Si la première marge de manœuvre énergétique dont dispose l’humanité se situe du côté de la demande d’énergie et non pas seulement de l’offre d’énergie, fût-elle renouvelable, nombreux sont désormais ceux qui voient dans le développement des énergies renouvelables une réponse majeure aux différents problèmes du siècle qui s’ouvre. De fait, la croissance des inquiétudes face au risque climatique et la prise de conscience après les attentats du 11 septembre de la vulnérabilité des systèmes énergétiques hypercentralisés qui sont la règle dans les pays industrialisés (et en particulier des centrales nucléaires implantées dans nombre d’entre eux) se traduisent par un engouement sans précédent pour les énergies renouvelables. Mais qu’y a-t-il derrière le consensus quasi général exprimé par la plupart des acteurs politiques et de nombreux industriels sur l’adéquation de l’ensemble des renouvelables et le développement durable ? Quels sont les enjeux, au Nord comme au Sud, quelles sont les réalités cachées derrière les discours des uns et des autres, quelles sont les perspectives et les priorités ?
C’est la première fois que Global Chance, qui fête ses 10 ans d’existence en 2002, consacre tout un numéro aux énergies renouvelables. Très souvent évoquées en même temps que les autres ressources énergétiques mobilisables aussi bien en Europe ou en France que pour l’ensemble du monde dans nos Cahiers successifs, elles nous ont paru justifier aujourd’hui un numéro spécial. Nous avons choisi délibérément de nous placer du point de vue du développement durable et de confronter discours et réalités à cette nécessité.
Inquiets face au risque de réchauffement du climat et sensibilisés après les attentats du 11 septembre à la fragilité des systèmes énergétiques hyper-centralisés qui sont la règle dans les pays industrialisés, nombreux sont ceux qui dans ces pays voient dans le développement des énergies renouvelables une réponse majeure (au côté ou non du nucléaire) aux différents problèmes du siècle qui s’ouvre.
Les organisations internationales, de l’ONU au G8, proposent des plans de relance des énergies renouvelables, l’Europe promulgue des directives, l’Office Parlementaire des Choix Scientifiques et Techniques français y consacre un rapport et propose des priorités controversées. Bref, dans les pays industrialisés, une vogue nouvelle pour ces nouveaux modes de production d’énergie.
Global Chance a déjà eu l’occasion bien des fois de rappeler que la première marge de manœuvre énergétique dont dispose l’humanité se situe du côté de la demande d’énergie (la maîtrise de l’énergie) et non pas seulement de l’offre d’énergie, fût elle renouvelable. Il reste indispensable de le rappeler une fois de plus dans un contexte où la plupart des décideurs continuent à n’envisager la question énergétique et environnementale qu’en termes de production et de substitutions d’énergies.
Cela étant dit, qu’y a-t-il en effet derrière le consensus quasi général exprimé par la plupart des acteurs politiques et de nombreux industriels sur l’adéquation de l’ensemble des “EnR”, les énergies renouvelables, et le développement durable ? Quels enjeux au Nord et au Sud, quelle réalité derrière les discours des uns et des autres, quelles perspectives et quelles priorités ?
Pour éclairer ces différentes questions nous avons choisi une présentation en trois parties.
Dans un premier chapitre, nous regroupons une série de données de base de nature factuelles, en définissant les différentes filières renouvelables, en analysant leurs spécificités, en les confrontant qualitativement et quantitativement aux besoins du développement.
Le deuxième chapitre est consacré aux perspectives que tracent les uns et les autres au développement de ces énergies : place des renouvelables dans les divers scénarios mondiaux à moyen et long terme, problèmes d’environnement, rôle éventuel des ruptures technologiques.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le troisième chapitre aborde la question de l’adéquation des objectifs et des politiques (mises en œuvre ou proposées) aux impératifs du développement durable : EnR et développement durable dans les pays du Nord et du Sud, EnR et politique de coopération française, expériences des EnR en Afrique, comparaison des méthodes d’incitation au développement des EnR en Europe, analyse sociologique des réticences à l’adoption des EnR, analyse critique du récent rapport parlementaire, autant d’éléments qui permettent d’apporter des éclairages diversifiés sur cette confrontation sans concession du discours et de la réalité.
En guise de conclusion, bien évidemment partielle et provisoire, la rédaction de Global Chance tente d’apporter quelques éléments de synthèse, de réflexion et de proposition pour l’action sur la question traitée dans ces Cahiers.
Les analyses présentées dans ce numéro ne prétendent évidemment pas à l’exhaustivité, ni sur les énergies renouvelables elles mêmes, ni sur leurs rapports et leur contribution au développement durable.
Nous avons d’abord tenté de rappeler des données de base et des ordres de grandeur concernant ces différentes énergies qui sont trop souvent négligées. Nous avons aussi présenté des éléments de réflexion et des points de vue nouveaux sur un domaine qui semble faire l’objet aujourd’hui dans la plupart des sphères nationales et internationales d’un consensus dont on peut se demander parfois s’il ne cache pas en fait, derrière le discours, des divergences notoires d’interprétation, d’espoirs et d’objectifs réels.
Premier constat : l’analyse qualitative quantitative et géographique des enjeux pour les différentes filières devrait amener à nuancer l’approche répandue selon laquelle les EnR sont avant tout un enjeu pour le développement des pays du Sud : en fait, si l’on tient compte des besoins à satisfaire dans les décennies qui viennent, les potentiels globaux raisonnablement mobilisables au Nord et au Sud sont voisins, même s’ils sont très différentiés, filière par filière.
Second constat : l’accès à ces potentiels renouvelables est beaucoup plus facile dans les pays du Nord que dans les pays en développement. Dans les pays industrialisés en effet, le problème de l’introduction des renouvelables n’est principalement qu’une affaire de substitution sur un marché existant, très développé et solvable. Dans les pays du Sud au contraire il s’agit bien souvent de développer l’accession à des services énergétiques inexistants ou très insuffisants, en faveur de consommateurs pauvres, dans des zones dispersées, et dans des conditions techniques et de risque défavorables, donc de bâtir une réponse à la question « qui pourra payer quoi ? ».
La responsabilité du Nord
La première responsabilité des pays du Nord en ce qui concerne les énergies renouvelables au service du développement durable est donc de dépasser le discours « armons-nous et partez » et de changer de rythme d’introduction de ces énergies au niveau domestique. Nombre de technologies ont atteint un degré de maturité technique suffisant pour permettre leur diffusion. Au Nord les industries pour les produire existent même si elles n’ont pas encore atteint leur taille optimale, les surcoûts économiques initiaux de ces énergies (quand ils existent) restent la plupart du temps tout à fait acceptables pour les usagers ou la société. Enfin, il existe une panoplie d’outils économiques dont on commence à bien connaître les avantages et les effets pervers éventuels, pour accompagner l’effort industriel et la diffusion des produits sur le marché.
Reste donc principalement à dépasser les barrières culturelles et politiques qui freinent ce développement sans lequel tout discours sur les EnR et le développement durable (en particulier la lutte contre le changement climatique) et les pays du Sud restera largement incrédible. Ce dépassement suppose la mobilisation citoyenne en faveur du développement durable. Tant que le débat sur ces questions restera cantonné au seul dialogue entre pouvoirs publics et lobbies industriels il y a en effet toutes chances que la question du développement des EnR reste totalement marginale.
Ne pas se tromper de cible pour la coopération
Au moment où la coopération Nord-Sud tente de redéfinir ses objectifs autour de la notion de « biens communs globaux » (l’accès à l’eau, à l’énergie, à la santé, à l’éducation, à la mobilité, etc.), et où il a été décidé dans le contexte international que les financements Nord-Sud vont de plus en plus abonder les budgets des pays hôtes (plutôt que des projets souvent définis par les bailleurs), la pertinence des solutions renouvelables proposées par les industriels du Nord vis-à-vis des besoins d’un accès à l’énergie le plus favorable au développement des PED et à la lutte contre la pauvreté ne va pas de soi.
Dans un très grand nombre de cas, l’utilisation rationnelle d’énergies fossiles se révèle plus accessible aux PED que les renouvelables, par manque d’industries et de capacités de maintenance locale et plus encore peut être pour des raisons purement financières. La situation présente est bien sûr susceptible d’évoluer, mais cela suppose d’établir avec chaque pays du Sud une stratégie pluriannuelle de développement énergétique indexée sur ses propres schémas de développement économique et social. Pour cette raison - ou plutôt cette absence de raison - l’effort de financement de la diffusion des EnR dans les PED par les bailleurs du Nord est très décalé par rapport aux besoins réels de développement des PED. C’est le cas par exemple pour l’électricité photovoltaïque qui bénéficie de programmes beaucoup plus importants que la modernisation de l’utilisation de bois de feu et de la biomasse (chaleur industrielle, électricité) de la part des grands bailleurs, alors que les enjeux en termes de développement économique, industriel et social sont bien plus significatifs pour la biomasse.
Plus que d’effets d’annonces et de grands programmes emblématiques qui risquent de détourner largement l’aide publique au développement de son objectif principal, le développement, au profit d’une aide à l’exportation et au développement industriel des industries des pays du Nord, les PED ont besoin d’être aidés à faire une analyse sérieuse des solutions les plus adaptées à leur dynamique et d’un financement au cas par cas de leurs besoins d’accès à l’énergie.
C’est alors au choix des infrastructures de développement (équipement rural des services de base, urbanisme, habitat, transports, infrastructures industrielles) et à la maîtrise de l’énergie qu’il faut accorder la plus grande importance, et, dans ce cadre, au choix des ressources énergétiques, renouvelables ou non, les plus adaptées à la satisfaction des besoins engendrés par l’usage de ces infrastructures. Ce faisant on traitera dans la foulée les besoins sociaux, ceux liés au développement économique et à l’environnement local comme à l’environnement global.
Dans ce cadre les énergies renouvelables ont un rôle majeur à jouer. Mais si nous ne voulons pas gâter l’espoir qu’on peut légitimement mettre dans leur émergence au service du développement durable, il est urgent de changer de vitesse chez nous, pays riches qui pouvons nous payer les surcoûts éventuels d’apprentissage de leur utilisation.
Nous le devons à la planète puisque nous sommes les premiers responsables des problèmes de changement climatique et d’une grande part d’autres problèmes de pollution (océans, etc.), et nous pouvons agir pour que l’attitude de l’Europe contribue à dissiper l’image d’un Nord monolithique, uniquement préoccupé par la libéralisation des marchés et le fonctionnement de l’OMC.
Nous le devons aussi aux pays du Sud, à la fois pour leur laisser l’espace indispensable à leur développement qui exigera sans aucun doute un recours accru aux fossiles et pour leur transférer à terme des technologies renouvelables sûres et bon marché.
Une ambition pour l’Europe
Pour cela il nous faut, en particulier nous Européens :
• Définir soigneusement des objectifs ambitieux mais raisonnables à 10 et 20 ans pour chacun des couples énergie renouvelable - usage les plus significatifs (la biomasse pour le chauffage et l’électricité, l’électricité éolienne, la construction et la réhabilitation bioclimatique, le chauffage solaire, etc.) compatibles avec les enjeux qu’on peut assigner à chacun de ces couples en Europe, plutôt que de se laisser guider par les seules ambitions des lobbies producteurs.
• Ne pas changer d’avis tous les matins sur les priorités d’action comme nous le propose aujourd’hui le rapport de l’OPECST pour la France à propos du programme éolien, à peine entamé, en tentant une diversion vers d’autres programmes dont la justification ne semble pas guidée par des arguments chiffrés réalistes.
• Engager avec les pays du Sud une effort partenarial de coopération centré sur l’aide à la définition et au financement des infrastructures de développement les plus économes en énergie et les plus respectueuses à long terme de l’environnement et, dans ce cadre, sur les énergies les plus utiles à leur développement. C’est dans ce contexte de partenariat, de transfert de technologies, d’appropriation industrielle, économique et sociale que les filières renouvelables trouveront une place importante et efficace dans le développement durable des pays du Sud.
C’est le sens de l’Appel de Bellevue pour un nouveau partenariat Nord-Sud que nous avons lancé en juin dernier à travers toute l’Europe et qui a rencontré immédiatement un écho très favorable auprès de la communauté scientifique et des acteurs de la coopération européenne du développement et de l’environnement.
Dix ans après Rio il nous semble urgent de confirmer, tant dans les politiques nationales (au Nord et au Sud) que dans les politiques de coopération, cette vision de ce que devrait être la contribution de l’énergie au développement durable. C’est pourquoi nous engageons l’Europe à prendre une initiative d’ampleur au prochain sommet de Johannesbourg qui manifeste d’un tel renouveau politique et citoyen.
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages