Alors que la France voudrait imposer son modèle énergétique à l’étranger, une analyse critique factuelle et argumentée de l’expérience et du discours français sur le nucléaire permet d’inscrire dans une perspective plus réaliste l’illusion du “paradis nucléaire sur terre”.
Dans un contexte de prix élevés du pétrole (mais aussi du gaz et du charbon) et de préoccupations de plus en plus lourdes et précises concernant le réchauffement climatique, la présidence française de l’Union Européenne de juillet à décembre 2008 semble bien décidée à tout faire pour imposer à ses partenaires européens l’idée de la nécessité absolue d’une relance massive de l’énergie nucléaire, au grand bénéfice de l’industrie hexagonale. Nicolas Sarkozy en fait un point essentiel du « paquet climat énergie » dont il compte bien achever la négociation avant la fin de son mandat. Il reçoit dans cette initiative controversée en Europe un appui remarqué de l’actuel président de la Commission.
Plus généralement, le président français a entrepris une véritable croisade internationale sur ce thème, en particulier vis-à-vis des pays du pourtour de la Méditerranée, pour leur proposer une coopération active avec l’industrie et le gouvernement français, au Maroc, en Algérie, etc, en arguant des vertus d’une telle coopération dans la lutte contre le terrorisme.
Il s’appuie pour ce faire sur la réputation mondiale qu’a acquis à grand renfort de communication la France et son industrie dans ce domaine à travers un discours qui exalte l’indépendance énergétique et les performances économiques qu’apporte une production massive d’électricité nucléaire à son système énergétique, tout en lui assurant une innocuité environnementale, une sûreté, une sécurité et une pérennité exemplaires…
Ce discours, construit au fil de décennies par les gouvernements français de droite comme de gauche et le lobby nucléaire qui leur est intimement lié, a réussi à s’imposer dans une France qui se caractérise par la faiblesse de son expertise indépendante, faiblesse délibérément entretenue par des pouvoirs publics et des « élites » qui préfèrent le confort d’un consensus quasi religieux au débat qu’entraînerait inéluctablement une évaluation indépendante sans tabou.
C’est sur cette auto-proclamation des vertus de l’énergie nucléaire et de l’exemplarité de l’expérience française que compte le président français pour emporter la conviction d’Européens très divisés sur ces questions.
Il a donc paru particulièrement important à notre association Global Chance, qui compte parmi ses membres plusieurs des rares experts indépendants français sur le nucléaire et dont la pertinence des analyses dans les domaines de l’énergie et de l’environnement est appréciée en France et au-delà de nos frontières, de mettre à disposition des décideurs européens et des citoyens une analyse critique factuelle de l’expérience française pour inscrire dans une perspective plus réaliste l’illusion « du paradis nucléaire sur terre » que cherche à imposer la France à ses partenaires européens.
Global Chance souhaite en effet alerter l’opinion internationale sur le caractère largement illusoire que représenterait un plan de relance massif du nucléaire au niveau international et européen pour répondre aux défis du développement et d’environnement.
Dans une première partie, nous nous interrogeons sur la capacité d’un tel plan de relance, à supposer qu’il ne rencontre ni obstacle technique, ni obstacle économique, ni obstacle politique, à apporter dans les délais nécessaires une contribution décisive aux objectifs sous-jacents au « paquet énergie climat » : la sécurité énergétique de l’Europe et la réduction massive des émissions de gaz à effet de serre à court et moyen terme (20 à 30 % en 2020, 75 % en 2050).
Dans la seconde partie, à partir de l’exemple français, nous nous interrogeons sur la capacité de ses promoteurs à conduire industriellement et économiquement une telle relance et à en maîtriser les conséquences et les risques sur l’environnement, la paix, et la santé des citoyens.
Cette publication intervient à un moment où en France et quasiment pour la première fois, le mur du silence établi par les autorités autour des « incidents » plus ou moins graves qui émaillent la vie du nucléaire français se fissure. Dans le contexte créé par l’hypothèse de relance du nucléaire, la presse française s’est intéressée de plus près qu’à l’habitude aux divers incidents qui ont émaillé l’été (arrêt par l’Autorité de sûreté nucléaire du chantier de Flamanvile, pollution radioactive de la nappe phréatique du Tricastin, incendie dans l’EPR finlandais, etc.). Elle a redécouvert à cette occasion et l’opinion avec elle, l’opacité qui recouvre l’ensemble de la gestion des risques inhérents au nucléaire en France et le mépris des citoyens qu’elle implique.
C’est une raison supplémentaire pour mettre largement à la disposition du public et des décideurs ce dossier que nous avons nommé « Nucléaire, la grande illusion ».
En regard de ses ambitions initiales et des efforts considérables qu’il a nécessité aussi bien en termes techniques qu’économiques, le bilan de l’énorme programme nucléaire français développé entre 1975 et 2000 est particulièrement décevant. La proclamation toujours présente de « l’indépendance énergétique de la France » ne résiste pas à l’examen puisque la consommation de pétrole par habitant de la France est en 2007 supérieure à celle de ses grands voisins, que la contribution du nucléaire à la consommation finale n’y est que de 14 %, alors que les produits pétroliers en représentent 49 %.
Certes l’apport du nucléaire permet réduire la dépendance de la France par rapport au gaz ou au charbon, mais la dépendance pétrolière est de loin le facteur le plus contraignant pour la sécurité énergétique. De plus, avec une production d’électricité à 80 % d’origine nucléaire et basée sur une seule technique, les réacteurs PWR, le système électrique français s’est créé une nouvelle vulnérabilité.
En termes économiques globaux, le « tout électrique – tout nucléaire » qui a été la base de la politique énergétique française des trois dernières décennies et qui continue de l’être contre toute rationalité économique et énergétique avec le programme de construction du réacteur EPR n’a pas apporté un avantage particulier à la France, par rapport à l’Allemagne par exemple. La monoculture nucléaire a entraîné au contraire un retard considérable sur le développement des énergies renouvelables et freiné les efforts d’économies d’énergie, notamment sur l’électricité.
Face aux conséquences de l’augmentation des gaz à effet de serre, le nucléaire est présenté comme une solution qui s’impose puisqu’il émet effectivement beaucoup moins de CO2 que la combustion de pétrole, de gaz ou de charbon. Mais à y regarder de plus près, ce remède miracle n’en n’est pas un. Il est exact que la production d’électricité d’origine nucléaire contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais même dans le cas extrême de la France, cette réduction peut être estimée à 15 à 20 % maximum des émissions totales, ce qui n’est pas négligeable mais doit être mis en balance vis-à-vis de l’ensemble des risques et des pollutions que présente l’ensemble des installations complexes et dangereuses du système nucléaire de centrales, des usines du combustible, des transports de matières radioactives, actuellement et dans la durée (démantèlement des installations, gestion des déchets radioactifs).
Le nucléaire est susceptible de générer des accidents graves pouvant affecter durablement de larges territoires. La gestion des déchets à vie longue n’a pas trouvé de solution satisfaisante. Enfin la prolifération reste un risque majeur pour la sécurité du monde et il est faux d’affirmer qu’on peut doter un pays de centrales civiles sans que ne soit possible un usage militaire.
De plus, le nucléaire ne peut participer qu’à la production d’électricité, qui (toutes sources confondues) ne représente que 20 % environ de la consommation d’énergie finale d’un pays développé. Le reste, c’est le pétrole brûlé dans les voitures et les camions, le fuel ou le gaz pour chauffer les bâtiments et assurer la production industrielle mais aussi la biomasse et l’énergie solaire (l’hydraulique et l’éolien produisant de l’électricité).
L’indispensable lutte contre les émissions de gaz à effet de serre passe donc d’abord par une politique d’économie et de recherche d’une plus grande efficacité énergétique. Elle passe ensuite par un plus grand recours aux énergies renouvelables.
La poursuite des tendances actuelles de la consommation d’énergie au niveau mondial se heurte à des contraintes insurmontables et conduit à l’impasse du développement, accentue les inégalités entre pays riches et pays pauvres et contribue à la fracture sociale. Le développement économique et social ne peut être que freiné, voire rendu impossible, par l’insécurité énergétique (approvisionnement physique versus contraintes géopolitiques, augmentation des prix, raréfaction des ressources à moyen terme, risques technologiques et d’agressions extérieures de toutes natures), la dégradation de l’environnement local (pollutions, accidents) et global (changement climatique). La montée des prix du pétrole ruine d’ores et déjà les économies les plus fragiles. Les scénarios de prospective énergétique « laisser faire » (« business as usual ») mettent d’ailleurs clairement en évidence l’impasse politique, économique et environnementale à laquelle ils conduisent.
La sécurité énergétique et les contraintes environnementales sont un défi considérable pour le développement économique et social à l’échelle de la planète. La maîtrise des consommations d’énergie arrive au premier rang des politiques qu’il faut rapidement mettre en œuvre parce que c’est elle qui possède le plus grand potentiel, qu’elle est applicable dans tous les secteurs et dans tous les pays, qu’elle est le meilleur instrument de la lutte contre le changement climatique, enfin qu’elle permet de ralentir l’épuisement des ressources fossiles et d’assurer qu’une part croissante de la consommation d’énergie soit assurée par les énergies renouvelables. Elle constitue en outre un facteur de développement économique par la diminution des dépenses énergétiques et aussi par la création de nouvelles activités et d’emploi. C’est un impératif de premier ordre des politiques énergétiques et économiques.
Ce changement profond de paradigme énergétique qui substitue à la priorité de l’offre la priorité de la demande modifie profondément les rapports du citoyen aux systèmes énergétiques. La satisfaction d’un « service énergétique » à la place d’une « fourniture d’énergie » place au premier rang des acteurs nouveaux : entreprises, collectivités, ménages, professionnels du bâtiment, des transports, de la production industrielle ou agricole et du secteur tertiaire. Les villes et les collectivités territoriales deviennent des animateurs et des promoteurs essentiels de ces nouvelles politiques.
S’ils appliquent une telle stratégie, les pays industrialisés peuvent réduire leur consommation d’énergie dans des proportions notables. Les pays en développement ont besoin d’augmenter la leur, mais ils peuvent le faire avec des taux de croissance bien inférieurs à ceux que les pays riches ont connu dans le passé avec les dégâts que l’on connaît.
Pour la plupart des pays, y compris des grands producteurs d’énergie, la maîtrise des consommations d’énergie est la première ressource énergétique nationale pour les prochaines décennies.
L’Europe peut jouer un rôle leader dans la promotion d’une telle politique : tant sa sécurité énergétique que la lutte contre le changement climatique l’y engagent. Les décisions de mars 2007 du Sommet européen sur les « trois 20 %» (efficacité énergétique, énergies renouvelables, émissions de gaz à effet de serre), comme le « Paquet Énergie » présenté par la Commission européenne de constituent un signal encourageant pour l’Union Européenne. Il reste que le « partage des efforts » entre les États membres reste à faire et constituera la pierre de touche de la volonté politique de chacun.
Dans un tel contexte, au regard des enjeux du risque climatique, de la sécurité énergétique et du développement économique et social, l’apport réel du nucléaire resterait marginal pour l’Europe. Par contre, les risques tant physiques que géopolitiques que comporterait un développement de cette technologie dans son état actuel sont tels que la balance « inconvénients versus avantages » penche très nettement en défaveur de ce développement.
De plus, le nucléaire impose une centralisation massive du système énergétique, basée sur des unités de grande puissance, alors que le progrès technologique porte de façon croissante sur un système énergétique basé sur les actions et les initiatives décentralisées, dans les domaines de l’efficacité énergétique, des énergies renouvelables et des productions combinées de chaleur, de froid et d’électricité.
L’association Global Chance a le plaisir de vous inviter à la présentation du numéro 25 des Cahiers de Global Chance :
« Nucléaire : la grande illusion - Promesses, déboires et menaces »
Le mercredi 24 septembre à 10 heures, 14 passage Dubail, Paris 10 ème (à 5 minutes à pied de la gare de l’Est).
Ce sera aussi l’occasion de faire un point sur la réalité des projets de relance nucléaire en Europe et plus généralement dans le monde et d’en analyser les conséquences face au défis énergétiques et environnementaux du moment, avec la participation notamment de Bernard Laponche et de Yves Marignac.
En espérant vivement votre présence à cette présentation, je vous prie
d’accepter l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages