Il faut un tribunal international pour poursuivre les responsables de politiques écocidaires

, par   Marc Delepouve

Tribune publiée par le journal Libération, sous format papier et format numérique

Le 24 avril 2025, Donald Trump a signé un décret destiné à ouvrir l’exploitation à grande échelle des minerais des grands fonds marins, y compris en eaux internationales. Il crée ainsi les conditions d’une ruée vers ces minerais, hors de tout contrôle et sans limites. Si aucune mobilisation ne parvenait à y faire obstacle, les écosystèmes des grands fonds marins seraient déstabilisés, voire dévastés. L’ensemble du vivant marin en subirait des répercussions majeures. Le risque d’un emballement du changement climatique serait aggravé.

La volonté de protéger les océans émerge au plan international. Les Nations Unies ont proclamé la décennie 2021-2030 Décennie pour les sciences océaniques au service du développement durable. Une coalition pour un moratoire ou pause de précaution sur l’exploitation des fonds marins rassemble une trentaine de pays au sein de l’Autorité internationale des fonds marins. Les États-Unis n’ont pas adhéré à cette organisation forte de 170 membres, fondée en 1994.
Une première Conférence des Nations Unies sur l’Océan s’est tenue en juin 2017, à New-York. Une deuxième en 2022, à Lisbonne. La troisième se tiendra à Nice, du 9 au 13 juin 2025. Le Traité sur la haute mer sera à l’ordre du jour. Depuis 2023, cet instrument juridique international pour la protection des océans et du vivant marin est soumis à la ratification des États. La France l’a ratifié le 5 février 2025. À ce jour, le seuil de 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur n’est pas atteint.

Les États-Unis, qui n’ont pas ratifié le traité, ne sont guère vertueux en matière de protection de notre planète commune et portent une responsabilité historique. Par habitant, ils émettent davantage de gaz à effet de serre que tout autre grand pays. Loin devant la Chine et l’Union européenne, très loin devant l’Inde, mais talonnés par la Russie. Le décret du 24 avril marque une nouvelle étape, vers le pire. Son application contribuerait à la mise en péril des conditions de la vie humaine sur Terre, dans une sombre cohérence avec la politique anti-climatique de D. Trump. Dès son investiture, le 20 janvier 2025, D. Trump a engagé la sortie des États-Unis de l’Accord de Paris. Puis, il a entrepris la démolition de pans entiers des sciences étasuniennes du climat et de l’environnement, interdit aux scientifiques de l’État fédéral de participer à une réunion du GIEC aux enjeux cruciaux, fermé le bureau étasunien chargé de la représentation des États-Unis dans la préparation des COPs.
Pour éviter un effondrement des conditions de la vie humaine sur Terre, une mobilisation internationale est indispensable. C’est un enjeu capital pour toutes les populations humaines, y compris celles des États-Unis. D. Trump fait obstacle à cette mobilisation, aux côtés des grandes entreprises des énergies fossiles. Or, en 1893, le sociologue Émile Durkheim définissait le crime comme un acte qui choque la conscience commune. Qui peut, en conscience, en étant dûment informé, ne pas être profondément choqué par la politique de D. Trump ?

L’histoire pourrait s’accélérer. Pour le pire, si l’hubris, la cupidité et les rapports de force brutaux dominaient toujours plus les relations entre nations. Pour le meilleur, si la conscience commune mondiale, de plus en plus choquée par les actes qui contribuent à la dévastation du système Terre, se traduisait dans le droit. Une mutation des normes du droit intégrant pleinement la question écologique est indispensable, au niveau des nations et à l’échelle internationale. Cette mutation est amorcée. En France, un code de l’environnement a été créé, une charte de l’environnement a intégré la Constitution. Dans des pays de plus en plus nombreux, des actions en justice sont intentées contre l’État pour non respect de leurs engagements climatiques, que ce soit au plan international, de leur constitution ou de leur loi. Les initiatives en faveur de l’introduction du crime d’écocide dans le droit pénal, national ou international, se multiplient. Une douzaine de nations ont franchi le pas. Le 21 avril 2024, le Tribunal international du droit de la mer a été la première juridiction internationale à rendre un avis consultatif sur le climat. Cet avis pourra servir d’appui aux actions en justice contre un État. Cependant, la lenteur de cette mutation du droit contraste avec l’accélération de la dégradation du système Terre.
Sur la voie du meilleur, se poserait la question d’un tribunal international pour tenir le procès de responsables d’actes politiques - tels que la signature par D. Trump du décret du 24 avril et l’ensemble de sa politique anti-climatique et écocidaire - qui, selon les connaissances scientifiques, menacent l’ensemble des populations humaines et l’ensemble du vivant. Avec la plus grande gravité, nous appelons la France à initier, lors de la conférence de Nice, une mobilisation internationale pour décider et conduire ce procès.

Format numérique : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/il-faut-un-tribunal-international-pour-poursuivre-les-responsables-de-politiques-ecocidaires-20250602_E2IPRDP2LZHF5LPGSY3PLP5ZLY/

Signataires : Edgar Blaustein, expert en politiques énergétiques, membre du bureau de Sciences citoyennes ; Monique Chemillier-Gendreau, juriste, spécialiste du droit international ; Marc Delepouve, chercheur associé au laboratoire HT2S-Cnam, spécialiste du climat et des relations sciences et politique, auteur de cette tribune ; Bernard Laponche, ancien directeur général de l’Agence française de la maîtrise de l’énergie, président de Global Chance ; Matthieu Latapy, chercheur, spécialiste d’Internet et des réseaux complexes, porte parole de Sciences citoyennes ; Valérie Lilette, docteure en anthropologie de l’environnement, cheffe de projet environnement climat ; Sébastien Mabile, avocat, spécialiste du droit de l’environnement ; Gustave Massiah, urbaniste, cofondateur du Forum social mondial ; Loïc Petitgirard, professeur des universités, en histoire des sciences et des techniques, directeur du laboratoire HT2S-Cnam ; Isabelle Stengers, philosophe, spécialiste de philosophie des sciences ; Jacques Testart, biologiste, président d’honneur de Sciences citoyennes.