Le « multi-recyclage » du plutonium dans des réacteurs de 4ème génération : des perspectives à la fois lointaines et très limitées Contribution de WISE-Paris au débat public PNGMDR (17 avril - 25 septembre 2019)

, par   Yves Marignac

En amont du débat public prévu sur le Plan de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), ouvert du 17 avril 2019 au 25 septembre 2019, la commission particulière du débat public (CPDP) chargée de son organisation a mis en œuvre une démarche de « clarification des controverses ». L’objectif était, dans la perspective du débat d’apporter au public non spécialiste mais soucieux de disposer d’une bonne information technique les informations permettant de comprendre les différences d’argumentations exprimées par des experts ou des organismes institutionnels, et ce sur la base d’une série de questions relevant de ce plan... Ont participé à ce travail de mise à plat des enjeux du débat : EDF, Orano, l’Andra, le CEA et l’IRSN, mais aussi la CLI de Cruas, Global Chance, France Nature Environnement (FNE) et WISE-Paris.

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Yves Marignac (dir.) : Le « multi-recyclage » du plutonium dans des réacteurs de 4ème génération : des perspectives à la fois lointaines et très limitées (*)
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(*) Titre : rédaction de Global-Chance.org

LE « MULTI-RECYCLAGE » DU PLUTONIUM DANS DES RÉACTEURS
DE 4ÈME GÉNÉRATION : DES PERSPECTIVES À LA FOIS LOINTAINES
ET TRÈS LIMITÉES

Yves Marignac (dir.), WISE-Paris, contribution préalable au débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMR 2019-2021), jeudi 25 octobre 2018


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Pour mémoire, la question posée par la CPDP :

Question 1b - Quels seraient les arguments techniques en faveur, ou en défaveur d’un éventuel multi-recyclage futur, et les conditions de sa faisabilité, du point de vue de la gestion des matières et déchets radioactifs ?


La stratégie de « mono-recyclage » conduit en réalité à ne réutiliser qu’environ 1 % du combustible usé, via l’incorporation du plutonium dans du combustible MOX neuf (et quelques pourcents de plus en cas de déploiement partiel de l’utilisation de combustible issu de l’uranium de retraitement, URE). Ce combustible ne peut être utilisé en réacteur qu’après modification de l’installation, en raison de sa réactivité accrue. Seuls 24 réacteurs sur 58, parmi les plus vieux du parc, sont autorisés à utiliser du MOX. La perspective de leur fermeture remet en question la poursuite de la stratégie de retraitement. Une fois passé en réacteur, la température du combustible MOX usé est supérieure à celle des combustibles classiques usés, et décroit plus lentement. Il nécessite donc un refroidissement plus important et pendant plus longtemps (ils doivent notamment rester sous eau plus longtemps avant un éventuel entreposage à sec).

La stratégie de mono-recyclage, sans réduire de manière significative la quantité de déchets radioactifs, produit un combustible plus dangereux et plus difficile à gérer une fois irradié. Elle accroît les rejets radioactifs, accumule des stocks de matières radioactives sans véritable perspective de réutilisation et implique de nombreux transports supplémentaires de matières nucléaires à travers la France.

On peut s’interroger, au vu de ce constat, sur la faisabilité technique d’un éventuel « multi-recyclage » des matières et sur sa capacité à améliorer ce bilan, tant du point de vue des stocks de matières que des différents risques envisagés.

Cette question du multi-recyclage peut d’abord se poser dans les réacteurs actuels. Elle est sans doute envisageable pour l’uranium, mais cette voie ne semble pas poursuivie aujourd’hui : compte tenu des difficultés techniques et des coûts associés à une telle stratégie, du fait notamment de la présence problématique de l’isotope artificiel U-236 dans cette matière, et compte tenu des perspectives de disponibilité d’uranium naturel, son intérêt économique est excessivement limité.

Des programmes de recherche et développement sont en revanche menés sur des combustibles susceptibles de permettre la réutilisation du plutonium issu du combustible MOX dans les réacteurs actuels. La difficulté principale est liée à la qualité isotopique du plutonium, c’est-à-dire la proportion que ce plutonium contient d’isotopes impairs : celle-ci décroît au fil de l’utilisation. L’augmentation des performances du combustible UOX conduit déjà aujourd’hui à une dégradation de la qualité isotopique du plutonium qui s’y forme lors du premier passage en réacteur. Ceci contraint, pour maintenir le niveau de performance du MOX, à augmenter progressivement sa teneur en plutonium (pour maintenir sa teneur en plutonium fissile). Et cette dégradation de la qualité du plutonium se poursuit lors du passage du MOX en réacteur.

Une autre limite très forte au multi-recyclage dans les conditions actuelles est celle de la capacité des usines de La Hague. Le retraitement du MOX y est possible, mais il est plus coûteux et surtout plus difficile que celui du combustible UOX, et ne peut s’envisager que par dilution du MOX dans d’importantes quantités d’UOX, ce qui constitue une limite très forte au retraitement de quantités importantes de MOX, nécessaire au multi-recyclage.

Dès lors, le multi-recyclage dans les réacteurs actuels paraît difficilement envisageable. Il ne ferait par ailleurs que renforcer un certain nombre de problèmes associés dès aujourd’hui à la gestion du MOX, tels que les risques intrinsèquement supérieurs de ce type de combustible, la manipulation de flux croissants de plutonium, l’augmentation des rejets de La Hague, etc.

Une perspective plus lointaine consiste à envisager le multi-recyclage dans une nouvelle génération de réacteurs, qualifiée par l’industrie de « quatrième génération », qui s’appuierait sur le concept pourtant ancien de surgénérateur, déjà développé dans le dernier quart du siècle dernier en France avec les réacteurs Phénix et Superphénix. Toutefois le projet de réacteur ASTRID, prototype industriel destiné à faire la démonstration de cette nouvelle filière, rencontre des difficultés et prend du retard.

La possibilité du multi-recyclage dans un parc de ce type reste dès lors très incertaine, tant du point de vue de l’horizon de son déploiement que du point de vue de son impact sur le bilan matières. Les affirmations des acteurs de la filière nucléaire reposent souvent dans ce domaine sur deux manipulations grossières.

La première consiste à faire glisser en permanence l’échéance à laquelle ils déclarent ce déploiement crédible, toujours ajustée aux besoins de leur véritable objectif stratégique : cette « 4ème génération » sert en effet avant tout à créer la perspective d’un nucléaire soutenable (car éliminant ses déchets) pour poursuivre cette filière en prolongeant l’exploitation des réacteurs actuels, voire en construisant de nouveaux réacteurs, qui ne sont que de « 3ème génération », et n’apportent donc aucun bénéfice, à l’image de l’EPR, à la gestion des déchets. Ce qui ne fonctionne qu’à condition que les surgénérateurs ne puissent être déployés que trop tard pour éviter ces prolongations ou ces nouvelles constructions. Ainsi l’horizon prédit pour leur utilisation a reculé de 2000 dans les années quatre-vingt à 2030 lors du débat sur l’EPR, en 2005, puis aujourd’hui à la deuxième moitié du siècle. On notera avec intérêt que cet horizon « réaliste » s’éloigne ainsi plus vite que l’on s’en approche…

La seconde repose sur des démonstrations tautologiques, où la conclusion est en fait contenue dans l’hypothèse. Il s’agit notamment, dans les nombreux scénarios que produit l’industrie pour montrer l’intérêt du développement de réacteurs de 4ème génération du point de vue du bilan matière, d’introduire des réacteurs dont on suppose justement qu’ils consommeront et produiront à l’équilibre les différentes matières dans les proportions voulues. Ce qui en fait ne dit rien sur la faisabilité de réacteurs fonctionnant, dans des conditions acceptables de maîtrise des risques et des coûts, à cet équilibre.

La perspective du multi-recyclage du plutonium dans les surgénérateurs repose dans tous les cas sur un « cycle » impliquant deux matières : le plutonium bien sûr, mais aussi l’uranium appauvri. Pour ce dernier, le stock énorme dont la France dispose ne serait que très partiellement consommé, à raison d’environ un dix-millième par an. Quant au plutonium, cette stratégie en mettrait pour un parc de même taille qu’aujourd’hui un volume plusieurs dizaines de fois plus important en circulation, avec la multiplication des installations telles que La Hague, des transports, et de l’ensemble des risques correspondants. Enfin, il resterait à la fin de vie de ce parc un stock d’environ 900 tonnes de plutonium, pour l’essentiel contenu dans du combustible usé dont le stockage définitif est beaucoup plus difficile à envisager que celui dont on dispose aujourd’hui.

Le principal « intérêt » de la stratégie de multi-recyclage réside dès lors peut-être moins pour l’industrie dans les résultats qu’elle prétend en attendre, que dans les bénéfices qu’elle lui procure dès aujourd’hui, en lui permettant d’accumuler des stocks croissants de matières sans emploi sans se soucier véritablement de leur prise en charge à long terme. Et d’empêcher le débat, pourtant nécessaire, sur la mise en place d’une stratégie plus responsable de gestion des combustibles usés et des matières accumulées.

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