Non, le nucléaire ne sauvera pas le climat !

Devant l’urgence climatique, l’énergie nucléaire est souvent évoquée en France, malgré les risques qui s’y attachent, comme une solution crédible au niveau mondial à la lutte contre le réchauffement climatique, à l’égal des économies d’énergie et des énergies renouvelables. Mais, sous le prétexte d’une « transition bas carbone » de bon aloi, cette promotion du nucléaire est une impasse technologique et économique, isolant la France du concert des nations qui se sont engagées résolument dans une transition énergétique rapide fondée sur les trois piliers que sont la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Sur cette page :
Tribune collective : Non, le nucléaire ne sauvera pas le climat !
Nucléaire et climat : La position du GIEC | L’impasse stratégique française
Pour aller plus loin : Changer de paradigme | Les Dossiers de Global-Chance.org

NON, LE NUCLÉAIRE NE SAUVERA PAS LE CLIMAT !

Tribune collective publiée le mercredi 3 octobre 2018 sur le site d’Alternatives Économiques

Devant l’urgence climatique, l’énergie nucléaire est souvent évoquée en France, malgré les risques qui s’y attachent, comme une solution crédible au niveau mondial à la lutte contre le réchauffement climatique, à l’égal des économies d’énergie et des énergies renouvelables.

Aujourd’hui, la production d’origine nucléaire représente 10% de la production d’électricité mondiale (en régression de 7 points depuis 1996), à peine 2% de la consommation d’énergie finale, et ne permet d’éviter que 2,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ! L’âge moyen du parc mondial continue d’augmenter et atteint 30 ans en 2018. Pas étonnant puisque le nombre des débuts de construction de nouveaux réacteurs a chuté de 44 en 1976 à 15 en 2010 et 5 en 2017.

Alors que 260 milliards de dollars ont été investis au monde dans les filières photovoltaïque et de l’éolien en 2017, dont les coûts d’investissement et de production décroissent de façon continue depuis une décennie, seuls 16 milliards l’ont été dans la filière nucléaire dont les coûts ont subi un facteur deux d’augmentation durant la même période (1). L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique ne s’y trompe d’ailleurs pas quand elle s’inquiète de la baisse prévisible de la participation du nucléaire au bilan énergétique mondial en 2030.

Il est totalement invraisemblable de prétendre assurer à court et moyen terme (2030-2040) un développement mondial du nucléaire capable de sortir cette filière de la marginalité actuelle des émissions de gaz à effet de serre qu’elle évite.

Il faudrait en effet pour sortir de la marginalité climatique et atteindre des chiffres de l’ordre de 10% des émissions évitées, démarrer un nouveau réacteur chaque semaine, sans qu’on ait la moindre idée des pays susceptibles de les accueillir sur leur réseau, des pôles industriels à développer intensivement et de l’origine des sommes gigantesques à rassembler pour financer ces investissements à haut risque et à temps de retour de cinq ou six décennies.

Sans compter la multiplication exponentielle des risques d’accident majeur, l’accumulation de déchets à haute activité et très longue durée de vie dont personne ne sait que faire, mais aussi les risques de prolifération vers les activités militaires que susciterait une dissémination trop rapide des technologies nucléaires dans des pays qui ne disposent ni de la stabilité politique, ni des infrastructures ni de la culture de sûreté et de sécurité indispensables.

La France, dont les émissions de gaz à effet de serre, contrairement à ses propres engagements au titre de l’accord de Paris, ont augmenté de 3% en 2017, devrait-elle échapper à cette analyse ? C’est la conviction que tentent de continuer à nous imposer l’industrie nucléaire, une bonne partie de la classe politique française, le gouvernement et la haute administration.

Les signaux d’alerte se multiplient pourtant dangereusement : l’opérateur historique s’avère incapable de maîtriser techniquement et financièrement le chantier de l’EPR de Flamanville supposé préfigurer le parc nucléaire des années 2030. L’Autorité de Sûreté Nucléaire se voit contrainte d’accorder des dérogations injustifiables à EDF pour lui permettre la poursuite de sa construction, dont la mise en service recule d’année en année. Le devis du « grand carénage » indispensable à la mise aux normes de sûreté du parc français actuel dépasse déjà le coût d’investissement initial de ce parc, sans qu’EDF puisse assurer pour autant une prolongation significative de production d’électricité sans risque. L’État s’est vu dans l’obligation d’aligner 5 milliards d’euros pour éviter la faillite d’Areva, englué dans les aventures minières, le surcoût de l’EPR en Finlande et les suites des falsifications effectuées dans son usine Creusot Forge.

C’est pourtant dans ce contexte délétère qu’EDF, qui a déjà réussi à convaincre le gouvernement de décaler d’au moins dix ans le calendrier de fermeture de la vingtaine de centrales nécessaire au respect de la loi de transition énergétique de 2015, tente, pour maintenir coûte que coûte son parc au niveau actuel, d’imposer sa vision d’un nucléaire « sauveur du climat ». La solution proposée par EDF consiste à faire augmenter le plus rapidement possible la consommation française d’électricité, stagnante depuis plusieurs années, de telle sorte que la part du nucléaire redescende « naturellement » à 50% du total vers 2030, rendant inutile toute fermeture de centrale.

Sous le prétexte d’une « transition bas carbone » de bon aloi, c’est en fait d’une promotion discrète mais intense du nucléaire qu’il s’agit. Quitte à proposer des scénarios improbables sur le plan technique et économique de pénétration massive de l’électricité dans les transports individuels (en particulier sous forme d’hydrogène) et le triplement des exportations d’électricité vers nos voisins européens, avec les problèmes d’extension massive des lignes haute tension transfrontières et les aléas politiques et économiques que suppose une telle stratégie.

Il faut revenir à la raison : une telle aventure est beaucoup plus risquée du point de vue technique, beaucoup plus onéreuse, moins efficace et beaucoup plus longue à mettre en œuvre que des politiques d’économie d’énergie (dont les économies d’électricité) et de développement des énergies renouvelables. Elle présente des risques majeurs, d’abord pour nos concitoyens, mais aussi pour nos voisins européens : risque d’accident majeur qui augmente avec le dérèglement climatique, risque de restriction de la production en cas de canicule, risque de rupture d’approvisionnement d’uranium d’origine géopolitique, risques provoqués par l’aval du cycle, le démantèlement des centrales et le traitement des déchets nucléaires, risques de prolifération vers les armes atomiques.

A ceux, encore nombreux, qui pensent que le nucléaire est un « mal » mais un « mal nécessaire », voire indispensable, vue l’urgence climatique, nous disons que cette filière n’a aucune chance d’apporter une solution à la hauteur des enjeux climatiques au niveau mondial dans les délais nécessaires (d’ici 2030 ou 2040).

La France, si elle s’obstine seule dans cette voie d’une primauté au nucléaire, s’isolera donc chaque jour davantage dans le concert des nations qui se sont engagées résolument dans une transition énergétique rapide fondée sur les trois piliers que sont la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Elle devra en assumer tous les risques qu’elle fait courir à ses voisins, sans en recueillir de profits économiques, tout en retardant d’un bon demi siècle son entrée dans la modernité énergétique.

Les signataires :

Jean David Abel, membre du Conseil Economique, Social et Environnemental ; Maryse Arditi, membre du directoire de France Nature Environnement ; Jacqueline Balvet, membre d’Attac ; Gilles Barthe, vice-président d’Alter Alsace Energies ; Jean-Louis Basdevant, physicien ; Jacques Beall, vice-président de Surfrider Foundation Europe ; Jean Paul Besset, ancien député européen ; Guillaume Blavette, Collectif STOP-EPR ni à Penly ni ailleurs ; Edgar Blaustein, membre de l’association Global Chance ; Dominique Bourg, Université de Lausanne, Faculté des géosciences et de l’environnement ; Dominique Boutin, expert auprès de l’Autorité de Sûreté Nucléaire ; Jean-Claude Bragoulet, groupe local Sortir du nucléaire Touraine ; Pierre Calame, auteur du "petit traité d’oeconomie", président honoraire de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme ; Loïc Chappoz, membre de l’Association Global Chance ; Madeleine Charru, directrice de Solagro ; Philippe Chartier, ancien directeur scientifique de l’ADEME ; Martial Château, vice-président de sortir du nucléaire 72 ; Christian Chavagneux, éditorialiste (Alternatives Economiques) ; Michel Colombier, directeur scientifique de l’IDDRI ; Pierre Combaz, au nom du CA du Réseau Sortir du Nucléaire ; Maryse Combres, conseillère Régionale Nouvelle-Aquitaine ; David Cormand, secrétaire national de EELV ; Pierre Cornut, webmestre de l’association Global Chance ; Christian Couturier, président de l’association négaWatt ; François Damerval, conseiller régional d’Île-de-France ; Benjamin Dessus, président d’honneur de l’association Global Chance ; Michel Dubromel, président de France nature environnent (FNE) ; Joël Dujeux, représentant CFDT à la CLI de CHOOZ ; Guillaume Duval, éditorialiste (Alternatives Economiques) ; Philippe Frémeaux, éditorialiste (Alternatives Economiques) ; Daniel Fuks, ingénieur retraité ; Jean Gadrey, professeur honoraire d’économie à l’Université de Lille ; Natacha Gondran, enseignante-chercheur ; Claude Gruffat, président de biocoop ; Joël Guerry, docteur-ingénieur en énergie et pollution ; André Guillemette, membre du conseil scientifique de l’ACR ; André Hatz, président de stop Fessenheim ; Jean-Marie Harribey, coprésident du Conseil scientifique d’Attac ; Sylvain Houpert, architecte et docteur en Sciences de l’Ingénieur ; Nicolas Imbert, directeur de Green Cross ; Yannick Jadot, député européen ; Alain Joffre, coordinateur du Collectif Sortir du Nucléaire Sud Ardèche ; Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France ; Françoise Kobylarz, Collectif Antinuc de Dieppe ; Michel Labrousse, ingénieur et économiste, membre de l’association Global Chance ; Jean-Paul Lacote, représentant d`Alsace Nature à la CLIS de Fessenheim ; François Michel Lambert, député des Bouches du Rhône ; Raymond Lang, économiste ; Bernard Laponche, physicien nucléaire, membre fondateur de l’association Global Chance ; Thierry de Larochelambert, physicien, professeur et chercheur à l’Institut FEMTO-ST ; Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre de l’Environnement ; Alain Lipietz, économiste, ancien député européen ; Gérard Magnin, président de Jurascic, fondateur d’Energy Cities et ex-administrateur d’EDF ; Fulcieri Maltini, ingénieur docteur, SMIEEE life, PES, COMSOC, FM Consultants Associates ; Noël Mamère, ancien député écologiste ; Michel Marie, ex porte-parole du Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (CEDRA) ; Yves Marignac, Wise Paris ; Jean-Marie Matagne, président de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN) ; Christophe Milin, ingénieur ; Jacques Mirenovitcz, corédacteur en chef de la Revue Durable ; Christian Mouchet, président du conseil de fondation de la Fondation Charles Léopold Mayer - FPH ; Pierre Perbos, membre du Réseau Action Climat ; Barbara Pompili, députée de la Somme ; Benoit Praderie, président de Planète Eolienne ; Jean-Jacques Rettig, président du CSFR ; Arthur Riedacker, coprix Nobel de la Paix au titre du GIEC ; Michèle Rivasi, députée européenne, fondatrice du CRIRAD ; Robert Rochaud, président de la SCIC Poitou Énergies Citoyennes ; Barbara Romagnan, Generation.s ; Daniel Roussée, coprésident des Amis de la Terre Midi-Pyrénées ; Marc Saint-Aroman, Réseau sortir du Nucléaire ; Thierry Salomon, vice président de négaWatt ; Sylvie Sauvage, expertise citoyenne ; Jacques Terracher, association pour la cohérence environnementale en Vienne ; Thierry Touche, vice président de Sortir du nucléaire 72 ; Patrick Viveret, philosophe, magistrat honoraire à la Cour des Comptes ; Dominique Voynet, médecin, ancienne ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement ; Jean Claude Zerbib, ingénieur en radioprotection, membre de l’association Global Chance.

(1) World nuclear industry status report 2018. Mycle Schneider et al.

(haut de page)

nucléaire et climat :
LA POSITION DU GIEC | L’IMPASSE STRATÉGIQUE FRANÇAISE

Le GIEC et le nucléaire
Bernard Laponche, in Imaginer l’inimaginable ou cultiver son jardin ?, Les Cahiers de Global Chance, n°37, juin 2015, p. 94-97
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• Le GIEC... en français dans le texte
• Commentaire : le GIEC extrêmement prudent, voire très réservé

L’option nucléaire contre le changement climatique :
risques associés, limites et frein aux alternatives

Yves Marignac & Manon Besnard, WISE-Paris, mardi 27 octobre 2015, 24 pages
Rapport commandé par Les Amis de la Terre, la Fondation Heinrich Böll, France Nature Environnement, Greenpeace, le Réseau Action Climat - France, le Réseau Sortir du Nucléaire et Wise Amsterdam
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Avant-propos
Introduction
Partie 1 ‐ Des risques indissociables du recours au nucléaire
1.1. La prolifération, menace occultée, majeure et persistante
1.2. Un risque réévalué et croissant d’accident nucléaire
1.3. L’accumulation des déchets, matières et sites

Partie 2 ­ - Une efficacité limitée sur la baisse des émissions
2.1. Des émissions de CO2 indirectes mais pas nulles
2.2. Des émissions évitées dépendantes du « mix »
2.3. Une contribution historique marginale à la maîtrise des émissions…
2.4. Un rôle énergétique et climatique en déclin
2.5. Un champ d’action restreint

Partie 3 - Un frein aux solutions les plus performantes
3.1. Les limites au volontarisme
3.2. Une dynamique tournée vers d’autres options
3.3. Le nucléaire, option non compétitive
3.4. Un levier d’action insuffisant
3.5. Une option non nécessaire
3.6. Un obstacle à la transition énergétique

Synthèse
Des risques irréductibles
Une efficacité limitée et déclinante
Un frein à la mise en œuvre d’une stratégie cohérente

(haut de page)

pour aller plus loin...
CHANGER DE PARADIGME | LES DOSSIERS DE GLOBAL-CHANCE.ORG

Changer de paradigme...


Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

Les Dossiers de Global-Chance.org

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