’à ce jour » et qui ajoutait : « je me réjouis donc que cette expérience de démocratie participative ait tenu toutes ses promesses et répondu aux exigences que nous nous étions fixées et que je rappelle pour mémoire : pluralisme, ouverture, transparence, qualité, sérénité ! »
Finalement, l’aspect de loin le plus positif de ce débat a été le discours inaugural de Jean-Pierre Raffarin qui a martelé avec vigueur la nécessité impérieuse de la maîtrise des consommations d’énergie comme fondement même d’une politique de l’énergie. C’est un élément aujourd’hui incontesté et qui ne pourra pas ne pas être au centre de la prochaine loi d’orientation.
Et puis ce débat, tout tronqué qu’il ait été, a donné l’occasion à toute une série d’associations, d’ONG, d’institutions, d’organiser, en partenariat ou en parallèle de ce débat national, une série de manifestations beaucoup plus ouvertes que le débat officiel.
C’est en particulier le cas du « Vrai débat » dont l’idée remonte à novembre 2002, organisé par plusieurs associations d’environnement (Amis de la Terre, Agir pour l’Environnement, France Nature Environnement, Greenpeace, Réseau Action Climat, Réseau Sortir du Nucléaire, WWF).
Cette série de colloques dont le premier a eu lieu à Paris le 25 février avant même l’ouverture du débat officiel, avait pour ambition une discussion approfondie sur les politiques énergétiques alternatives, avec un accent particulier sur l’expérience de nos voisins européens. Au contraire des séances du débat officiel, le nombre d’orateurs de chaque colloque était volontairement restreint à 3 ou 4 par journée. Après chaque exposé, une longue discussion avec la salle laissait tout le temps d’approfondir les questions en suspens, de répondre aux critiques et aux interrogations des participants.
C’est en particulier pour ces participants, mais bien entendu aussi pour les participants au débat national que Global Chance avait préparé le Petit mémento énergétique (cahier spécial de Global Chance). Ce mémento a été largement diffusé dans les différents colloques du « Vrai débat » (1).
En partenariat avec le « Vrai débat », Global Chance et l’association amie négaWatt ont décidé d’organiser le 25 avril dernier au palais du Luxembourg une journée « Une autre politique énergétique est possible » consacrée à la discussion d’alternatives énergétiques à la politique française actuelle en adoptant une démarche analogue à celle du « Vrai débat » : quelques exposés d’experts, des discussions approfondies avec la salle, une table ronde finale sur la future loi d’orientation.
Le succès de cette initiative et la richesse des débats qui s’y sont déroulés nous ont conduit à rassembler dans le présent numéro des Cahiers de Global Chance les actes complets de cette journée.
Nous y avons inséré, à titre d’exemple de l’intérêt des discussions qui se sont déroulées dans l’ensemble des colloques du « Vrai débat », l’intervention d’Olivier Deleuze, alors ministre de l’énergie belge, à la séance du 25 février qui s’est déroulée à la maison de la chimie (2).
Nous espérons vivement que ce numéro de Global Chance, en complément du Petit mémento énergétique, contribuera à fournir au lecteur les moyens de se faire une idée plus précise des véritables enjeux, des priorités et des moyens d’une politique énergétique responsable, équitable et compatible avec les exigences du développement durable.
Global Chance
Notes : (1) Il l’a malheureusement été beaucoup moins dans le cadre du débat national, ses animateurs ayant refusé toute participation financière aux frais de diffusion de ce document pour lui préférer les pubs plus ou moins déguisées mais gratuites d’entreprises comme AREVA... (2) On trouvera les actes complets de ce débat sur le site www.vrai-debat.org
introduction au colloque « ÉNERGIE : UNE AUTRE POLITIQUE EST POSSIBLE EN FRANCE »
Ce colloque « Énergie : une autre politique est possible en France » est organisé dans le cadre de l’initiative « Énergies : le Vrai Débat ». Ce « Vrai Débat » est une série de manifestations qui a été lancée dès le mois de novembre 2002 par sept grandes organisations et associations environnementales, qui se sont toujours historiquement occupées des problèmes de l’énergie - parfois d’ailleurs sous des angles assez différents : les Amis de la Terre, Agir pour l’environnement, France Nature Environnement, Greenpeace, Réseau Action Climat, Réseau Sortir du Nucléaire et WWF. Ces ONG ont lancé ce qu’elles ont appelé avec un petit clin d’œil (soyons honnêtes !) le « Vrai Débat ».
Pourquoi ? Premièrement parce que depuis longtemps des débats sur l’énergie en France avaient été promis et les choses traînaient. Il y a maintenant à l’horizon de cette fin d’année le vote d’une loi d’orientation sur l’énergie, et elles ont pensé que c’était le moment de mettre le sujet sur la table. Deuxièmement, il y a eu l’annonce par le gouvernement du lancement d’un débat national sur les énergies, de mars à mai 2003. Malheureusement, dès l’ouverture de ce débat, le Premier ministre a commis l’imprudence d’avancer trop clairement ses pions sur le nucléaire donc ce débat a semblé verrouillé dès le départ ! En outre, on sait bien que les débats organisés officiellement, ce n’est pas toujours la panacée du débat démocratique. Tout en ne refusant pas, pour la plupart d’entre elles, la participation au débat officiel, ces associations ont donc décidé de lancer leurs propres débats. Il n’y a d’ailleurs pas lieu de se faire de l’hypocrisie sur la notion de « débat ». Un débat public digne de ce nom, cela doit s’organiser longtemps à l’avance – il y a en France une Commission nationale du débat public (CNDP), des conférences de citoyens, etc. – et lorsqu’il porte sur l’énergie, les choses sont encore plus complexes. C’est sans doute ce qu’il faudra faire un jour, et on constate que le débat officiel actuel en est encore très loin ; quant au « Vrai Débat », il s’en rapproche peut-être un peu plus mais ce n’est pas un vrai débat public non plus. Le parti pris a été de dire : le « Vrai Débat » est une série de journées dont l’objectif est de donner la possibilité aux politiques alternatives d’être présentées et expliquées, et de prendre le temps d’en discuter avec la salle - on sait très bien que dans les débats officiels il n’y a qu’une toute petite place laissée à la discussion. Cette orientation a donc été choisie, avec en plus un accent mis sur des expériences étrangères, pour que tout le monde comprenne que la France n’est ni le modèle du monde ni celle qui dicterait sa politique à ses voisins.
Il y a eu un premier « Vrai Débat » à Paris le 25 février, puis deux colloques à Strasbourg et un Rennes, et il y en aura à Toulouse, Lyon et enfin Lille. À cela s’ajoute un certain nombre d’initiatives prises un peu partout par certaines associations, voire partis politiques, pour organiser des débats de même nature - c’est à dire pas forcément contradictoires avec beaucoup d’intervenants, mais dans l’optique de présenter des politiques alternatives. Le colloque d’aujourd’hui en fait partie. Nous remercions ces associations, pour leur travail d’organisation en particulier, et notamment Hélène Gassin (Greenpeace) qui est la cheville ouvrière de tout ce dispositif. Pour finir, ajoutons que la plupart des associations environnementales qui prenaient part au Comité consultatif du Débat national officiel sur les énergies ont décidé de le quitter ; comme elles s’en doutaient, les conditions de travail étaient insupportables, le dialogue impossible, les modifications de sujets ou d’intervenants très difficiles (je n’en étais pas membre et je rapporte leur position). Ce débat officiel se déroule donc de son côté, et les échos qu’on en a sont qu’il est finalement assez ennuyeux ; les orateurs se succèdent, avec des discours “langue de bois” ou caricaturaux. En particulier je vous conseille de regarder la journée prévue sur le nucléaire, comme amusement perpétuel !
La journée d’aujourd’hui est organisée dans le cadre du « Vrai Débat » par deux associations : Global Chance et négaWatt. Tous les frais d’organisation et de location de la salle sont entièrement pris en charge par les associations du collectif ; il n’y a pas de “sponsors”.
Global Chance a été créée en 1992 (année de Rio) ; son nom est un clin d’œil au « Global Change » (changement global qui désigne les dérèglements environnementaux planétaires). C’est une association de scientifiques et d’experts qui discutent sur des problèmes tels que les changements climatiques, essentiellement sous l’angle de l’énergie car beaucoup de ses membres sont issus de ce domaine. Leur mot d’ordre est qu’au lieu de voir les problèmes environnementaux globaux uniquement comme des contraintes dont il faut se prémunir, en se rabattant sur nos « certitudes » et en continuant comme avant, ces risques constituent une chance de bâtir une civilisation différente - en particulier dans le domaine de l’énergie - qui mette fin à ces risques. Et contrairement à ce que l’on peut entendre, c’est relativement facile ! Voilà un message important, loin des discours officiels qui disent que l’on est coincés en matière d’énergie et que c’est la panique. Global Chance organise de temps en temps des évènements et publie les Cahiers de Global Chance. L’un des derniers porte sur la maîtrise de l’énergie, et je vous en conseille la lecture. Il y a également un petit mémento sur l’énergie récent, très utile.
L’association négaWatt est un groupe d’experts qui depuis quelques années travaille essentiellement sur les économies d’énergie et sur les énergies renouvelables. Néga s’oppose à Méga : au lieu de consommer toujours plus d’énergie, consommons mieux et donc moins d’énergie. Ce groupe a réalisé le célèbre livre « La maison des négawatts », qui a familiarisé avec ce concept nouveau, qui cache tout un travail de fond et d’expertise. Récemment ce groupe s’est transformé en association. Il y aura aujourd’hui des exposés sur les travaux de cette association.
La journée que nous vous proposons est centrée sur la France. Elle diffère donc un peu des autres sessions du « Vrai Débat » car il n’y aura pas d’intervenants étrangers. Elle se situe comme une continuation de la première journée du 25 février - qui avait accueilli des Belge, Allemand et Suisse. L’objectif est de regarder comment concrétiser en France les expériences qui sont au cœur du débat : le « Facteur 4 » (division par 4 des consommations d’énergie en 2050), le concept de société sobre en énergie, etc. Sur ce point, un des seuls apports intéressants - mais de taille - pour le moment du débat officiel sur les énergies a été le discours d’ouverture du Premier ministre du 18 mars, qui place en premier et de loin la maîtrise des consommations d’énergie. En ce sens, le « Vrai Débat » est donc beaucoup plus proche des orientations souhaitées par le Premier ministre que le sien !
Nous aurons tout d’abord une présentation générale de Benjamin Dessus (Président de Global Chance) sur la prospective en matière d’énergie. Ensuite, la présentation par Thierry Salomon (Vice-Président de négaWatt) d’un scénario négaWatt 2000-2050 pour la France. Puis un éclairage sur le secteur délicat des transports - celui qui pose le plus de problèmes sur les émissions de gaz à effet de serre qui provoquent le changement climatique - par Pierre Radanne (Global Chance et ancien président de l’ADEME). L’après-midi sera consacrée à deux exposés sur l’électricité spécifique et la chaleur par des membres de négaWatt. Chacun des exposés sera suivi d’un échange entre nous. La journée se terminera par une table ronde qui permettra à plusieurs experts des politiques alternatives (associatifs de l’énergie décentralisée, des énergies renouvelables...) de discuter du contenu de la future loi d’orientation sur l’énergie.
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages