Fruit amer de l’idéologie productiviste, le système électro-nucléaire à la française est techniquement, économiquement, environnementalement et socialement dépassé. Pour en sortir, un vrai débat collectif sur « le bon usage de l’électricité » s’impose.
Pour prévisible qu’il ait été, l’échec de Copenhague est extrêmement brutal. L’impératif commun de réduire les émissions de gaz à effet de serre s’avère insuffisant pour engager des politiques volontaristes et, en particulier, rompre avec les stratégies énergétiques du passé. Les solutions bien établies, d’abord la maîtrise de la demande, puis le développement des énergies renouvelables, semblent encore perçues comme des fardeaux par la plupart de nos dirigeants politiques qui n’ont pas pris pleine conscience que ces orientations sont au contraire bénéfiques. Elles contribuent pourtant à la sécurité énergétique, réduisent les impacts environnementaux locaux et bénéficient à l’économie, en plus d’être indispensables à la lutte contre le changement climatique.
Toute analyse globale et à long terme du système énergétique montre en effet le potentiel et l’importance du bon usage de l’énergie. Ce principe vaut dans tous les usages et pour toutes les énergies, ce que l’application du seul prisme climatique tend à faire oublier. C’est ainsi, par exemple, que le Président de la République a récemment choisi d’exempter la consommation d’électricité des ménages et de l’industrie de toute contribution à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre – réduisant le projet de contribution climat énergie à une simple taxe carbone.
En France, l’argument sur le faible contenu en carbone de la production nationale d’électricité est le dernier avatar d’une politique engagée avec le « tout nucléaire, tout électrique » dans les années soixante-dix. Forte d’une image très positive auprès du grand public, produite et distribuée encore très majoritairement, malgré un marché européen libéralisé, par EDF, l’électricité fait depuis des décennies l’objet d’un soutien sans faille des pouvoirs publics de gauche comme de droite. Puisqu’il est bon pour la France de développer une production d’énergie domestique alternative aux énergies fossiles, il est bon de développer la consommation d’électricité. Celle-ci est ainsi encouragée non seulement dans ses applications spécifiques (éclairage, moteurs fixes, procédés industriels…), mais aussi dans des applications plus banales comme le chauffage des locaux.
Cette sollicitude constante des gouvernements a porté ses fruits : la France compte de très loin le premier parc nucléaire en Europe et se situe en tête des grands pays européens en ce qui concerne la consommation d’électricité par habitant et par unité monétaire de produit intérieur brut. La taxe carbone n’est en fait que le dernier exemple d’une série de décisions politiques systématiquement favorables à l’électricité, qui traduisent une forme de sacralisation de cette composante du système énergétique, aux dépens de tout bilan critique.
Il reste ainsi très difficile de faire entendre que l’indépendance énergétique que le nucléaire est sensé donner à la France est un leurre, basé sur une comptabilité très discutable (où l’on considère que la production nucléaire couvre presque 50 % de la consommation d’énergie primaire, alors que l’électricité représente environ 20 % de la consommation d’énergie finale, et où l’uranium importé devient, contrairement au pétrole, une production d’énergie domestique). Il n’est pas non plus fait de lien entre l’affirmation rituelle de cette indépendance énergétique et le constat que la France ne diminue en rien sa dépendance vis-à-vis de l’or noir, avec une consommation de pétrole par habitant supérieure à celle de ses grands voisins (Allemagne, Italie, Royaume-Uni) et une facture énergétique qui s’envole, retrouvant en 2008 avec 58 milliards d’euros, les niveaux records du premier choc pétrolier de 1973.
De même, il est difficile de porter le débat sur les orientations pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre au-delà du constat autosatisfait selon lequel la forte proportion d’électricité d’origine nucléaire permet à la France d’afficher aujourd’hui des émissions de gaz à effet de serre inférieures à celles de ses principaux voisins européens. Celles-ci restent pourtant bien trop élevées, et les exercices prospectifs montrent que la poursuite des orientations actuelles ne permettra pas de se placer sur la courbe de réduction nécessaire. De plus, elles tendent à augmenter dans le secteur électrique, surtout si l’on inclut les importations croissantes d’électricité d’origine fossile, pour faire face aux besoins de « pointe ».
Ces débats n’ont pas cours. Il manque plus largement une discussion mettant en perspective, sur des bases solides, l’ensemble des conséquences économiques, environnementales et sociales, à court et à long terme, des orientations données au secteur de l’électricité.
L’électricité est avant tout un produit énergétique noble dont la production, le transport et la distribution exigent des investissements lourds et entraînent des coûts de fonctionnement et des frais de maintenance importants. Les rendements de production des différentes filières, rarement élevés, bien plus souvent modestes, voire franchement mauvais, enchérissent ces coûts. Par ailleurs, la nette tendance à l’augmentation des coûts des investissements et des approvisionnements énergétiques constatée ces dernières années, à laquelle il faut ajouter l’impact de la construction et de l’entretien des ouvrages des réseaux de transport et de distribution de l’électricité dans un système électrique aussi centralisé que celui de la France, laisse augurer un renchérissement significatif et durable de l’électricité.
Enfin, aucune des énergies dont est issue l’électricité n’est sans inconvénient, local ou global, même si les degrés de nuisances et de risques couvrent un très large éventail : accidents majeurs, prolifération, matières dangereuses et déchets pour le nucléaire, pollution de l’air et émissions de CO2 et de méthane pour les combustibles fossiles, déforestation, dégâts à la biodiversité et concurrence avec les besoins alimentaires pour les plantations énergétiques, déplacements de population et dégâts environnementaux pour les grands barrages, problèmes paysagers pour les éoliennes, etc. Il faut bien sûr tenir compte aussi de l’impact des ouvrages du réseau de transport de l’électricité.
L’impossibilité de stocker massivement l’électricité impose en outre d’intégrer pleinement le fait que le facteur dimensionnant du système est la puissance appelée, c’est-à-dire l’énergie consommée à un instant donné et pas seulement sa consommation cumulée sur une certaine durée. La répartition de la consommation a en effet des répercussions importantes sur le plan économique ou environnemental, comme le montre l’exemple du chauffage électrique, qui « pèse » 2,5 fois plus en puissance instantanée (36 % au moment du record de consommation sur le réseau français) qu’en consommation cumulée en moyenne sur l’année (14 %).
Les conséquences sociales de ces spécificités sont également lourdes. La très forte centralisation du système et la tension sur les usages crée une grande vulnérabilité de la société française au risque d’une panne géante sur le réseau, qu’elle ait pour origine des difficultés de fonctionnement du parc nucléaire français comme on l’observe en ce début d’hiver, des aléas naturels, une cause accidentelle ou un acte malveillant. De plus, le développement massif des usages non pertinents de l’électricité favorise et entretient parmi les ménages les plus pauvres un phénomène très préoccupant de précarité énergétique.
Enfin, la réflexion sur le système électrique doit porter sur son évolution à long terme. Si l’on ne peut pas compter dans un proche avenir sur les énergies renouvelables (à l’exception de l’hydraulique et de l’éolien à court-moyen terme) pour produire des quantités suffisantes d’électricité bon marché, c’est bien dans une transition vers ces formes de production qu’il faut s’orienter à long terme. Le développement des technologies d’information associées aux réseaux fait émerger la vision des « smart grid », systèmes électriques intelligents organisés autour d’un pilotage beaucoup plus décentralisé des usages et de moyens de production locaux. Cette vision doit être adoptée dès aujourd’hui dans les choix qui structureront le système à moyen et long terme.
Le dimensionnement, l’organisation et l’évolution du système électrique sont donc des questions majeures, qui doivent d’abord être abordées par une réflexion sur la demande. Devant l’importance sociale, économique et environnementale qui s’attache à un usage à bon escient de ce vecteur énergétique noble, rare et durablement onéreux, il a donc paru important et utile à Global Chance et négaWatt de consacrer un numéro des cahiers de Global Chance à la question de l’électricité, mais en choisissant délibérément de se consacrer à la demande d’électricité plutôt qu’à sa production.
L’enjeu, en Europe et en France, d’un bon usage de l’électricité (au sens de sa rationalité, de son économie et de ses impacts environnementaux), justifie pleinement cette approche dans un contexte de tension croissante sur les approvisionnements énergétiques et sur les questions d’environnement à court et moyen terme, et donc des prix, avec leurs conséquences sur l’activité économique, le revenu des ménages et les inégalités sociales.
Il serait en effet paradoxal et totalement contradictoire de s’engager, comme l’a décidé l’Union Européenne, dans une politique vigoureuse d’efficacité énergétique dans tous les secteurs d’activité et donc de diminuer les consommations d’énergie à service rendu égal ou supérieur, et d’exempter l’électricité de cet effort indispensable de sobriété et d’efficacité énergétiques.
C’est d’autant plus nécessaire que le discours et les politiques des pouvoirs publics français comme des entreprises du secteur s’appuient sur des conventions dépassées et des chiffres biaisés qui ne reflètent ni la réalité physique, ni la vérité économique et environnementale, pour tenter de justifier un développement tous azimuts et sans entrave de la production et des usages de l’électricité.
C’est parce que nos deux associations sont hautement conscientes du rôle irremplaçable que l’électricité peut et doit jouer dans la construction d’un système énergétique harmonieux, soucieux d’égalité de traitement et de sécurité, économiquement efficace, respectueux de l’environnement, qu’il nous paraît urgent de sortir du gâchis actuel et de mettre en avant les enjeux, les conditions et les conséquences d’une utilisation intelligente et respectueuse de l’environnement de l’électricité en France dans les décennies qui viennent.
La consommation sectorielle d’électricité en Europe Les consommations d’électricité en 2007 / L’évolution des consommations finales d’électricité / La part de l’électricité dans les consommations sectorielles / La consommation d’électricité par secteur et par usage / L’électricité et la croissance économique / De la consommation finale d’électricité à la consommation primaire d’énergie
Des critères pour un « bon usage » de l’électricité Les critères / Les émissions de gaz à effet de serre / Les déchets nucléaires / Les coûts de production et le mécanisme des échanges d’électricité / Et la technologie ? / Gros Plan : Les réseaux « intelligents »
Contenu CO2 de l’électricité : une question d’objectifs ! Méthodes de contenu CO2 : approche moyenne et marginale / L’état des débats en France : une disparition remarquée / Les pressions sur la méthode et les hypothèses de calcul / Des méthodologies partagées et publiques sont plus que jamais nécessaires
Enjeux et perspectives sectorielles à 2020 d’un bon usage de l’électricité
Le secteur de l’industrie La consommation d’électricité dans l’industrie / Les économies d’électricité dans l’industrie / Les substitutions et les placements d’électricité dans l’industrie / Les enjeux globaux / Gros Plan : La surestimation systématique des besoins d’électricité à 2020 de l’industrie
Le secteur des transports L’électricité dans les transports / Caractéristiques énergétiques et environnementales des différents modes de transport / Gros plan : Le plan national pour le développement des véhicules électriques et hybrides rechargeables / Les perspectives / Gros Plan : Le Grenelle de l’environnement et les transports
Le secteur de l’agriculture La consommation d’électricité dans l’agriculture / Le secteur le plus concerné par les économies d’électricité : les bâtiments d’élevage
Les secteurs Résidentiel et Tertiaire + Erratum tableau 19 La consommation d’électricité dans le résidentiel et le tertiaire / Gros Plan : Vous avez dit 50 kWh/m2 ? / Les usages principaux de l’électricité dans le résidentiel et le tertiaire / Les potentiels d’économie et de substitution d’électricité pour des applications thermiques / Les économies d’électricité dans ses usages spécifiques / Perspectives et enjeux pour le résidentiel tertiaire / Gros Plan : Le Grenelle de l’environnement, une rupture pour l’énergie et l’électricité dans résidentiel tertiaire
L’électricité, un rôle majeur dans une politique énergétique sobre pour le bâtiment Il faut réduire les consommations d’électricité / Comment économiser l’électricité ? / Quelles sont les technologies disponibles et quels principes mettre en oeuvre pour économiser l’électricité ? / Des exemples d’opérations neuves et rénovées à faible consommation d’électricité / Quel rôle pour l’électricité demain ? / Conclusion
L’électricité dans les politiques européennes d’efficacité énergétique
La politique d’efficacité énergétique de l’Union Européenne Développement économique et social, sécurité énergétique et risque climatique / La Directive « Efficacité énergétique et services énergétiques » / La politique Énergie et Climat de l’Union Européenne / Potentiels et objectifs de l’efficacité énergétique dans l’Union Européenne
Des exemples… à suivre Éclairage public, la première cible des communes / La Ville : du patrimoine municipal à l’action territoriale / Animation, conseil, expertise et incitations dans les Territoires / Art et spectacles entrent dans la danse
Du grain à moudre d’ici 2020 Potentiels et objectifs / Coûts, inégalités, pouvoir d’achat et précarité énergétique / Politiques européenne et nationale / Du citoyen aux partenaires / Quelques idées pour l’action / Sites et ouvrages
Réseaux électriques : le retour du froid ravive leur vulnérabilité Agnès Sinaï, Actu-Environnement.com, jeudi 11 février 2010
Devant un hémicycle presque vide, le 27 janvier dernier, Jean-Louis Borloo, lors d’un débat parlementaire sur la sécurité des réseaux d’approvisionnement en électricité, en appelait à l’intelligence dans les réseaux électriques : « Dans vingt ans, on ne trouvera rien de plus bête que de se contenter d’appuyer sur un bouton permettant, quelle que soit la forme d’énergie, de faire appel à un mode de production un peu éloigné, et ce en temps réel et en situation standard ». L’objectif premier de ces smart grids est de développer l’interactivité du réseau pour mieux ajuster la consommation à l’offre. D’autant qu’il n’y a pas un, mais plusieurs usages de l’électricité – thermiques, mais aussi domestiques spécifiques – et dans des secteurs très différents. Les moyens de production eux aussi sont de nature diverse – nucléaire, thermique, éolien, hydraulique – possédant leurs propres modes de modulation. Les puissances unitaires des unités de productions les plus courantes varient de quelques dizaines de watts pour les dispositifs photovoltaïques décentralisés, à 1.500 MW pour les réacteurs nucléaires les plus importants. Les différentes filières se caractérisent aussi par les caractéristiques temporelles de leur production. Certaines des filières, comme la filière nucléaire PWR (Pressurized Water Reactor), qui, en France, produit 114 Mtep sur un total de 130, sont adaptées à des productions quasiment continues.
Du coup, se plaît à souligner le député (Verts) Yves Cochet, « lorsque la demande est moindre, nous produisons beaucoup trop », parce que le réseau est surdimensionné pour répondre aux appels de puissance pendant les grands froids : « il existe une contrainte structurelle sur le système électrique : il faut produire à tout instant autant d’électricité que la demande. Il n’y a en effet que très peu de stockage. La pointe de puissance est le moment de l’année où la demande est la plus importante, à cause du chauffage électrique. C’est cette pointe de puissance qui entraîne un surdimensionnement considérable, même pour quelques heures par an. Nous sommes donc en face d’une contradiction majeure du système électrique français : d’un côté nous avons un parc électronucléaire excédentaire en base – lorsque la demande est moindre, nous produisons beaucoup trop – et, de l’autre, une demande excédentaire en pointe ».
EDF, pilote de la stratégie énergétique française
La revue Global Chance se penche sur cette difficulté. Dans une livraison de janvier 2010, réalisée et éditée conjointement avec l’association négaWatt, la revue propose une analyse fournie du système énergétique français. Selon ses auteurs, le débat sur les orientations énergétiques n’a pas cours. Celui du 27 janvier, à l’Assemblée nationale, a été demandé par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, mais n’a mobilisé qu’une vingtaine de députés. Et à l’issue des trois heures de discussion, bien des questions sont en attente de réponse, qu’il s’agisse du dimensionnement du réseau, des investissements à effectuer pour enfouir les lignes, ou de l’entretien même des réseaux électriques par ERDF pour lesquels le ministre d’État a annoncé 1,5 milliard d’euros. Évoquant la récente nomination de Henri Proglio à la tête d’EDF, Jean-Louis Borloo a rassuré les députés : « Certaines décisions récemment prises sous l’autorité du Premier ministre, car il y a bien un pilote dans l’avion, visent à redéfinir l’intelligence générale du système. La mission confiée au président d’EDF est bien d’atteindre, et de façon immédiate, un coefficient de disponibilité de 85%, contre 76 ou 77% actuellement - ce qui explique en partie que nous devions importer et ne puissions pas exporter ». En affirmant que l’État doit reprendre son rôle de stratège en matière énergétique, le ministre d’État a implicitement reconnu que, depuis 1974, date du choc pétrolier, la politique énergétique de la France relève du soutien aux stratégies des grands groupes - EDF, Areva, Total, - plutôt que d’une politique publique.
Dans ces conditions, la marge de manœuvre de la puissance publique semble étroite. Selon Global Chance, le débat est d’une actualité brûlante : « la très forte centralisation du système et la tension sur les usages crée une grande vulnérabilité de la société française au risque d’une panne géante sur le réseau, qu’elle ait pour origine des difficultés de fonctionnement du parc nucléaire français comme on l’observe en ce début d’hiver, des aléas naturels, une cause accidentelle ou un acte malveillant ». Le redimensionnement du réseau et la maîtrise de la demande d’électricité sont des réponses possibles pour renforcer la résilience du système. Mais les indicateurs restent au rouge. Tous les scénarios français depuis 15 ans, du Conseil d’analyse stratégique à la DGEMP, enregistrent une augmentation constante de la part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie. La plupart des scénarios tendanciels anticipent une croissance forte de la consommation d’électricité. Le scénario DGEMP anticipe même une accélération de cette tendance.
Seul le scénario post-Grenelle anticipe une quasi stabilisation de cette consommation en 2020 aux valeurs actuelles. « Il convient toutefois de considérer avec une grande précaution les projections proposées par le scénario post-Grenelle dans le secteur de l’électricité, nuancent les auteurs de Global Chance. Celui-ci laisse en effet de côté la question du nucléaire, pourtant centrale dès lors qu’on aborde le secteur électrique en France, mais délibérément exclue de toute discussion dans le cadre du Grenelle de l’environnement. L’hypothèse de référence de ce scénario est (…) le maintien à un niveau constant ou légèrement croissant de la capacité de production nucléaire, via le remplacement en tant que de besoin des réacteurs actuels par des réacteurs EPR. L’arithmétique étant têtue, il est difficile de boucler le bilan électrique français à l’équilibre en maintenant la production nucléaire, tout en développant fortement les renouvelables et en maîtrisant la demande ». Le (non) débat sur la transition énergétique française a encore de beaux jours devant lui.
Phyto Bar : Un conte de fée qui vieillit mal Invités : Benjamin Dessus et Bernard Laponche (Global Chance), Thomas Guéret (négaWatt) Ruth Stégassy, France Culture, 6 mars 2010
Les gens heureux n’ont pas d’histoire, a-t-on coutume de dire. Et l’électricité, en France, “marche” si bien qu’on ne la connaît guère. On l’oublie jusque dans les discussions pourtant intenses sur la nécessaire maîtrise de l’énergie dans le contexte du changement climatique. Pourtant, un examen attentif révèle bien des aspects surprenants, intéressants, essentiels pour prendre des décisions en connaissance de cause. Pour son cahier de janvier 2010, Global Chance s’est jointe à l’association négaWatt et nous livre un numéro particulièrement riche et sujet à débats : « Du gâchis à l’intelligence - Le bon usage de l’électricité ». [Descriptif France Culture]
Tous les premiers mercredis du mois, l’émission Terre à Terre sur France Culture propose un débat public dans le bar-restaurant végétarien le Phyto Bar. L’émission, animée par Ruth Stégassy, est diffusée le samedi matin suivant de 7h à 8h. Solidaires du monde s’est rendu à la discussion du mercredi 3 mars, « Un conte de fée qui vieillit mal », portant sur l’état des lieux de l’électricité en France. Dans un contexte de changement climatique et d’échec à Copenhague, il est important de remettre les points sur les « i » des priorités. Les invités : Benjamin Dessus et Bernard Laponche du magazine Global Chance et Thomas Guéret de l’association négaWatt, se sont penchés sur le thème : « Du gâchis à l’intelligence - Le bon usage de l’électricité ».
État des lieux
Il est nécessaire de remettre à jour les données et le vocabulaire, c’est-à-dire de ne pas confondre énergie et électricité. L’électricité en France est issue à 80% du nucléaire, et un peu moins de 20% de l’hydraulique. Si l’on réfléchit en termes d’énergie primaire et non d’électricité, le nucléaire représente 40% de notre énergie. Et si l’on parle de besoins finaux, c’est-à-dire d’énergie réellement consommée par les chaudières, les usines, les voitures, etc. le nucléaire ne représente plus que 17% de la consommation. De plus, nous savons aujourd’hui que notre moyenne annuelle est de 100-110g de C02/kW émis.
Thomas Guéret précise que l’on a tendance à considérer que le nucléaire ne dégage pas de CO2, comme une électricité verte. Quand il fait froid, comme cet hiver, où nous avons frôlé le - 15°C, la pointe de consommation (chauffage et éclairage) a donc un contenu en CO2 très important. En pareilles circonstances, les stocks ne sont pas toujours suffisants pour répondre à la demande. Pour compenser le déficit d’énergie disponible, la France importe d’Allemagne (notamment du charbon). Le coût de l’investissement de base est plus important que le coût de fonctionnement, aussi des contraintes financières, techniques mais également écologiques s’imposent, car elles émanent beaucoup plus de CO2.
Depuis 2005, l’Ademe (Agence de l’Environnement et la Maîtrise de l’Énergie) et le Réseau Centres Techniques Industriels (Réseau CTI) ont signé un accord, en découlant une estimation précise de la consommation de l’énergie (et donc l’émanation de CO2), par saison, semaine et par jour, ainsi que par l’utilisation (chauffage, réfrigération ou éclairage). En 2007, un nouveau contrat est conclu entre l’Ademe et le Réseau de Transport d’électricité (le RTE). Des précisions ont été données, comme le chiffre de 500 grammes de CO2 par kW est établi pour le chauffage électrique par exemple.
Que pensez des voitures électriques ?
Benjamin Dessus ironise sur la volonté de Nicolas Sarkozy réclamant une flambée de production de voitures électriques pour 2020, de l’ordre de 1 millions de véhicules. Penser que ce transport serait idéal est complètement utopique. Non seulement pour une question de praticité mais aussi d’un point de vue environnemental. En effet, pour répondre à la demande, une profonde transformation géographique est nécessaire et l’installation d’un réseau structuré et complet de bornes est primordiale. Or ce n’est pas chose aisée de refaire l’infrastructure nucléaire d’un pays. De plus, toutes ces voitures se rechargeront la nuit, la recharge d’une heure correspond à 30 kW soit la puissance énergétique d’un immeuble. Imaginons les équivalences pour 1 million de voitures électriques qui rechargeraient toute la nuit !
Le nucléaire devra se compléter d’autres énergies pour faire face à la demande, notamment en hiver avec le charbon allemand. C’est pourquoi, d’après le spécialiste, cette initiative a plutôt une vocation de relance de l’industrie automobile, plus qu’écologique. Thomas Guéret confirme cette idée, mais ne la refuse pas pour autant. Il propose d’envisager un concept de partage ou de covoiturage de véhicules électriques pour que cela soit effectivement rentable pour les particuliers et la planète.
Qui consomme le plus d’électricité ?
Les spécialistes de Global Chance affirment que les bâtiments consomment moins d’un tiers de l’énergie, contrairement à l’idée reçue selon laquelle ce sont les infrastructures du secondaire ou du tertiaire qui sont responsables du gâchis énergétique. Les 67% restant sont le fait des particuliers. La France détient le record de la plus grande consommation de pétrole et d’électricité, plus que la Californie ! Et nous sommes capables, en faisant attention, de baisser de 25% notre consommation d’ici 2020. Donc plutôt que de se lancer dans la création de nouveaux concepts, il est bien plus accessible de baisser la consommation de chaque citoyen.
Pourquoi la consommation de la France est-elle si élevée ? Peut-on la changer ?
La France est essentiellement dotée du chauffage électrique, ce qui est le plus mauvais choix possible. Pour faire 1 kW de chauffage, il en faut 3,2 de fonctionnement, contrairement au chauffage au fuel ou au gaz où, pour obtenir 0.9 kW de chauffage, on n’en utilise qu’1. Concernant le CO2, l’électricité dégage 500 à 600g par kW contre 200g pour le gaz. Au Danemark, le problème est réglé puisque le chauffage électrique est interdit. Pour nous, il est très difficile de changer la donne puisque l’essentiel des maisons ont été construites dans les années 70, donc il est bien trop tôt pour les remplacer, et il faudrait qu’elles soient toutes équipées de cheminées pour les adapter à une pompe à chaleur par exemple (notez qu’une pompe à chaleur sol est plus performante qu’une pompe à chaleur à air).
Les nouveaux concepts, comme les éoliennes ou les panneaux solaires sont bien trop chers et compliqués pour le moment. La société va y venir en douceur mais, en attendant, il faut trouver d’autres solutions. Aussi, les propositions de produits à haute valeur ajoutée en innovation et modernité n’aident pas. Ce sont ceux consommant le plus d’énergie, essentiellement l’audiovisuel (écran LCD, écran plasma, Home Cinéma) et les appareils liés à l’alimentation (congélateur et réfrigérateur) qui sont à limiter. En effet, ils représentent 5 à 10 fois plus que des installations basiques. Par exemple, l’ordinateur de bureau consomme 5 à 6 fois plus qu’un ordinateur portable, soit 150 Watts contre 15 Watts. L’explosion énergétique va de pair avec l’explosion des innovations technologiques. A nous de savoir être raisonnables.
Où en est-on au niveau des normes ?
Thomas Guéret est déçu de la faible implication européenne sur ce sujet. Il existe des outils réglementaires efficaces mais ils sont très peu développés en Europe. En 1992 était lancé le premier étiquetage précis sur les appareils électroménagers. En 1997, une limite de consommation d’énergie était imposée pour les congélateurs et les réfrigérateurs et, en 1999, des produits trop consommateurs ont été supprimés de la vente pour lutter, enfin, contre le réchauffement climatique. Jusqu’à ce jour, un gros lobbying des fabricants d’électroménagers a bloqué l’évolution et la mise en place des normes en Europe.
Au bout de toutes ces années, ceci commence à s’essouffler. Et il était temps car nous sommes extrêmement en retard par rapport aux USA. Les deux continents n’ont, du coup, pas été trop en concurrence. Un exemple d’avancement sur ce sujet est l’ajout de notions énergétiques sur le produit. Elles allaient jusque il y a peu de temps de la lettre A (bon) à G (mauvais). Face aux pressions de toute part, Bruxelles à mis du temps à imposer de nouvelles nuances. En effet ces notations ont été figées et avec l’amélioration écologique, il était nécessaire de réévaluer le niveau. Aujourd’hui, on peut voir les notes A+, A++ et A+++. Le site Internet Top Ten donne des conseils au particulier perdu dans sa recherche d’achat responsable.
Qu’est-il fait en termes de publicité ?
Le Réseau de transport d’électricité (RTE) gère l’équilibre entre l’offre et la demande, il réalise donc régulièrement des anticipations. Cet été, il avait mis en garde la dureté de l’hiver 2009 et avait lancé une campagne de communication et des propositions aux entreprises. Des régions ont eu peur d’être à court d’énergie ; pour faire face, beaucoup de maires ont fait des efforts, notamment sur l’allumage de nuit. C’est positif mais tout le monde ne joue pas le jeu. Un des plus grands problèmes concerne les affiches publicitaires auto-éclairées qui pompent beaucoup d’énergie pour pas grand-chose. Rappelons qu’en France, prêt d’un panneau sur deux est illégal... Il est impossible de savoir exactement combien il y en a sur le territoire, donc il est extrêmement difficile de chiffrer sa part de consommation.
On parle de plus en plus de réseaux intelligents, pouvez-vous nous expliquer ?
Pour enrayer le réchauffement climatique, l’Europe s’est engagée à réduire d’ici à 2020 ses émissions de gaz à effet de serre et sa consommation d’énergie de 20%. Cet objectif nécessite une réorganisation. Les réseaux intelligents, ou « smart grids », explique Benjamin Dessus, sont un ensemble d’outils en circuit court permettant de réduire la consommation. L’Italie et l’Espagne sont très en avance sur nous dans ce domaine.
Par exemple, les compteurs plus ou moins personnels, qui offrent une interaction entre le consommateur et le fournisseur, permettent aussi de comprendre l’utilité de décaler sa machine à laver d’une demi-heure, c’est à dire pour ne pas accentuer une pointe de consommation et du gaspillage. L’objectif est une meilleure compréhension de sa consommation, quand, à quel prix et comment nous pouvons réduire le gâchis et la facture. Le site de la RTE offre une visualisation de la dépense énergétique de la France en temps réel. Le même plus détaillé pour un particulier serait l’idéal. D’autre part, commence à naître une volonté d’installer de petites sources pour compenser les déficits, des réseaux bien plus courts qu’un circuit allant jusqu’en Allemagne. Cela ne suffit pas à nous sauver mais cela limiterait au moins le nombre de pointes.
Thomas Guéret complète avec l’explication du principe de “réseaux bêtes” : c’est-à-dire la diffusion de messages de prévention et d’alertes, qui suffiraient amplement. Mais la priorité est de partager l’idée qu’une vie plus simple et moins axée sur la consommation de tout est aussi une solution : privilégier un livre à la télévision, une promenade plutôt que le surf sur le web, etc. La réflexion générale doit dépasser la technique vers la simplicité et la sobriété. Des structures adaptées, comme les éco quartiers ou l’écotourisme sont à favoriser.
Benjamin Dessus conclut en rappelant que les possibilités d’économie sont considérables, mais qu’il faut se méfier de l’effet rebond. En effet, l’économie d’argent peut partir dans d’autres dépenses d’énergie, comme un billet d’avion par exemple...
L’association négaWatt a pour objectif de promouvoir et développer une démarche basée sur la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables à tous les niveaux de notre société. Elle souhaite ainsi contribuer à la protection de notre biosphère, à la préservation et au partage équitable des ressources naturelles, à la solidarité et la paix par le développement harmonieux des territoires.
L’association a développé un scénario énergétique pour la France et propose une série de politiques et mesures. Elle agit pour : • faire connaître les nouvelles pistes concrètes et accessibles à la « production de négaWatts », • initier tous les citoyens à la démarche proposée et faire évoluer dans ce sens notre société, • s’assurer de la réalité des engagements politiques pris sur l’énergie.
Rassemblant aujourd’hui environ 400 membres, engagés professionnellement dans le domaine de l’énergie, elle est animée par la Compagnie des négaWatts, un collège d’une vingtaine d’experts et praticiens. Tous s’expriment et s’engagent à travers l’association négaWatt à titre personnel et indépendant.
Association négaWatt, Ecosite, BP 147, 34140 Mèze (France) E-mail : contact at negawatt.org Site web : www.negawatt.org
Le réseau électrique français peut-il passer l’hiver sans défaillances ? La consommation, en cas de fortes vagues de froid, dépassera les capacités de production et d’importations.
L’association négaWatt a procédé à l’analyse détaillée des causes et des conséquences de cette situation. Les conclusions de ses experts sont sévères : notre système électrique est « malade de la pointe », c’est-à-dire d’une surconsommation hivernale liée au développement massif du chauffage électrique.
Ce choix structurel unique au monde génère de nombreux perdants au profit de quelques gagnants qui ne sont souvent pas ceux auxquels on pense... De plus les propositions pour y remédier ne sont le plus souvent que de fausses bonnes idées qui entraînent une fuite en avant.
D’autres solutions sont possibles, permettant de réduire structurellement la pointe de consommations sans se contenter de demi-mesures.
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages