Les déchets nucléaires constituent un domaine à la fois très technique et qui reste encore considéré comme leur pré carré par un très petit nombre d’experts la plupart du temps liés aux industriels promoteurs de cette filière et par une administration à la fois jalouse de ses prérogatives et fortement dépendante des industriels concernés. Aussi les données précises comme les éléments d’analyse indépendante manquent-ils souvent aux non-spécialistes engagés dans le débat public en cours sur cette question des déchets nucléaires, et auxquels sont destinées ces vingt fiches courtes et factuelles, privilégiant une approche à la fois pédagogique et critique, et précédées par une synthèse d’ensemble.
À la demande des ministres de l’industrie et de l’environnement, la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) organise cet automne un débat public consacré aux déchets nucléaires de haute et moyenne activité Une commission particulière (la CPDP déchets) s’est mise en place et anime une série d’auditions et de débats publics sur les différentes questions que soulève la gestion des déchets dits « de haute et moyenne activité à vie longue ». En parallèle, la même CNDP s’est saisie de deux autres questions concernant l’énergie nucléaire : le projet de construction d’un réacteur EPR dit, à tort, de troisième génération, et de la ligne à haute tension proposée pour l’évacuation de l’électricité qu’il produira.
L’association Global Chance, dont l’une des vocations est de mettre l’expertise scientifique de ses membres à la disposition du débat public s’implique très naturellement dans l’ensemble de ces débats.
Dans le cas des déchets nucléaires, il nous a semblé indispensable de mettre à disposition des citoyens certains des éléments factuels et pédagogiques qui manquent la plupart du temps aux non spécialistes. Le domaine des déchets nucléaires, comme plus généralement l’ensemble du domaine nucléaire, est longtemps resté et reste encore largement le domaine réservé d’un très petit nombre d’experts, la plupart du temps liés aux industriels promoteurs de cette filière et d’une administration jalouse de ses prérogatives et fortement dépendante des industriels concernés.
La complexité physique des problèmes rencontrés, des concepts utilisés, du vocabulaire et du formalisme employés par les spécialistes, justifie souvent, de la part du lobby nucléaire et de l’administration, le recours à un discours volontairement simpliste et supposé « transparent » destiné principalement à rassurer le grand public et non pas à l’informer, ni moins encore à lui permettre de réfléchir et de débattre.
C’est pourquoi nous avons décidé de mettre aujourd’hui à la disposition des participants des différents débats une vingtaine de fiches, courtes, factuelles, sur des sujets où les discours s’appuient bien souvent sur l’opacité, l’à peu près, l’amalgame, la contrevérité, voire le mensonge.
Nous pensons en effet que la démocratie participative commence par une information aussi complète que possible aux non spécialistes, même si elle présente une certaine complexité.
Nous n’avons évidemment pas essayé de traiter de l’ensemble des questions concernant les déchets nucléaires. Nous avons concentré notre analyse sur les aspects de cette question les plus étroitement liés au débat qui s’engage en France et qui porte sur les déchets de haute et moyenne activité.
Les fiches présentées se réfèrent à des sources accessibles au public. Elles s’appuient largement sur le travail effectué par des membres de notre association pour sa contribution au « dossier du débat » présenté par la CPDP déchets. Elles sont généralement conçues pour pouvoir être lues de façon autonome. Elles sont néanmoins regroupées en six chapitres principaux :
Nous espérons que ces fiches apporteront une contribution positive à l’objectif de démocratie participative, de transparence et de qualité du débat qui sont au centre de la démarche engagée par la Commission Particulière du Débat Public.
Nous résumons ci-dessous les principaux apports qui se dégagent des différents chapitres auxquels se rapportent les fiches qui suivent.
Matières et risques
Les trois fiches de ce chapitre tentent d’expliciter les notions indispensables à la compréhension des questions concernant les matières nucléaires et les déchets : nature des rayonnements, durée de vie de la radioactivité, niveau de cette radioactivité. Ces notions permettent de dresser un premier tableau des principales catégories de déchets. On y trouve également une description des principales matières mises en jeu dans l’industrie nucléaire et leurs caractéristiques et un tableau qui montre la grande quantité et la diversité des matières en question. La dernière fiche de ce chapitre donne une idée résumée de la nature et de l’intensité des différents dangers potentiels des différentes matières présentes dans l’activité nucléaire : radioactivité, radio toxicité, réactivité, toxicité chimique. Un tableau simplifié permet de fournir des indications qualitatives sur les principaux dangers potentiels que présentent les matières nucléaires principales qu’on rencontre dans l’industrie nucléaire française.
Choix et indicateurs
Ce second chapitre comprend quatre fiches. La première est consacrée à l’analyse des conséquences du choix très particulier fait par la France de retraitement du combustible nucléaire usé et de son recyclage sous forme de MOX. On y met en cause le bilan très favorable qu’en présentent les promoteurs de cette stratégie, aussi bien en termes de bilan matières que de risques pour la santé et la prolifération. On insiste de surcroît sur les contradictions qu’implique la stratégie de gestion des déchets dits « ultimes » actuelle (la vitrification) avec toute perspective de transmutation des actinides et des produits de fission pourtant présentée comme la voie de l’avenir.
La seconde de ces fiches montre que la distinction opérée par l’administration et le lobby nucléaire entre matières valorisables et déchets nucléaires est très largement artificielle et dangereuse pour l’appréciation de la nature et de l’ampleur des problèmes de gestion des déchets et matières nucléaires. Cette distinction sémantique est largement infondée puisque les matières dites valorisables peuvent à tout instant se transformer en déchets au gré des fluctuations des politiques énergétiques et que le progrès technique
revendiqué par les promoteurs même du nucléaire peut rendre valorisables des déchets jusque-là considérés comme « ultimes ». Elle permet surtout en fait de masquer une série de problèmes d’environnement, de santé et de sûreté majeurs, en concentrant la discussion sur les déchets ultimes qui ne représentent qu’un faible pourcentage des matières dangereuses à gérer dans les décennies qui viennent.
Les deux dernières fiches du chapitre tentent de définir les principes et les critères d’une gestion optimale des matières et des risques et proposent une batterie d’indicateurs, (proches des quantités physiques, principalement des masses des matières les plus significatives) qui permettent d’évaluer la pertinence et les problèmes des diverses stratégies de gestion.
Flux et stocks
La question des flux et des stocks est abordée à travers trois fiches. La première explicite la nature et l’ampleur des flux de matières nucléaires dans les activités de l’industrie nucléaire. Elle met en relief le fait que les stocks de plutonium séparé et non utilisé, de MOX et d’UOX irradiés non retraités, non seulement ne diminuent pas mais augmentent chaque année. D’autre part l’activité de retraitement recyclage produit chaque année un volume de l’ordre de 550 m3 de déchets B (à moyenne activité et à vie longue).
La seconde fiche décrit les principales catégories de déchets de haute et moyenne activité déjà conditionnés et entreposés en attente d’une solution définitive : colis vitrifiés (d’actinides et de produits de fission) divers, et déchets produits à la Hague, coques et embouts, boues de traitement, déchets solides d’exploitation des usines de traitement et des centres du CEA.
La dernière fiche montre l’importance et la diversité des matières et déchets non conditionnés en attente de stockage ou de traitement pour une valorisation éventuelle mais encore tout à fait théorique.
De 1991 à 2006
Consacré à la loi dite Bataille sur la gestion des déchets, ce troisième chapitre comprend deux fiches. La première fiche explicite l’objectif, le contenu de la loi Bataille et en montre les lacunes. La seconde en dresse un bilan critique qui montre à l’évidence qu’il ne peut être question de choisir dès 2006 une des trois voies envisagées et que des compléments importants de recherche doivent être impérativement engagés avant toute décision d’investissement dans une ou plusieurs des voies à l’étude. C’est tout particulièrement le cas des stockages souterrains dont l’étude est encore beaucoup trop embryonnaire pour autoriser des conclusions. (deux fiches)
Et dans 100 ans
L’ensemble des cinq fiches de ce chapitre permet, en se projetant dans l’avenir à travers des scénarios très diversifiés (aussi bien du point de vue des besoins d’électricité que des technologies nucléaires mises en œuvre) de prendre conscience de l’éventail des choix possibles et de la diversité de leurs conséquences en termes de gestion des matières nucléaires dangereuses. Dans le contexte de scénarios contrastés de production d’électricité en 2050 (de 300 à 900 TWh) on envisage un arrêt du nucléaire à cet horizon ou son renouvellement jusqu’à un niveau élevé (600 TWh). Le croisement de ces scénarios contrastés d’appel au nucléaire avec des stratégies techniques également contrastées permet d’expliciter six scénarios :
• Deux scénarios de poursuite de l’option nucléaire (renouvellement et accroissement du parc de réacteurs), soit dans une continuité technologique soit avec une rupture par introduction d’une nouvelle filière RNR (réacteurs à neutrons rapides) ; un scénario de maintien de l’option nucléaire (renouvellement partiel avec repli du parc) et la même rupture technologique que précédemment ;
• Trois scénarios de sortie de l’option nucléaire qui se distinguent sur la gestion du combustible : continuité de la gestion actuelle, introduction d’une rupture technologique, ou abandon de la stratégie de retraitement.
L’analyse des bilans matière à travers les indicateurs définis au chapitre « choix et indicateurs » met en évidence quelques points majeurs.
En cas de poursuite du nucléaire dans la continuité fondée sur l’emploi d’EPR, le bilan des matières se dégrade extrêmement rapidement et conduit à des stocks de plutonium, de MOX irradié, de produits de fission et d’actinides mineurs considérables (un rapport de 7 à plus de 10 par rapport à la situation d’aujourd’hui selon les matières). Les scénarios où sont introduites des ruptures technologiques à partir de 2040 améliorent sensiblement la situation, revenant à une situation analogue en 2130 à celle que laisserait le parc actuel à sa fin de vie (2045). Mais cette stratégie suppose gagné le pari scientifique, économique et social de la mise en place de toute une industrie nouvelle, elle-même porteuse de nouveaux risques.
Toutes les options d’arrêt du parc à sa fin de vie laissent des situations moins préoccupantes. L’introduction de réacteurs dédiés à l’incinération du plutonium en fin de vie du parc, la plus audacieuse, permet de diviser la quantité finale de plutonium du parc d’un facteur 5 environ. C’est dire qu’on ne peut en aucun cas éviter d’introduire les différentes options d’arrêt du nucléaire à terme dans un débat sur la gestion des déchets de l’industrie nucléaire civile.
Il apparaît enfin clairement que la stratégie de séparation transmutation présentée par les tenants du nucléaire comme la voie royale repose sur des manipulations sémantiques, une exigence implicite de poursuite du nucléaire sur plus d’un siècle et sur des paris scientifiques industriels, économiques et sociaux majeurs.
Éléments de réflexion
Les trois fiches rassemblées dans ce chapitre abordent les questions de gouvernance, les questions économiques et apportent un éclairage international. La fiche qui traite de gouvernance insiste sur le partage des connaissances indispensables, sur la nécessité de promotion d’une expertise plurielle et contradictoire, sur l’importance de la notion de réversibilité dans les choix décisionnels comme dans les choix techniques. La fiche économique montre l’ampleur des coûts anticipés, l’incertitude qui règne encore sur leur détermination précise et le peu de garanties qui existent sur les provisions constituées. L’éclairage international enfin permet de montrer que la plupart des nations qui ont recours au nucléaire ont choisi d’autres voies que celle présentée en France comme la seule possible.
Petit mémento des déchets nucléaires Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages
Petit mémento des énergies renouvelables Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages