Le 9 décembre 1998, le Gouvernement Jospin précisait un certain nombre d’orientations de sa politique nucléaire. Dans les décisions relatives à l’aval du cycle apparaissait un paragraphe qui marquait de façon discrète un profond changement d’attitude du pouvoir politique : « Afin de pouvoir évaluer les coûts de l’aval du cycle, le Gouvernement décide de confier à trois personnalités une étude sur les données économiques de l’ensemble de la filière nucléaire, y compris le retraitement, au regard des autres sources d’énergie et compte tenu des différentes hypothèses contenues dans le rapport du Plan « Énergie 2010 » ainsi que de la conjoncture énergétique internationale. » Pour la première fois en France, l’évaluation économique du nucléaire sortait de façon officielle du cercle étroit et fermé de ses promoteurs. Quelques mois plus tard, par lettre de mission du 7 mai 1999, le Premier ministre confiait à Jean-Michel Charpin, Benjamin Dessus et René Pellat la responsabilité de conduire cette évaluation. Remise au Premier ministre en juillet 2000, cette « Étude économique prospective de la filière électrique nucléaire » (ou “rapport Charpin-Dessus-Pellat”) arrive à point nommé pour mettre les choses à plat et procéder au classement nécessaire de ce qui est acquis en la matière et de ce qui doit continuer à être discuté.
• Étude économique prospective de la filière électrique nucléaire (*) [274 pages, 1 Mo, fichier pdf] Jean-Michel Charpin, Benjamin Dessus et René Pellat, Rapport au Premier ministre, juillet 2000, 274 pages (*) Communément appelée “Rapport Charpin-Dessus-Pellat” > Introduction Chapitre 1 – Pour la France : l’héritage du passé 1. Les marges de manœuvre attachées au parc actuel 2. Présentation du parc actuel 3. Bilan matières et bilan économique associés au parc actuel Chapitre 2 – L’évolution internationale 1. Les dynamiques du nucléaire dans le monde 2. L’émergence des problèmes d’environnement à l’échelle internationale 3. Les choix des principaux pays en matière de gestion des combustibles usés Chapitre 3 – Les perspectives technologiques pour l’usage et la production d’électricité 1. Les technologies de maîtrise de la demande d’électricité 2. Les technologies de production d’électricité Chapitre 4 – Des scénarios prospectifs pour la France 1. Deux scénarios de demande à l’horizon 2050 2. La fourniture d’électricité 3. Les bilans matières correspondants Chapitre 5 – Le bilan économique des différents scénarios 1. Préparation des données 2. Les scénarios de prix des combustibles fossiles 3. Coûts d’investissement et d’exploitation des différentes filières de production d’électricité 4. La comparaison des flux et des coûts économiques cumulés associés aux différents scénarios 5. La structure temporelle des dépenses correspondant aux différents scénarios 6. La valorisation de certaines externalités Annexes
Si un seul message devait être adressé au milieu dirigeant nucléaire, ce pourrait être :
« S’il vous plaît, essayez tout simplement de dire ce que vous savez et ce que vous pensez et cessez de cacher ce que vous ne savez pas ».
ÉDITORIAL
L’année 2000 a été fertile en rapports officiels concernant l’énergie et l’environnement : Plan de lutte français contre le réchauffement climatique de la Mission interministérielle de l’effet de serre, Rapport au premier Ministre sur la filière nucléaire, rapport Cochet sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables sont venus nous rappeler l’importance des problèmes d’énergie pour la France et leurs impacts sur l’environnement. Global Chance avait donc primitivement envisagé de présenter et discuter l’ensemble de ces rapports dans le présent numéro. Nous nous sommes rapidement rendu compte que notre ambition était trop vaste et que mieux valait nous consacrer à l’un d’entre eux tout d’abord, le rapport nucléaire, et reporter au début de l’année prochaine l’analyse des autres. Cela nous a paru d’autant plus pertinent que trois événements sont venus ou vont venir modifier la donne en cette fin d’année : l’augmentation très rapide des prix pétroliers avec ses conséquences politiques et sociales, la conférence COP 6 de la Convention Climat à La Haye qui vient de terminer ses travaux, et l’annonce du programme d’efficacité énergétique national demandé par le Premier Ministre à Madame Voynet. Nous consacrerons donc notre prochain numéro à cet ensemble de questions.
Mais revenons à notre propos d’aujourd’hui. Le 9 décembre 1998, le Gouvernement précisait un certain nombre d’orientations de sa politique nucléaire : confirmation du soutien à l’énergie nucléaire mais « dans le même temps, il est nécessaire de préparer une réelle diversification des ressources car la part du nucléaire est destinée à diminuer par rapport aux niveaux actuels », renforcement des efforts de recherche sur le « cycle nucléaire » et plus particulièrement les déchets, respect du principe de précaution. Évolution des modalités de contrôle et de transparence « pour tout ce qui touche à la sûreté des installations et à l’impact sur la santé ». Les points saillants du relevé de conclusion étaient la décision de construire le laboratoire souterrain de Bure pour les recherches sur le stockage des déchets radioactifs (et de lancer la recherche d’un deuxième site en couche granitique) et le lancement de la préparation de la loi sur le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire (ou sur la « transparence nucléaire »). Dans les décisions relatives à l’aval du cycle, apparaissait un paragraphe qui marquait, de façon discrète, un profond changement dans l’attitude d’un gouvernement français vis-à-vis de la filière nucléaire : « Afin de pouvoir évaluer les coûts de l’aval du cycle, le Gouvernement décide de confier à trois personnalités une étude sur les données économiques de l’ensemble de la filière nucléaire, y compris le retraitement, au regard des autres sources d’énergie et compte tenu des différentes hypothèses contenues dans le rapport du Plan “Énergie 2010” ainsi que de la conjoncture énergétique internationale ». Pour la première fois en France, l’évaluation économique du nucléaire sortait de façon officielle du cercle étroit et fermé de ses promoteurs. Quelques mois plus tard, par lettre de mission du 7 mai 1999, le Premier ministre confiait à Jean-Michel Charpin, Benjamin Dessus et René Pellat « l’étude sur les données économiques de l’ensemble de la filière nucléaire ».
Cette demande d’étude s’inscrit dans une actualité qui s’est révélée vivace depuis l’entrée en fonctions du gouvernement Jospin. On peut y déceler deux raisons : la première est que pas mal “d’évènements” significatifs ont eu lieu, la seconde, et ce n’est pas le moindre mérite de ce gouvernement, est que la chape de plomb qui recouvrait l’information sur les questions nucléaires s’est indéniablement soulevée (certains diront un tout petit peu), en grande partie grâce aux efforts constants de Dominique Voynet et à une certaine résurrection de l’action militante, les deux n’étant d’ailleurs pas sans lien. Ces “évènements” se sont produits dans tous les secteurs de la filière nucléaire : contamination des transports de combustibles irradiés, fissures dans les enceintes de la centrale de Belleville, immobilisation pendant près d’un an du palier N4, flambant neuf, à cause d’une erreur de conception dans le circuit de refroidissement à l’arrêt, fuites à répétition sur la canalisation de La Hague, atelier plutonium de Cadarache qui s’avère à haut risque, effets désastreux de la tempête sur la centrale du Blayais, défaillances à répétition de la radioprotection, dysfonctionnements jusqu’au scandale de Dampierre... on en oublie certainement. Tout cela ponctuant des dossiers lourds, âprement discutés sur l’EPR (dont la décision semblait acquise en 1998), l’usine Melox et ses autorisations, l’introduction du MOX dans de nouveaux réacteurs (qui ne se fera sans doute jamais), la préparation de la loi de « transparence nucléaire », les laboratoires souterrains, les défauts de l’application de la loi de 1991 sur le renvoi des déchets issus du retraitement, les enquêtes publiques sur l’usine de La Hague et le centre de stockage de la Manche... Avec en toile de fond la lente régression du nucléaire, le point d’orgue en étant ces années-là l’annonce à l’automne 98 par le nouveau gouvernement allemand de “l’abandon du nucléaire” qui, malgré de difficiles négociations, se confirme dans la pratique, avec ses conséquences sur l’activité française du retraitement et, pour la première fois, une baisse certaine de l’arrogance du “lobby nucléaire”. Mais aussi avec la remontée brutale des coûts du pétrole au cours de l’année 2000 que les promoteurs du nucléaire exploitent avec délectation mais sans beaucoup de discernement car c’est la question des transports qui est posée, beaucoup plus que celle de la production de l’électricité.
Le rapport Charpin-Dessus-Pellat arrive donc a point nommé pour mettre les choses à plat et procéder à un classement nécessaire de ce qui est acquis et de ce qui doit continuer à être discuté. Tout cela va être présenté de façon détaillée dans ce numéro de Global Chance et largement commenté par un vaste éventail d’intervenants. Mais, au-delà du rapport lui-même dont une synthèse et des commentaires sont présentés dans ce numéro, il nous a paru intéressant d’analyser les réactions qu’il suscite dans le milieu dirigeant nucléaire.
Trois attitudes assez nettement tranchées se dégagent. Certains – c’était flagrant lors du colloque sur l’énergie organisé le 17 octobre dans les locaux de l’Assemblée nationale – continuent à faire comme si de rien n’était et à affirmer avec aplomb les mêmes contrevérités qu’auparavant, par exemple que la filière “MOX + retraitement” n’est pas plus chère que la filière sans retraitement ou qu’elle réduit considérablement la quantité de déchets radioactifs. Leur nombre n’est pas considérable mais ce sont souvent les plus haut placés : ils n’ont probablement pas lu le rapport et se contentent de suivre un conseil en communication qui sait qu’un mensonge affirmé par une personnalité fait, pendant un certain temps, figure de vérité : Charpak, ignorantissimus sur les questions énergétiques tout en étant prix Nobel de physique, a fait des émules. Au niveau en dessous (selon la pyramide hiérarchique), se trouvent pas mal de gens qui connaissent effectivement le nucléaire, qui ont lu le rapport et répugnent au mensonge flagrant. Leur attitude est plus souple et se révèle lorsque la conversation est plus détendue. Elle peut se résumer ainsi : « Voyons, le rapport Charpin-Dessus-Pellat n’apporte pas grand-chose : nous, du nucléaire, nous savons depuis longtemps : • qu’il n’y a aucune urgence à construire un EPR, si tant est que ce type de réacteur soit approprié ; • que “retraitement + MOX” est nettement plus cher que “sans retraitement” ; • que le retraitement n’est pas une réponse à la question des déchets... » Le plus fort, c’est qu’ils sont en général sincères : mais, bon sang, pourquoi ont-ils toujours prétendu le contraire ? Personne n’a quand même osé dire qu’il avait prôné depuis longtemps les économies d’électricité comme étant la voie la plus économique (encore qu’un Syrota eut pu le dire sans forfanterie). Cela n’est pas nouveau : nombreux sont ceux de ce milieu qui déclarent aujourd’hui qu’ils avaient toujours pensé qu’il ne fallait pas construire Superphenix (ni la centrale de Civaux). Certains enfin, malheureusement beaucoup plus rares il est vrai, et généralement moins hauts placés dans la hiérarchie des décideurs mais plus proches des réalités de terrain, prennent acte des principaux acquis du rapport quitte à en discuter plus à fond les hypothèses et les conclusions et tentent d’apporter des réponses techniques et économiques aux questions soulevées. C’est avec eux que le dialogue nous intéresse au premier chef, ne serait-ce que pour nous assurer que les questions sociales qui vont évidemment se poser du fait de l’évolution inéluctable du nucléaire (même dans les “scénarios” qui lui sont le plus favorable) ne soient pas laissées de côté par des dirigeants pratiquant la méthode Coué à défaut de stratégie.
Brossée rapidement, l’attitude majoritaire du milieu nucléaire peut paraître risible et digne de Molière. L’ennui est que cela révèle une drôle de mentalité et ne peut malheureusement que renforcer une méfiance générale vis-à-vis de gens qui sont en général des scientifiques et des ingénieurs compétents. Cela traduit aussi la confiscation par un petit nombre de décisions qui relèvent du choix citoyen, notamment sur le niveau de risque acceptable en regard des avantages apportés par une technique particulière. On frémit de penser que le jour où il y aura un accident très grave, les mêmes déclareront avec candeur qu’ils avaient toujours pensé que cela se passerait un jour. Si un seul message pouvait leur être adressé par ce numéro de Global Chance, ce pourrait être : « S’il vous plaît, essayez tout simplement de dire ce que vous savez et ce que vous pensez et cessez de cacher ce que vous ne savez pas ».
Interviews à froid sur un sujet brûlant Entretiens réalisés par Claire Weill et Yves Marignac
Bernard Tinturier (pdf, 140 Ko) Conseiller sur les questions nucléaires auprès du Président d’EDF, François Roussely
Bertrand Barré (pdf, 80 Ko) Directeur de la Recherche et du Développement de la COGEMA, Vice-Président de la Société Nucléaire Européenne
Yves Le Bars (pdf, 172 Ko) Président de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs)
Henri Catz (pdf, 132 Ko) Administrateur salarié du CEA, ancien Secrétaire Général de l’Union Fédérale des Syndicats du Nucléaire
Serge Perez (pdf, 108 Ko) Chercheur au CEA, responsable national de la Fédération Nationale Mines Énergie de la CGT
Benjamin Dessus (pdf, 120 Ko) Directeur du programme interdisciplinaire ECODEV (CNRS), Président de Global Chance, co-auteur du rapport Charpin-Dessus-Pellat
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages