En vingt ans le climat est devenu une préoccupation internationale majeure, qui institue une solidarité de fait entre les pays et appelle la mise en œuvre d’une “gestion” collective de ce bien public international, avec comme corollaire la nécessité d’une restriction forte de la souveraineté des États. Parallèlement, la négociation sur le climat a fait entrer l’environnement au cœur de la machine économique : réduire les émissions de gaz à effet de serre implique de toucher à un élément central de la croissance, l’utilisation de l’énergie, et de changer les modèles de consommation qui en sont le moteur. Les États réunis à Kyoto en décembre dernier se sont d’ailleurs mis d’accord sur des objectifs quantitatifs de réduction, mais aussi sur la création d’un marché international des droits d’émission de gaz à effet de serre. Cette idée de recourir aux instruments de marché pour gérer la nature n’est pas nouvelle, mais créer de toutes pièces un marché planétaire est un événement sans précédent. Et tandis que ce futur “marché carbone” fait dans le cadre des négociations l’objet d’un grand jeu de poker où le bluff est la règle, une autre question est restée en suspens : celle de l’équité et de la justice dans le partage des ressources de la planète entre tous ses habitants. C’est pourquoi il faut aujourd’hui, au-delà des gesticulations diplomatiques, rappeler où sont les vraies questions à résoudre, dissiper le rideau de fumée, identifier les responsabilités, et montrer que les alternatives sont possibles.
En vingt ans le changement du climat est devenu une préoccupation internationale majeure. Après un long débat scientifique et technique, l’idée d’un réchauffement du climat produit par l’activité humaine s’est imposée. Si l’on ne fait rien, dans vingt, cinquante ou cent ans, nous subirons la montée du niveau des océans, l’aggravation des tempêtes ou la désertification de certaines régions. Ceux qui s’alarment le plus de ce phénomène sont aujourd’hui les pays qui en sont les principaux responsables. Un américain contribue chaque année cent fois plus au changement climatique qu’un Bengali. Mais ce sont les habitants des deltas du Bangladesh ou des zones sèches d’Afrique qui souffriront le plus des variations du climat. La négociation sur le climat a fait entrer l’environnement au cœur de la machine économique. Qu’on en juge : réduire les émissions de gaz à effet de serre implique de toucher à un élément central de la croissance, l’utilisation de l’énergie, et de changer les modèles de consommation qui en sont le moteur. L’usage de l’atmosphère crée une solidarité de fait entre les pays. Celle-ci, et la perception du risque majeur du réchauffement du climat, ont conduit à ouvrir une négociation sur un bien public international qui restreint fortement la souveraineté des États. Des négociations globales ont déjà eu lieu, mais elles ont jusque-là concerné pour l’essentiel le champ économique de la libéralisation des échanges. Depuis 1948, en effet, la communauté internationale a mis au premier rang de ses préférences la libéralisation des échanges comme le bien public indispensable au fonctionnement du système économique. Kyoto marque un tournant, puisqu’on y a négocié, comme au sein de l’OMC, et à une grande échelle, des éléments de droit et des instruments économiques, mais cette fois pour protéger l’environnement. Ces négociations touchent de fait aux règles de la concurrence internationale puisque les mesures prises peuvent réduire la compétitivité des industries. Or les règles de la concurrence sont négociées ailleurs et avec une autre logique. Ainsi, Kyoto montre le besoin croissant de revoir l’architecture du système de régulation de l’économie mondiale. Les pays qui participent à la convention sur le climat et qui se sont réunis à Kyoto en décembre dernier se sont mis d’accord sur des objectifs quantitatifs de réduction et sur la création de nouveaux mécanismes économiques. Ces mécanismes établissent pour chaque pays des droits à émettre des gaz à effet de serre, des « droits de tirage » sur l’atmosphère et sa capacité de recyclage de ces gaz. Une fois ces droits acquis, les pays et, au-delà, les entreprises, pourront les échanger, créant ainsi un marché des permis négociables. Cette idée de recourir aux instruments de marché pour gérer la nature n’est pas nouvelle, mais créer de toutes pièces un marché planétaire est un événement sans précédent.
Ce mécanisme mobilise aujourd’hui l’essentiel de l’attention et fait l’objet des spéculations les plus fantaisistes : un marché mondial où on vend « de l’air » est en effet propre à exciter les esprits, tant il représente la figure allégorique d’un système capitaliste global, complet, où tout est enfin entré dans la sphère du marché. Ce marché fait aussi l’objet d’un grand jeu de poker où le bluff est la règle : personne ne sait comment il va effectivement fonctionner, mais une course de vitesse est engagée entre les négociateurs, les lobbyistes, tous les acteurs du réseau de décision, pour créer des situations qui sembleront irréversibles. Tout ce bruit peut aussi faire oublier l’essentiel, la nécessité de réduire effectivement les émissions de gaz et de restreindre les possibilités de tricherie. Un pas a été fait à Kyoto pour infléchir les comportements irresponsables de nombreux pays développés. Il faudra, étape après étape, faire converger les efforts pour que ces réductions soient à la hauteur du problème du réchauffement climatique.
Mais une autre question est restée en suspens, celle de l’équité et de la justice dans le partage des ressources de la planète entre tous ses habitants. Cette question paraît infiniment plus difficile à résoudre pour les négociateurs que de créer un marché de l’air et elle mobilise beaucoup moins d’énergies et de créativité. Pourtant, définir des droits au développement et négocier leur répartition équitable entre tous est la première nécessité. Aucun accord international ne résistera longtemps si ce problème n’est pas traité. Rappeler, au-delà des gesticulations diplomatiques, où sont les vraies questions à résoudre, dissiper le rideau de fumée, identifier les responsabilités, montrer que les alternatives sont possibles : c’est l’objectif de ce numéro coédité par Solagral et l’association Global Chance.
Laurence Tubiana (Solagral) Benjamin Dessus (Global Chance)
Éditorial : L’équité avant le marché (pdf, 37 Ko) Laurence Tubiana (Solagral) et Benjamin Dessus (Global Chance)
Le bilan de Kyoto
On n’y croyait plus : Engagements fermes (pdf, 152 Ko) Entretien avec Benjamin Dessus (Global Chance), Alain Lipietz (Les Verts), et Michel Colombier (International Conseil Énergie) Rapports de force : Un marchandage planétaire (pdf, 134 Ko) Michel Mousel (4D – Dossiers et Débats pour le Développement Durable) Diagnostic : Une science moins contestée (pdf, 87 Ko) Sybille Van den Hove (Centre d’économie et d’éthique pour l’environnement et le développement) Mauvais joueurs : L’improbable gendarme mondial (pdf, 82 Ko) Henri Lamotte (Ministère de l’Economie et des Finances) ONG : La mobilisation continue (pdf, 113 Ko) Delia Villagrasa (Climate Action Network - Europe) Industries : Les lobbies perdent un round (pdf, 52 Ko) Yves Leers (AFP)
Débats
Positions Union Européenne : Transformer l’essai (pdf, 138 Ko) Entretien avec Jim Currie (Commission Européenne) États-Unis : Ratification sous conditions (pdf, 239 Ko) Michael Toman (Resources for the Future) Banque Mondiale : Des dollars plus verts (pdf, 87 Ko) Entretien avec François Falloux (Banque Mondiale)
Permis négociables Règles d’échange : Le grand flou (pdf, 245 Ko) Jean-Charles Hourcade (CIRED-CNRS) États-Unis : Un marché qui sent le soufre (pdf, 76 Ko) Fiona Mullins (OCDE) Régulation par le marché : Chacun peut y gagner (pdf, 62 Ko) par Graciela Chichilnisky (Université de Columbia) Europe centrale et orientale : Du vent à revendre (pdf, 120 Ko) Zbigniew M. Karaczun (Climate Action Network - Central and Eastern Europe) Attribution des quotas : Équité ou loi du plus fort ? (pdf, 199 Ko) Anil Agarwal (Centre for Science and Environment)
Rapports Nord/Sud Développement durable : Réinventer la solidarité (pdf, 230 Ko) Benjamin Dessus (Global Chance) et Michel Colombier (International Conseil Énergie) Non engagés : Le Tiers-monde fait fausse route (pdf, 67 Ko) José Goldemberg (Université de Sao Paulo) Costa-Rica : Gare aux chèques en bois (pdf, 52 Ko) Jean Labrousse (Ingénieur en météorologie)
Politiques et mesures
Infrastructures économiques : L’environnement, levier du développement (pdf, 130 Ko) Benjamin Dessus (Global Chance) et Michel Colombier (International Conseil Énergie) Nucléaire : La fin d’un règne ? (pdf, 71 Ko) Mycle Schneider (Wise Paris) Politiques publiques : Des efforts bien modestes* (pdf, 300 Ko) Antoine Bonduelle (Réseau Action-Climat France) * contient deux encadrés : Sobriété ou gaspillage (pdf, 120 Ko), par Michel Colombier et Benjamin Dessus / La Pologne à petits pas (pdf, 177 Ko) par Zbigniew M. Karaczun Transports : Organiser l’espace (pdf, 124 Ko) Walter Hook (Institute for Transportation and Development Policy) Initiatives locales : Villes en campagne (pdf, 58 Ko) Virginia Sonntag-O’Brien (Iclei Europe) Collectivités territoriales : L’écologie c’est rentable (pdf, 222 Ko) Antoine de Ravignan (Courrier de la Planète) Entreprises : Les Trois Suisses : créneau vert (pdf, 52 Ko) Entretien avec Rémi Souchon (chargé de mission environnement au sein du groupe Trois Suisses) Agriculture : Régime sec (pdf, 150 Ko) Jean-François Soussana (Inra/Solagral)
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages