À quelques mois de COP21, la négociation climat occupe le devant de la scène, non sans renoncements et faux-semblants, mais la question nucléaire continue à faire la une en France, tant la réalité y dépasse la fiction...
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ÉDITORIAL
La préparation de la COP 21, présentée régulièrement comment la dernière chance de trouver un accord international sur le climat à la hauteur du défi à relever, avec ses espoirs parfois un peu cocorico, ses incertitudes et ses renoncements anticipés, se situe dans une histoire de négociation multilatérale vieille aujourd’hui de 23 ans (Rio 1992) avec ses avancées et ses reculs, ses promesses et ses renoncements, aussi bien en termes de méthodes et objets de la négociation qu’en termes d’objectifs et de partenaires principalement concernés.
Au cours de cette période, la connaissance et la prise de conscience du grand public de la réalité et de l’imminence des dangers encourus se sont constamment renforcés, poussant les gouvernements à prendre en compte, avec plus ou moins de réticences, l’urgence de la question climatique dans leur projet politique. L’émergence de puissances industrielles majeures comme la Chine, devenu le premier responsable des émissions de GES au monde, devant les États-Unis, rebat d’autre part les cartes du jeu géopolitique.
C’est donc à l’issue de longues négociations menées dans le cadre des Nations Unies, mais dans un contexte géopolitique, économique et énergétique profondément différent de celui du début des années 90 que se profile la prochaine négociation.
Mais la crise économique de 2008, avec ses conséquences mondiales sur la croissance, le pouvoir d’achat et l’emploi et, plus récemment, l’effondrement des prix du pétrole ont souvent servi de prétexte à nos gouvernements pour reléguer la question climatique à des jours meilleurs, quand la crise serait passée et la croissance revenue. En France même où le climato-scepticisme n’a pas réellement percé, les opposants à une action vigoureuse de lutte contre le climat justifient leur passivité par le fait que la France n’est responsable que de moins de 1,5 % des émissions mondiales de GES ou affirment que l’objectif de limiter à deux degrés le réchauffement au cours du siècle n’est déjà plus tenable et proposent de « renégocier » à la hausse (vers 2,5 voire 3 degrés) l’objectif avec la communauté scientifique, comme s’il s’agissait d’une enchère à l’américaine !
C’est pourquoi nous consacrons un article à ce cadrage historique et géopolitique indispensable (Michel Colombier) et un article à la façon dont l’action pour la prévention des émissions de gaz à effet de serre est prise en compte en Afrique de l’ouest.
D’autre part, comme nous l’avons fait de nombreuses fois à propos du méthane, nous alertons nos concitoyens et les pouvoirs publics sur l’importance majeure, aussi bien en termes climatiques qu’en terme de développement, des questions de lutte pour la préservation des sols agricoles en voie de disparition par désertification ou artificialisation. Cette très importante question semble aujourd’hui complètement absente de la préparation de COP 21, alors que les enjeux climatiques et alimentaires d’une politique mondiale de restauration des terres dégradées, (très peu coûteuse à la tonne de CO2 séquestré) sont considérables (voir article de Monique Barbut).
Nous profitons de cette discussion des questions d’usage des terres pour engager à Global Chance une première réflexion (Jean Claude Ray) sur la question des pratiques agricoles alternatives à la production intensive actuelle, dont les conséquences négatives en termes d’emploi, de santé, d’environnement local de biodiversité et d’émissions de gaz à effet de serre (en particulier du fait des dépenses énergétiques qu’entraîne la fabrication et des émissions de N2O associées à l’usage intensif des engrais azotés) sont devenues majeures.
Reste qu’en France, bien plus que la transition énergétique, c’est toujours la question nucléaire qui continue à faire la une, tant la réalité dépasse la fiction.
L’histoire des dix dernières années montre tristement que nous avons été bien loin, nous qui étions pourtant très critiques vis-à-vis de l’EPR, d’avoir eu assez d’imagination pour anticiper une telle catastrophe économique et industrielle. Non, nous n’avons pas su « Imaginer l’inimaginable » comme le proposait Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN à propos des accidents nucléaires majeurs.
En 2004 nous affichions pourtant déjà (1) nos doutes sur l’économie du projet EPR : « On parle d’un démonstrateur à 3 milliards d’euros et le Ministère de l’Industrie d’un coût de 1 040 euros 2004 le kW (1 240 € 2015) pour le réacteur de série (10 exemplaires) 22 % inférieur à celui que nous avions retenu dans le rapport Charpin Dessus Pellat quatre ans plus tôt avec l’accord de Framatome et un coût du MWh de 20 € (23,80 € 2015) externalités comprises… »
Sept ans plus tard, en 2011, dans l’introduction, de « Nucléaire : le déclin de l’empire français » (2) nous rappelions que « Il y a trois ans, Nicolas Sarkozy annonçait la construction d’un nouvel EPR à Penly « l’appartement témoin » de la série de réacteurs que la diplomatie française se faisait fort de diffuser, à coups de contrats à 5 milliards pièce, d’Abu Dhabi en Chine en passant par les États-Unis, la Lybie et la Grande Bretagne… Aujourd’hui, ajoutions-nous, personne ne sait plus si Penly se fera, ni quand. Tout le monde sait par contre que l’EPR de Flamanville sera au moins trois ans en retard et coûtera plutôt cinq milliards d’euros que trois, que l’EPR finlandais coûtera six milliards d’euros au lieu de trois et aura quatre ans de retard… Les chantiers français à l’international se résument toujours à deux sites. »
Nous étions pourtant encore bien en deçà de la vérité, puisqu’en décembre 2012 EDF annonçait que le coût de l’EPR de Flamanville passerait de 6 milliards à 8,5 milliards pour un démarrage en 2016. Et le 18 novembre 2014, nouveau rebondissement : le réacteur ne démarrerait qu’en 2017 sans plus aucune indication de son nouveau coût.
Alors, dans une tribune parue le 25 mars dernier (3), nous nous sommes un peu lâchés en prévoyant que nous parviendrions au fameux facteur 4, non pas comme on aurait pu l’imaginer naïvement sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais sur le coût du nucléaire. Et peut-être même bien avant 2040 !
Nous avons une fois de plus pêché par naïveté. Car quinze jours après, il fallait déjà revoir notre copie : l’inimaginable devenait possible, puisque la sûreté des cuves de cinq EPR sur les six en construction ou en espoir de commande était gravement remise en question, avec des conséquences majeures sur le coût de l’opération. Le facteur 4 sur le coût du kWh EPR est donc en passe d’être acquis !
Quant au déficit d’Areva qui dépasse 0,50 euro par euro de matériel et services vendu (4,8 milliards sur un chiffre d’affaire de 9 milliards), on n’ose même plus en parler, s’il faut changer la cuve de Flamanville, celles des deux réacteurs chinois et celles de Hinkley Point. L’acharnement thérapeutique de ses zélateurs sur le moribond, émaillé de déclarations lénifiantes, voire négationnistes sur les conséquences de l’accident de Fukushima (4) et de promesses de lendemains qui chantent aurait un caractère presque risible si ses conséquences présentes et plus encore futures n’étaient pas aussi catastrophiques : le maintien, voire le renforcement des risques d’accident majeur, l’accumulation des déchets en berne, un blocage rétrograde de la transition énergétique illustré par la tentative gouvernementale de retarder au maximum la publication par l’Ademe de son scénario « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 »…
Dans ces conditions, il nous faut une fois de plus revenir sur cette question du nucléaire dans nos colonnes : analyse des conséquences des accidents de Tchernobyl (Jean-Claude Zerbib) et de Fukushima (David Boilley), perspectives de coût de l’EPR (Benjamin Dessus), projet de réacteur Atmea face à ses concurrents et projet de surgénérateur Astrid (Bernard Laponche), scénario tout renouvelable de l’Ademe (Benjamin Dessus), le GIEC et le nucléaire (Bernard Laponche).
Dernière minute et cerise sur le gâteau de l’inimaginable : on apprend qu’EDF a rejeté dans la Loire une quantité indéterminée de plutonium en fusion du réacteur de St Laurent lors d’un accident survenu en 1980. L’ASN était au courant de ce rejet. Pourtant, aucune mesure de protection des populations de la vallée de la Loire n’a été entreprise et le secret a été maintenu 35 ans, jusqu’à ce que Marcel Boiteux (ancien président d’EDF) vienne expliquer tranquillement à la télévision que ce n’était certes pas bien mais pas grave…
Décidément, à Global Chance, nous manquons totalement d’imagination !
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages