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• Yves Marignac (interview) : NégaWatt 2017, un appel à la sobriété énergétique
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NÉGAWATT 2017, UN APPEL À LA SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQUE
Yves Marignac (interview), L’Humanité, mardi 7 février 2017
L’association NégaWatt, collectif d’experts dans les domaines touchant à l’énergie, a publié une actualisation de son projet pour une transition énergétique réussie en France. L’association livre des pistes pour réduire notre consommation d’ici à 2050 et sortir des hydrocarbures et du nucléaire. Entretien avec Yves Marignac, son porte-parole.
Le scénario NégaWatt 2017 imagine une France à 100 % d’énergie renouvelable en 2050 qui, selon lui, ne coûterait pas plus cher sur le long terme que la prolongation du système actuel. Mais, tous ces changements ne se feront pas sans une profonde transformation de notre manière de circuler, de nous loger et sans un aménagement du territoire revu de fond en comble.
Dans votre étude, il est question de sobriété et d’efficacité afin de réduire la facture énergétique de la France. Pour le transport, vous êtes ainsi favorable au covoiturage, au développement des transports en commun, au train pour les marchandises… Or, aujourd’hui, la SNCF ferme des lignes et les cars Macron se développent. N’est-ce pas en totale contradiction avec ce que vous avez imaginé ?
Les responsables politiques disent vouloir encourager le transport modal du routier vers le fret, mais il ne se passe rien, alors même que les outils et les capacités sont là. Pour moi, l’exemple le plus frappant de ce manque de volonté a été l’abandon de l’écotaxe, censée réduire la part du transport du fret par la route. Celle-ci mettait pourtant en évidence certaines absurdités comme celle qui veut que le porc breton soit transporté par camions vers l’Allemagne pour être transformé. L’écotaxe bien redistribuée aurait permis de relocaliser cette activité au lieu de l’externaliser.
Pour atteindre cette plus grande sobriété énergétique, vous insistez aussi sur la nécessité de mettre fin au rêve pavillonnaire des Français. Pouvez-vous nous expliquer en quoi posséder une maison représente un frein ?
L’étalement pavillonnaire n’est plus tenable d’un point de vue énergétique, mais aussi social. Des ménages habitent dans des logements difficiles à isoler thermiquement et, souvent, ils ont besoin d’utiliser leurs voitures pour se déplacer. Tout cela accentue la précarité et la vulnérabilité énergétiques. Point positif, nous assistons depuis quelques années à un rééquilibrage entre le taux de maisons individuelles et le logement collectif dans la construction neuve. Nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de maîtriser les surfaces, de privilégier le petit collectif, humain.
Vous mettez aussi en avant la nécessité de repenser l’aménagement du territoire. Dans quelle mesure ?
Aujourd’hui, l’étalement périurbain tue les centres-bourgs et le monde rural. Il est donc nécessaire de jouer sur le levier de la sobriété dans les déplacements en réduisant les distances pour les mêmes services. Cela peut passer notamment par un rapprochement entre le lieu de travail et le domicile. Développer par exemple des solutions du type télétravail, en créant des hubs implantés à proximité des nœuds de circulation. Il faut aussi retrouver sur tout le territoire de la mixité fonctionnelle, c’est-à-dire un usage mixte des bâtiments avec du commerce, des bureaux et de l’habitation. La logique actuelle autorise des constructions loin de tout. Construire d’abord, puis faire payer à la communauté les réseaux électriques, de gaz et les routes nécessaires, est une hérésie. Aux États-Unis, il existe une norme au niveau fédéral qui conditionne les autorisations de construction à proximité de certains réseaux et de services.
Revenons sur le logement. Dans de nombreuses villes françaises, l’ancien y est important. Rénover aura un coût. Qui paiera l’addition ?
Il faut commencer par se convaincre que le besoin n’est pas qu’énergétique, mais aussi social. Conserver une flotte de bâtiments et de logements, où des ménages supportent des factures élevées, est une bombe sociale à retardement. Pour le financement, il faut considérer l’investissement non comme un coût, mais un engagement qui rapporte sur le long terme. C’est là où la puissance publique doit jouer un rôle majeur. Elle pourrait apporter un tiers de financement qui serait rémunéré non pas sur des remboursements, mais sur des économies d’énergie réalisées. C’est possible ! L’Allemagne le fait. Dans notre pays, hélas, les banques ne veulent pas jouer ce jeu.
Bizarrerie de votre scénario, lorsque l’on aborde les énergies de demain, vous annoncez que le gaz sera le substitut du pétrole d’ici à 2050. Or, il est considéré par un certain nombre d’ONG environnementales comme polluant.
Dans le secteur des transports (personnes et marchandises), le gaz nous semble être le complément indispensable de l’électricité pour remplacer le pétrole. Car il va devenir progressivement tout renouvelable, ce qui constitue pour plusieurs raisons – bilan carbone, usage des sols, émissions de particules – la meilleure option. Le basculement du pétrole vers le gaz se fera progressivement, en parallèle du développement de la production de gaz d’origine renouvelable, méthanisation, gazéification de biomasse et production de gaz de synthèse.
Utilisation du gaz donc, mais fin du nucléaire dans un avenir proche. Dans le scénario Négatep élaboré en 2011 par l’association Sauvons le climat, il y est proposé pourtant de diviser par quatre le recours aux énergies fossiles grâce aux renouvelables, mais aussi au nucléaire. Pourquoi une telle différence entre vos projets ?
Négatep ne « traite » que du CO2 énergie : contrairement à NégaWatt, il n’atteint pas le facteur 4, fixé par la loi française, encore moins la neutralité carbone que la France doit viser après l’accord de Paris. Là où NégaWatt parie sur une transition tout renouvelable, Négatep renforce le nucléaire. En l’état, il montre que ce choix n’est pas à la hauteur pour lutter contre le changement climatique.
Les énergies renouvelables s’inscrivent dans un mode de production de forte relocalisation, ce qui n’est pas dans la tradition du système français et de son énergéticien, EDF. Voulez-vous mettre fin à ce monopole ?
Cette question fait partie des urgences politiques. Notre système énergétique est en train de s’enfoncer dans une impasse. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où l’on a créé une espèce de monstre hybride en donnant à EDF un statut privé tout en conservant un actionnariat majoritaire de l’État. Cette logique s’est trop appuyée sur le nucléaire, repoussant depuis trop longtemps tout nouvel investisement. De fait, les centrales sont vieillissantes et représentent un coût énorme devant nous.
Que proposez-vous alors ?
Un nouveau modèle industriel pour EDF compatible avec la transition énergétique et construit autour d’une nouvelle idée de service public. Cela passe probablement par de la régionalisation, mais aussi par le fait de considérer comme activité stratégique d’EDF la gestion du réseau et sa maîtrise au niveau de la distribution plutôt que la production. C’est l’enjeu de demain. Ignorer ce sujet risque de nous faire perdre l’outil et l’acteur industriel qui va avec.
Entretien réalisé par Éric Serres
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