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• Benjamin Dessus : Programmation pluriannuelle de l’énergie : le casse-tête nucléaire
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PROGRAMMATION PLURIANNUELLE DE L’ÉNERGIE :
LE CASSE-TÊTE NUCLÉAIRE
Benjamin Dessus, AlterEcoPlus.fr, lundi 23 mai 2016
Le 24 avril dernier, Ségolène Royal faisait paraître l’arrêté fixant les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) à l’horizon 2023 pour les énergies renouvelables (1). Et annonçait dans le même temps la mise en discussion du volet nucléaire de la PPE à partir du 1er juillet. Ce report de plusieurs mois en dit long sur la difficulté de l’exercice.
Le gouvernement s’acharne en effet à vouloir résoudre un casse-tête impossible : concilier les exigences de la loi de transition énergétique et les objectifs de la PPE en matière d’énergies renouvelables tout en préservant l’intégrité du parc nucléaire, considéré par le gouvernement et l’industrie nucléaire comme un bijou de famille dont on ne doit se séparer à aucun prix.
Des objectifs renouvelables mal calibrés
En fixant des objectifs trop peu ambitieux à la partie de la PPE concernant les énergies renouvelables, le gouvernement ne s’est pas simplifié la vie. L’arrêté du 24 avril définit en effet les fourchettes de puissance de chacune des filières d’électricité installées en 2023 qui permettraient d’atteindre à cette date une production de 140 à 155 térawattheures (TWh). En prolongeant ces projections par extrapolation linéaire jusqu’en 2030, cette production d’électricité pourrait atteindre de 178 à 218 TWh au maximum en 2030 (Figure 1).
Mais il faut se souvenir que la PPE intervient dans le cadre de la loi de transition énergétique qui stipule dans son article premier que la contribution des renouvelables à la production d’électricité (et non à la consommation d’électricité comme certains l’écrivent) (2) doit atteindre 40 % en 2030. C’est dire que la production d’électricité en 2030 devrait se situer entre 445 TWh (178 / 40 %) pour le bas de la fourchette et 545 TWh (218 / 40 %) à l’autre extrémité de la fourchette. D’autre part, la loi stipule aussi qu’à partir de 2025, et donc a fortiori en 2030, la part du nucléaire dans la production totale d’électricité ne peut pas dépasser 50 %. Ce second élément permet de dessiner le contour des possibles en termes de mix de production d’électricité en 2030 en fonction des résultats de la politique PPE renouvelables déjà décidée.
La figure 2 détaille ce bilan pour les deux extrémités de la fourchette définie dans la PPE :
La figure 3 complète ces informations en montrant l’évolution des productions totales d’électricité et de nucléaire permises selon le degré de réalisation des objectifs de la PPE renouvelables :
Ce tableau est riche d’enseignement. Il montre tout d’abord que le maintien à son niveau actuel de la production du parc nucléaire (436 TWh) en 2030 conduirait à un excès d’électricité nucléaire de 162 à 213 TWh, soit la production de 23 à 31 GW de capacité nucléaire au taux de charge actuel (les réacteurs fonctionnent en moyenne 80% du temps).
Mais il montre aussi qu’en 2030, le respect des objectifs les plus ambitieux de la PPE « renouvelables » ne permet pas de maintenir une production d’électricité à la hauteur de celle de 2014. Il s’en faut de 17 TWh à 117 TWh selon le niveau de production renouvelable atteint en 2030.
Il va donc falloir envisager de réduire la consommation électrique du pays (et/ou les exportations d’électricité par rapport à 2014). Mais pourra-t-on du coup satisfaire les besoins d’électricité prévisibles en 2030 ?
La demande va peu augmenter
En 2014, la production de 562 TWh a permis de répondre à des besoins de consommation des Français de 466 TWh. Le solde (96 TWh) se répartit entre l’autoconsommation du système électrique (3) (30 TWh) et le solde exportateur d’électricité (4) (66 TWh). C’est dire que pour couvrir les besoins d’électricité hors exportation (466 TWh), il a fallu produire 466+30 = 496 TWh.
La plupart des experts pensent aujourd’hui que la consommation d’électricité qui stagne depuis plusieurs années ne devrait pas dépasser 480 TWh en 2030. C’est le cas par exemple du scénario « Nouveau mix 2030 » du bilan prévisionnel proposé par RTE et l’Ademe dans leur rapport « Signal prix du CO2, Analyse de son impact sur le système électrique européen » [en téléchargement ici sur le site de l’Ademe - ndlr] : l’augmentation des consommations dues au nouveaux usages de l’électricité (voiture électrique et pompes à chaleur, pour 41 TWh) et à la croissance démographique (66 TWh ) y est compensée par les économies d’électricité (105 TWh). Pour satisfaire ces besoins, il faudrait produire environ 505 TWh (5).
La figure 2 montre que cette production totale n’est réalisable que si la production d’électricité renouvelable atteint au moins 202 TWh. En dessous d’une production de 202 TWh de renouvelables, la production totale d’électricité autorisée selon la loi ne suffit pas à satisfaire les besoins à hauteur de 480 TWh. Au delà de cette valeur de production renouvelable, des possibilités d’exportation se dégagent jusqu’à une valeur de 40 TWh (bien inférieure aux 66 TWh de 2014) si la production de renouvelables atteint le haut de la fourchette PPE (218 TWh). Par contre, si la production de renouvelables se situe dans le bas de la fourchette de la PPE (178 TWh), il faudrait faire tomber cette consommation à 420 TWh.
On voit là les contraintes qu’introduit la modestie des ambitions de la PPE renouvelable aussi bien sur le niveau de consommation d’électricité en 2030 que sur le niveau possible de production du nucléaire ou sur l’exportation d’électricité.
La modulation de puissance, option aberrante
Dans ce contexte, comment sauvegarder le maximum de réacteurs, comme le souhaitent le gouvernement et EDF ? EDF, avec l’appui de la ministre, a lancé un ballon d’essai en proposant de faire intervenir le parc nucléaire au secours des énergies renouvelables variables (éolien, photovoltaïque) en cas de panne météo. La modulation des réacteurs du parc permettrait ainsi tout à la fois d’apporter la sécurité d’approvisionnement compromise par les variations de puissance d’un parc important de moyens de production renouvelables et de respecter la consigne 50 % maximum de nucléaire dans la production totale d’électricité. Cette proposition ne tient pas la route : au-delà des problèmes de sûreté liés à cette modulation généralisée éventuelle de puissance des réacteurs, ce serait une aberration économique, avec des surcoûts annuels de plus de 10 milliards d’euros [cf. Benjamin Dessus : Nucléaire d’abord, nucléaire toujours - ndlr].
Exporter l’électricité, une passion française
Exporter le maximum possible d’électricité pour justifier un plus faible taux de mise au rebut de centrales nucléaires serait-il une alternative ? Depuis de nombreuses années, l’exportation d’électricité est présentée par EDF et les pouvoirs publics comme un atout pour la France, puisqu’elle permettrait d’écouler dans de bonnes conditions économiques la production excédentaire d’un parc nucléaire surdimensionné.
D’où la crainte exprimée par des ONG environnementales de voir cet argument utilisé par les pouvoirs publics pour tenter de limiter la casse et conserver un maximum de réacteurs du parc actuel. On a vu plus haut les limites d’une telle stratégie : pour pouvoir exporter un maximum d’électricité, il faut à la fois réduire au minimum la demande intérieure et se situer dans la fourchette haute de production de renouvelables de la PPE, sans pour autant réussir à « sauver » l’ensemble du parc, puisque une capacité de réacteurs de 23 GW (l’équivalent de 25 réacteurs de 900 MW) devrait de toutes façons être mise au rebut.
L’exportation massive d’électricité vers d’autres pays européens évoquée parfois pour justifier le maintien d’un parc nucléaire significativement plus important que celui strictement nécessaire aux besoins nationaux supposerait donc une modification de la loi de transition énergétique. À cela s’ajoute la question de la pertinence économique d’une telle politique d’exportation, qui supposerait de rénover des réacteurs supplémentaires : on voit mal en effet comment le MWh d’un réacteur après « grand carénage » (6), dont le coût estimé par la Cour des comptes se situe entre 63 et 70 euros pourrait aisément trouver preneur alors qu’il sera en compétition avec celui de centrales existantes à faible coût marginal dans un marché européen sur-capacitaire, ce que traduit la faiblesse des prix moyens (autour de 25 €/MWh).
Il va donc falloir trouver des arguments plus crédibles que celui de la modulation des réacteurs et de l’exportation d’électricité, sauf à contourner la loi, pour éviter d’aborder la question d’un programme de fermeture d’une bonne vingtaine de réacteurs d’ici à 2030.
Benjamin Dessus
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(1) La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est le décret d’application clé de la loi de transition énergétique. La PPE est censée fixer pour les prochaines années les objectifs à atteindre dans trois domaines : énergies renouvelables, maîtrise de la consommation d’énergie et électricité nucléaire, en ligne avec les objectifs chiffrés de long terme inscrits dans la loi d’août 2015.
(2) Comme le fait par exemple le rapport ADEME-RTE « Signal prix du CO2, analyse de son impact sur le système électrique européen », où l’on peut lire à propos du scénario « nouveau mix 2030 » : « du côté de la production, les énergies renouvelables couvrent dans ce scénario 40 % de la consommation à 2030 ».
(3) L’autoconsommation du parc nucléaire est de l’ordre de 5 % de sa production brute, celle des centrales thermiques fossiles de l’ordre de 3 % et celle des systèmes renouvelables négligeable. S’y ajoute la consommation du pompage qui permet en remontant l’eau d’une retenue à une retenue d’altitude plus élevée de stocker de l’énergie (7 TWh en 2014).
(4) Les exportations moins les importations.
(5) En tenant compte d’un renforcement de la fréquence d’utilisation des installations de pompage et de la diminution de la production nucléaire.
(6) Nom donné aux opérations de jouvence et de mise aux normes de sûreté pour prolonger la durée de vie des réacteurs au delà de 40 ans.
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