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• Pierre Le Hir : Fessenheim, le renoncement
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Bâtie sur une faille sismique et en zone inondable, raccordée au réseau en 1977, Fessenheim est la plus ancienne des centrales nucléaires en service en France...
« La centrale de Fessenheim [...] sera fermée à la fin de l’année 2016 »
François Hollande, discours d’ouverture de la 1ère conférence environnementale
(Palais d’Iéna / Conseil économique, social et environnemental / 14 septembre 2012)
FESSENHEIM, LE RENONCEMENT
Pierre Le Hir, Le Monde, mardi 31 janvier 2017
Au crépuscule du mandat de François Hollande, force est de constater que la centrale alsacienne, assurée de rester en activité jusqu’à la fin de l’année 2018, a résisté aux velléités présidentielles.
Dans le catalogue des promesses que la gauche n’aura pas tenues, la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim occupera une place emblématique. Elle restera comme un symbole, non seulement d’un manquement à la parole donnée, mais surtout d’un renoncement politique à engager la France vers un modèle énergétique dont l’atome ne serait plus le centre de gravité.
L’accord de gouvernement conclu, en novembre 2011, entre le Parti socialiste et Europe Écologie-Les Verts prévoyait « la fermeture progressive de 24 réacteurs, en commençant par l’arrêt immédiat de Fessenheim ». Un bonneteau préélectoral qui, il est vrai, ne liait pas personnellement le candidat François Hollande.
Mais, dans ses « 60 engagements pour la France », celui-ci avait repris le serment à son compte, sans préciser l’échéance : « J’engagerai la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % à 50 % à l’horizon 2025 (…). Dans ce contexte, je fermerai la centrale de Fessenheim. » Une fois président, il avait fixé pour terme « la fin de l’année 2016 ». Un calendrier dont il n’a ensuite plus dévié.
L’électricien joue la montre
Au crépuscule de son mandat, force est de constater que la centrale alsacienne a résisté aux velléités présidentielles. Quoi qu’il arrive désormais, elle est assurée de rester en activité jusqu’à la fin de l’année 2018, lorsque sera mis en service l’EPR de Flamanville (Manche), qui prendra son relais sur le réseau. Voire jusqu’en 2019 ou 2020, si le nouveau réacteur continue de prendre du retard à l’allumage. Et il n’est même pas certain qu’à défaut d’être effectif l’arrêt de Fessenheim soit au moins entériné avant le départ de M. Hollande.
Certes, le conseil d’administration d’EDF vient de donner son accord à un protocole d’indemnisation, par l’État, du manque à gagner qu’entraînerait l’abandon des deux réacteurs du Haut-Rhin. Mais le sort de Fessenheim n’est pas scellé pour autant. Sa mise à la retraite nécessite que le gouvernement prenne, à la demande de l’entreprise publique, un décret abrogeant l’autorisation de son exploitation.
Or, l’électricien joue la montre et il n’est nullement acquis que ce décret sera signé d’ici à la fin du quinquennat. Les cartes seraient alors rebattues, sous un nouveau gouvernement et une nouvelle majorité parlementaire. Le candidat de la droite et du centre à la présidentielle, François Fillon (LR), s’est ainsi engagé à « stopper la fermeture de Fessenheim » s’il est élu.
Reflet d’une grande faiblesse politique
Bien sûr, la loi de transition énergétique promulguée en août 2015 a posé deux garde-fous. Elle a d’abord gravé dans le marbre la baisse de la part de l’atome dans le bouquet électrique à 50 % « à l’horizon 2025 », même s’il est connu que l’horizon s’éloigne à mesure que l’on s’en approche. Elle a ensuite plafonné la puissance du parc nucléaire hexagonal à son niveau actuel, ce qui impose à EDF, avant de connecter un nouveau réacteur, de débrancher des unités de capacité équivalente. Mais, ce qu’une loi a fait, une loi peut le défaire. Le dispositif imaginé par le gouvernement pour verrouiller le dossier est en réalité d’une extrême fragilité.
Celle-ci n’est que le reflet de la grande faiblesse politique du chef de l’État et de l’exécutif sur un sujet qui, sans être régalien, n’en relève pas moins – ou devrait en tout cas relever – de la puissance publique. Celui des choix énergétiques du pays, dont on voit bien qu’ils continuent d’être dictés par les opérateurs industriels. Cela, alors même que l’État est actionnaire à 85 % d’EDF et qu’il est contraint de renflouer les caisses d’une filière en difficulté.
Confronté au front uni des dirigeants du groupe public, de ses syndicats et des salariés du site alsacien, dans le cas de Fessenheim, et au puissant lobby du secteur nucléaire, dans le cadre plus global de la transition énergétique, le gouvernement a temporisé, tergiversé, louvoyé. La synthèse chère à François Hollande, comme la recherche de « l’équilibre » prônée par la ministre de l’environnement et de l’énergie, Ségolène Royal, se solde par un chantier inachevé, dont il serait plus exact de dire qu’il est à peine entamé.
Trahison
La programmation pluriannuelle de l’énergie, arrêtée par le gouvernement en octobre 2016 avec près d’un an de retard, renvoie à la période 2019-2023 les grands arbitrages sur le parc nucléaire, sans anticiper en aucune façon sa baisse de régime. Le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, est plus visionnaire. Il a déjà fait savoir qu’il prévoyait d’équiper la France de « trente à quarante » EPR, entre 2030 et 2050, pour remplacer les unités arrivées en fin de vie.
On peut naturellement discuter du bien-fondé de la fermeture d’une centrale, Fessenheim, la plus vieille de France (quarante ans), bâtie sur une faille sismique, dans une zone inondable, mais qui a bénéficié d’une cure de jouvence de plus de 300 millions d’euros et que l’Autorité de sûreté nucléaire a jugée apte à servir.
Discuter aussi, plus largement, de la pertinence d’un retrait progressif d’une industrie atomique dont l’économie nationale a largement bénéficié, mais dont le coût de mise aux nouvelles normes de sûreté (plus de 50 milliards d’euros pour le « grand carénage » des réacteurs), sans compter le démantèlement à venir de ses installations et la gestion de ses déchets ultimes, grève la compétitivité, face à des filières renouvelables – solaire, éolien ou biomasse – de plus en plus attractives.
On peut, en effet, discuter de tout et tout discuter. Mais, pour qui veut encore croire à la parole politique, l’abdication de M. Hollande vaut trahison.
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