Vers de nouveaux EPR ?

, par   Bernard Laponche

Sous le prétexte d’une « transition bas carbone » de bon aloi, c’est en fait une promotion discrète mais intense du nucléaire qui sous-tend les scénarios de politique énergétique tels que la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).
Il faut revenir à la raison : la France, si elle s’obstine seule dans cette voie d’une primauté au nucléaire, s’isolera chaque jour davantage dans le concert des nations qui se sont engagées résolument dans une transition énergétique rapide fondée sur les trois piliers que sont la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

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Bernard Laponche : Vers de nouveaux EPR ?
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VERS DE NOUVEAUX EPR ?

Bernard Laponche, document de travail, vendredi 23 novembre 2018

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La construction de nouveaux EPR a fait l’objet de discussions dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Qu’en penser ?

1. L’EPR

Le projet du réacteur EPR est né de la volonté politique à la fin des années 1980 d’une coopération accrue entre l’Allemagne et la France dans le domaine nucléaire. Après avoir signé en 1989 un accord de coopération, le français Framatome (1) et l’allemand Siemens ont créé une compagnie commune pour développer un nouveau réacteur, l’EPR (« European Pressurized Reactor », puis « Evolutionary Power Reactor » après le retrait de Siemens du fait de la décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire).

Ce nouveau réacteur, dit de « troisième génération » s’inscrit dans la continuité des réacteurs existants de la filière à uranium enrichi et eau ordinaire sous pression (REP ou PWR en anglais), s’appuyant sur l’expérience des réacteurs les plus récents en France (palier N4) et en Allemagne (Konvoi). Les différences avec les réacteurs actuellement en fonctionnement en France concernaient l’augmentation de puissance électrique (1650 MW contre 1450 pour le palier N4) ; un taux de combustion (énergie fournie par une tonne d’uranium) plus élevé ; une durée de fonctionnement prévue de 60 ans contre 40 ans pour les réacteurs actuels et un rendement de 36% au lieu de 33%.

Quatre réacteurs EPR, vendus par Areva dans les années 2000 sont en construction dans le monde dont un a déjà démarré en Chine.

En outre, deux EPR devraient démarrer leur construction (2) par EDF en 2019 au Royaume-Uni, à Hinkley Point, avec date prévue du démarrage en 2025.

2. LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET L’EPR

La sûreté du réacteur serait, selon ses promoteurs, améliorée par rapport à celle des réacteurs existants : renforcement de l’enceinte de confinement (liner en plus de la double enceinte), meilleure protection contre les risques sismiques, ajout d’un « récupérateur » du cœur fondu (le « corium ») en cas d’accident de fusion du cœur. Cependant, la complexité des systèmes en jeu, depuis ces nouveaux dispositifs de sûreté jusqu’au contrôle-commande rend leur évaluation sujette à caution et ils constituent, dès la conception, l’objet de controverses (3).

Un responsable de la sûreté nucléaire en France déclarait en juillet 2017 (4) : « Il s’agit d’un réacteur novateur mais complexe, passé trop vite d’une longue phase de conception à la construction, alors que le projet industriel n’était pas suffisamment finalisé. Plus d’un millier de modifications ont dû être apportées en cours de réalisation, dans tous les domaines ».

De son côté, dès 2007, l’Autorité de sûreté finlandaise, le STUK, a établi une liste de 1500 problèmes de sûreté et de qualité liés au projet EPR, dont certains très sérieux, et a évoqué l’éventualité de problèmes qui n’auraient pas été détectés.

En ce qui concerne l’EPR de Flamanville en France, les problèmes sont apparus dès le début de la construction, en particulier sur la qualité du bétonnage du radier, base de l’ensemble du réacteur. Mais, outre les complexités et les modifications évoquées plus haut, de graves défauts concernant la sûreté ont été constatés dans la mise en place du réacteur nucléaire lui-même et ses éléments principaux : la cuve et les circuits primaire et secondaires.

La cuve du réacteur à l’intérieur de laquelle se produisent les fissions et la réaction en chaîne est un équipement crucial pour la sûreté du réacteur et en particulier pour l’EPR qui, du fait de sa puissance, contient plus de combustible que tout autre réacteur au monde. Des exigences de robustesse mécanique très fortes sont imposées à la cuve.

Les défauts de fabrication (5) détectés fin 2014 sur le couvercle et le fond de la cuve de l’EPR de Flamanville en construction sont susceptibles de remettre en cause la sûreté du réacteur. Après un long processus de vérification technique et surtout après l’autorisation par décret de passer outre aux exigences habituelles de sûreté (6), l’autorisation a finalement été donnée à EDF de faire fonctionner la cuve (installée par EDF avant que la question soit arbitrée), avec l’exigence de remplacement du couvercle de cuve avant 2024, ce qui confirme implicitement le caractère défaillant de cet équipement crucial pour la sûreté (7).

D’autre part, début 2017, EDF a informé l’Autorité de sûreté nucléaire, ASN, de l’existence de « fiches de non conformité » concernant certaines soudures des tuyauteries des circuits secondaires principaux qui transportent vers la turbine la vapeur sous pression produite dans les générateurs de vapeur (tuyauteries VVP). Ces tuyauteries bénéficient du principe d’exclusion de rupture. Une campagne de contrôle a été ensuite réalisée par EDF sur les 150 soudures concernées sur ces tuyauteries, dont font partie 66 soudures des tuyauteries VVP en exclusion de rupture. En octobre 2018, l’ASN considère notamment que l’option proposée par EDF pour régler ce problème nécessite la réalisation d’un programme conséquent d’essais et invite EDF à engager dès à présent les actions préalables à la réparation des soudures concernées (8).

Dans sa lettre à EDF (9), le jugement du président de l’ASN est sévère : « Je considère que les éléments que vous avez transmis en réponse aux demandes formulées dans la lettre de suite en référence sont insuffisants. Ils ne permettent pas en effet de comprendre les dysfonctionnements survenus dans le traitement de l’écart. En outre vous n’avez pas fourni d’éléments expliquant l’information très tardive de l’ASN ». Ce n’est toujours pas réglé et entraîne un nouveau retard.

3. LE COÛT DE L’EPR ET CELUI DU KWH PRODUIT

3.1 Le coût d’investissement de l’EPR

En décembre 2003, la première commande d’un EPR à Areva par TVO (compagnie d’électricité finlandaise) s’effectue pour 3 milliards d’euros et une livraison clefs en main quatre ans plus tard. Le coût de la construction est actuellement déclaré par EDF à 10,9 Md€ et le démarrage a peu de chances de se faire en 2019.

Le tableau 2 indique l’évolution de l’estimation du coût de l’EPR de Flamanville, construit par EDF, « vendu » à 3 Md€ par Areva, notamment aux responsables politiques et au Parlement. Cette apparente performance sur le coût de ce nouveau réacteur a certainement été décisive pour la décision politique, malgré les critiques qui se sont manifestées dès 2004 (10).

3.2 Le coût de production du kWh

EDF ne donne plus de prévision du coût du kWh de l’EPR de Flamanville.

Cependant, sur la base du coût d’investissement de 2016 (10,5 Md€), le calcul du coût courant économique (CCE) selon la méthode de la Cour des comptes donne des valeurs de 110 à 120 euros par mégawattheure (11) (€/MWh) pour un taux de rémunération du capital de 7,8% (12) soit de l’ordre du double de la valeur de 59,8 €/MWh donnée par la Cour des Comptes pour le parc existant (13).

3.3 Le marché d’Hinkley Point

EDF et le gouvernement britannique ont signé un accord pour la construction de deux réacteurs nucléaires EPR sur le site de Hinkley Point (Somerset au Royaume-Uni), basé sur un « prix garanti » de vente du kWh par EDF. Ce prix, en octobre 2014, était de 126 €/MWh (92,5 livres sterling par MWh), soit plus de deux fois supérieur au coût du MWh du parc existant en France (59,8 €).

La Commission européenne a donné son feu vert à cet accord en octobre 2014, estimant que le prix garanti de l’électricité ne constituait pas une aide d’État. Ce qui n’a pas empêché en juillet 2015 le gouvernement de l’Autriche, pays très opposé au nucléaire, et dix fournisseurs d’énergie de porter plainte contre cette décision devant la justice européenne, puis de faire appel en 2018 du jugement autorisant les subventions publiques pour cette centrale nucléaire.

Du côté EDF, le directeur financier du groupe, Thomas Piquemal, a présenté sa démission en raison d’un désaccord sur la faisabilité du projet de construction de ces deux réacteurs, projet qualifié de « gigantesque » de 24,5 milliards d’euros (14), dont les deux tiers sont supportés par EDF : « Qui parierait 60% à 70% de son patrimoine sur une technologie dont on ne sait toujours pas si elle fonctionne, alors que ça fait dix ans qu’on essaie de la construire » (15). En septembre 2016, le gouvernement britannique a approuvé l’accord. EDF s’est engagé pour un début des travaux en 2019, pour une première production d’électricité en 2025.

On peut effectivement avoir des doutes sur la capacité d’EDF à faire face à de tels investissements cumulés aux autres investissements et notamment le « grand carénage », au vu de sa situation financière.

4. VERS UN « NOUVEL EPR » (EPR NM) ET UN « EPR 2 » ?

4.1 EPR NM

EDF a transmis à l’ASN en avril 2016 le dossier d’options de sûreté (DOS) du projet d’un nouveau modèle de réacteur appelé « EPR Nouveau Modèle » (EPR NM ou autres dénominations (16)) qui présente le référentiel de sûreté applicable à ce projet de réacteur et les principales options de conception actuellement à l’étude. A la demande de l’ASN, l’IRSN a émis un avis sur ce DOS en janvier 2018 (17). Cet avis présente notamment les principales évolutions de EPR NM par rapport à EPR, notamment : l’augmentation de la puissance du cœur (4850 MW de puissance thermique, soit 1750 de puissance électrique de la tranche réacteur + turbo-alternateur) contre 1600 MW pour l’EPR ; passage de quatre trains à trois trains pour les systèmes de sauvegarde (injection de sécurité, alimentation de secours des générateurs de vapeur…) ; passage à une simple enceinte de confinement avec liner du bâtiment du réacteur (BR) ; simplification de la conception du récupérateur de corium, avec notamment la réduction de la surface d’étalement du corium ; suppression du bâtiment des auxiliaires nucléaires (BAN).

En commentaires généraux, l’IRSN considère :
Que l’objectif doit être que le niveau de sûreté du réacteur EPR NM soit au moins égal à celui du réacteur EPR FA3 (18).
• Que l’augmentation du niveau de puissance thermique du cœur est de nature à réduire les marges de sûreté et n’y est donc pas favorable.
• L’IRSN estime que le principe d’une enceinte à simple paroi est acceptable.
On trouvera en Annexe la liste des recommandations de l’IRSN relatives à ce dossier d’options de sûreté.

Malgré sa réserve fondamentale sur l’augmentation du niveau de puissance, l’IRSN estime en conclusion que : « les options de conception retenues par EDF, même si les objectifs de sûreté et de conception du réacteur n’apparaissent pas toujours explicitement dans le dossier d’options de sûreté, sont de nature à garantir un niveau de sûreté pour l’EPR NM au moins équivalent à celui de l’EPR FA3 ».

Une telle conclusion est contradictoire avec la prise de position sur l’augmentation de puissance.

Le gain sur le coût de ce nouvel EPR est probablement dû en grande partie à l’augmentation de puissance, d’autant plus que la taille de la cuve ne serait pas modifiée, comme à la simplification de l’enceinte de confinement. Le jugement de l’IRSN est à cet égard très défavorable. On peut rapprocher ce jugement de la déclaration au journal Le Monde du 10 mai 2013 de Jacques Repussard, alors directeur général de l’IRSN : « Fukushima ne remet pas en cause l’utilisation de la fission nucléaire comme source d’énergie. Mais il faut des technologies éliminant les risques d’accident aussi grave. Cela demande peut-être de changer de paradigme, d’imaginer d’autres types de réacteurs et d’arrêter la course à la puissance ».

Il est fort probable que le « Nouvel EPR » ne verra jamais le jour.

4.2 EPR 2

Dans son cahier d’acteur pour le débat public de 2018 sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), EDF écrit : « EDF, avec ses partenaires, travaille aujourd’hui à la finalisation d’un EPR simplifié, de construction facilitée, et compétitif ». Dans ce même document, le nucléaire est présenté comme la technique de production d’électricité indispensable dans la lutte contre les changements climatiques.

Effectivement, Framatome, racheté par EDF à Areva en 2017 pour 2,5 Md€, travaille sur un nouvel EPR (EPR 2) ou autres dénominations équivalentes qui serait plus rapide à construire et moins cher de l’ordre de 30% que celui de Flamanville, ce qui ramènerait son prix unitaire à 6 Md€, voire 5 Md€ pour ses promoteurs les plus optimistes.

Une telle annonce a de quoi surprendre et inquiéter, en effet :
• Comment parler d’un EPR de nouvelle génération alors que l’EPR de Flamanville est loin d’avoir démarré et qu’il faudra très probablement plusieurs années d’expérience avant de se prononcer sur la qualité de sa conception et de son exploitation. Et cela d’autant plus que les essais avant démarrage pourraient parfaitement mettre en évidence d’autres défauts que ceux déjà identifiés.
• On comprend qu’il soit possible de réduire le coût d’un EPR en évitant les nombreuses défaillances qui ont émaillé sa construction. Mais le risque est grand que les économies envisagées se fassent sur le dos de la sûreté, alors que jusqu’ici la doctrine a été d’améliorer régulièrement celle-ci, notamment au passage d’une génération de réacteurs à l’autre, améliorations qui seraient notamment exigées par la prise en compte des conséquences possibles des bouleversements climatiques liés à l’aggravation de l’effet de serre. Promettre un EPR moins cher ne risque-t-il d’être « promettre un EPR moins sûr » ?

En ce qui concerne les coûts de production du kWh, EDF est bien conscient de la difficulté. Alors que le directeur du nouveau nucléaire, Xavier Ursat, déclarait le 22 mai 2017 que l’objectif était « que le nouveau nucléaire soit moins cher en euros par kWh que la moins chère des énergies renouvelables installée au même endroit à cette époque-là » (19), le tir a été rapidement corrigé : EDF a fait savoir le 18 septembre (20) qu’il visait pour la future version optimisée du nucléaire un coût de production du kWh inférieur à celui des centrales fonctionnant aux énergies fossiles, ce qui est bien différent… Le directeur s’en tirait avec une pirouette le même jour : « Au moment où j’ai prononcé cette phrase, la cible était moins chère que tout ce qui existait en matière de renouvelables à ce moment là… Je ne positionne pas aujourd’hui les énergies renouvelables en concurrentes du nucléaire ». Et pourtant elles le sont, et elles gagnent. On peut parier que la « cible » sera mouvante…

Même si la baisse des coûts annoncée était réaliste, un nucléaire à 70 €/MWh serait beaucoup plus cher que les futures production d’origine éolienne ou photovoltaïque.

Dans les appels d’offre mis en œuvre par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour la période clôturée en juillet 2018 pour les grandes puissances au sol en photovoltaïque, le prix était, pour les projets acceptés, de 55 €/MWh en moyenne, avec quelques projets à 52 €/MWh. Pour l’éolien terrestre, l’étude de l’ADEME de janvier 2017 donne une fourchette allant de 57 à 91 €/MWh. L’institut allemand Fraunhofer annonce un coût pour les grandes centrales photovoltaïques au sol de 24 €/MWh à l’horizon 2030 (21).

5. LA POURSUITE D’UNE STRATÉGIE DE PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ BASÉE SUR LE NUCLÉAIRE EST-ELLE PERTINENTE ?

5.1 La fuite en avant

L’un des arguments mis en avant par EDF pour justifier la réduction des coûts est celui bien connu mais jamais vérifié de l’effet de série, d’où l’idée de décider la construction de six à huit EPR, en application de la doctrine stratégique du président d’EDF : « Si je devais utiliser une image pour décrire notre situation, ce serait celle d’un cycliste qui, pour ne pas tomber, ne doit pas s’arrêter de pédaler » (22), oubliant que, depuis longtemps, les bicyclettes ont des freins… La fuite en avant qui avait caractérisé les outrances du « Plan Messmer » de 1974 (23) reste à l’ordre du jour. Elle s’était concrétisée depuis le début des années 1980, à partir desquelles la France a connu une surproduction d’électricité qu’elle a été amenée à exporter, opération sans grand intérêt : on vend à prix bas et on garde pour soi le risque d’accident, les déchets radioactifs et le démantèlement des centrales, toutes opérations particulièrement coûteuses.

5.2 Le nucléaire dans le monde

Aujourd’hui, la production d’origine nucléaire représente 10% de la production d’électricité mondiale (en régression de 7 points depuis 1996) à peine 2% de la consommation d’énergie finale, et ne permet d’éviter que 2,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’âge moyen du parc mondial continue d’augmenter et atteint 30 ans en 2018. Pas étonnant puisque le nombre des débuts de construction de nouveaux réacteurs a chuté de 44 en 1976 à 15 en 2010 et 5 en 2017. Alors que 260 milliards de dollars ont été investis au monde dans les filières photovoltaïque et éolienne en 2017, dont les coûts d’investissement et de production décroissent de façon continue depuis une décennie, seuls 16 milliards l’ont été dans la filière nucléaire dont les coûts ont subi un facteur deux d’augmentation durant la même période (24).

5.3 Le nucléaire et le climat

Devant l’urgence climatique, l’énergie nucléaire est souvent évoquée en France, malgré les risques qui s’y attachent, comme une solution crédible au niveau mondial à la lutte contre le réchauffement climatique, à l’égal des économies d’énergie et des énergies renouvelables.

Il est pourtant totalement invraisemblable de prétendre assurer à court et moyen terme (2030-2040) un développement mondial du nucléaire capable de sortir cette filière de la marginalité actuelle des émissions de gaz à effet de serre qu’elle évite.

Il faudrait en effet, pour atteindre une valeur de l’ordre de 10% pour les émissions évitées, démarrer un nouveau réacteur chaque semaine, sans qu’on ait la moindre idée des pays susceptibles de les accueillir sur leur réseau, des pôles industriels à développer intensivement et de l’origine des sommes gigantesques à rassembler pour financer ces investissements à haut risque et à temps de retour de cinq ou six décennies.

Sans compter la multiplication exponentielle des risques d’accident majeur, l’accumulation de déchets radioactifs à haute activité et très longue durée de vie dont personne ne sait que faire mais aussi les risques de prolifération vers les activités militaires que susciterait une dissémination trop rapide des technologies nucléaires dans des pays qui ne disposent ni de la stabilité politique, ni des infrastructures ni de la culture de sûreté et de sécurité indispensables.

5.4 Et en France ?

Sous le prétexte d’une « transition bas carbone » de bon aloi, c’est en fait d’une promotion discrète mais intense du nucléaire que présentent les scénarios politique énergétique de l’État illustrée par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Ces scénarios, improbables sur les plans technique et économique, envisagent une pénétration massive de l’électricité dans les transports individuels et le triplement des exportations d’électricité vers nos voisins européens, avec les problèmes d’extension des lignes haute tension transfrontières et les aléas politiques et économiques que suppose une telle stratégie.

Il faut revenir à la raison : une telle aventure est beaucoup plus risquée du point de vue technique, beaucoup plus onéreuse, moins efficace et beaucoup plus longue à mettre en œuvre que des politiques d’économie d’énergie (dont les économies d’électricité) et de développement des énergies renouvelables. Elle présente des risques majeurs, d’abord pour nos concitoyens, mais aussi pour nos voisins européens. : risque d’accident majeur qui augmente avec le dérèglement climatique, risque de restriction de la production en cas de canicule, risque de rupture d’approvisionnement d’uranium d’origine géopolitique, risque provoqué par l’aval du cycle, le démantèlement des centrales et le traitement des déchets nucléaires, risque de prolifération vers les armes atomiques.

Une telle stratégie, outre ses risques, ne peut que drainer les moyens financiers qui seraient autrement utiles à une véritable transition énergétique pour un développement durable.

La France, si elle s’obstine seule dans cette voie d’une primauté au nucléaire, s’isolera donc chaque jour davantage dans le concert des nations qui se sont engagées résolument dans une transition énergétique rapide fondée sur les trois piliers que sont la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Bernard Laponche, 23 novembre 2018

Notes

(1) La société Framatome a été intégrée à Areva en 2006 et est devenue filiale d’EDF en 2018.

(2) Les premiers travaux d’aménagement du site ont déjà commencé en 2018 mais, par convention, le début de construction (au-dessus de la dalle de béton) ne commencera qu’en juin ou juillet 2019.

(3) http://www.global-chance.org/IMG/pdf/GC18p8-17.pdf

(4) Le Monde Economie du 27/7/2017, propos de Thierry Charles, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.

(5) Concentration accrue de carbone dans l’acier de certaines zones des calottes du couvercle et du fond.

(6) https://blogs.mediapart.fr/bernard-laponche/blog/080917/la-perilleuse-affaire-de-la-cuve-de-l-epr-de-flamanville

(7) Cet équipement, le couvercle de cuve, bénéficiant, comme les autres équipements de la cuve et des circuits primaire et secondaires, du principe de « l’exclusion de rupture » signifiant que, par hypothèse, il ne peut pas connaître de rupture.

(8) https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Soudures-de-l-EPR-un-travail-technique-important-reste-a-faire
https://www.la-croix.com/France/EPR-Flamanville-ASN-avertit-EDF-soudures-2018-10-03-1300973426

(9) CODEP-DEP-2018-048051 du 2 octobre 2018.

(10) « Le coût du kWh EPR, le point de vue économique ». Benjamin Dessus, janvier 2004. http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-7227.html

(11) 1 Mégawattheure ou MWh = 1000 kWh.

(12) Le taux d’actualisation dans le calcul de la Cour des comptes est de 5% mais ne s’applique qu’au démantèlement et à la gestion des déchets.

(13) Cour des comptes : « Le coût de production de l’électricité nucléaire – Actualisation 2014 », mai 2014.

(14) https://www.lemonde.fr/energies/article/2016/03/06/le-directeur-financier-d-edf-demissionne-sur-fond-de-desaccord-autour-du-projet-de-l-epr-britannique-d-hinkley-point_4877521_1653054.html

(15) https://selectra.info/energie/actualites/acteurs/epr-nucleaire-edf-defi

(16) « EPR amélioré », « EPR optimisé », « EPR nouvelle génération »…

(17) Avis/IRSN N° 2018-000013 du 19 janvier 2018 : https://www.irsn.fr/FR/expertise/avis/2018/Documents/janvier/Avis-IRSN-2018-00013.pdf

(18) Flamanville 3, actuellement en fin de construction.

(19) https://www.challenges.fr/entreprise/energie/pourquoi-edf-s-arc-boute-sur-le-nucleaire_475119

(20) https://www.capital.fr/entreprises-marches/edf-vise-un-epr-optimise-moins-cher-que-les-energies-fossiles-1244844

(21) https://www.pv-magazine.com/2018/03/20/pv-has-the-lowest-lcoe-in-germany-finds-fraunhofer-ise/

(22) Audition par la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité nucléaires en 2018.

(23) Le 6 mars 1974, Pierre Messmer, premier ministre du Président Pompidou, annonce à l’ORTF la décision de réaliser en 1974 et 1975 le lancement de 13 réacteurs nucléaire de 1000 MW de puissance électrique.
https://www.science-et-vie.com/archives/40-ans-apres-le-programme-messmer-quel-avenir-pour-le-nucleaire-francais-28751

(24) World nuclear industry status report 2018. Mycle Schneider et al.

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