Benjamin Dessus, Politis, n°1094, semaine du 18 au 24 mars 2010
Claude Allègre, avec son livre l’Imposture climatique, a lancé une attaque au bazooka contre l’establishment climatologique. Sur le mode « nous sommes seuls, ils sont cent, encerclons-les », qui plaît tant au public, il y dénonce sans nuances le Giec, les porte-parole historiques de la lutte contre le réchauffement (Al Gore, Nicolas Hulot) et les partis qui se réclament de l’écologie. Et comme cet aspect Robin des bois de la science se vend bien, les médias assurent, à travers débats, interviews et prises de position tranchées, une large publicité à sa personne, à son livre, à ses coups de gueule et à ses jugements déplaisants et définitifs. Le but avoué est, bien entendu, de décrédibiliser complètement la communauté des climatologues et, surtout, de déstabiliser tous ceux qui, convaincus de l’origine anthropique de la menace, proposent des politiques volontaristes de sobriété et d’efficacité énergétique pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Devant ce déferlement, quelques journalistes et scientifiques courageux sont venus, fermement mais poliment, apporter la contradiction à ses propos et les ramener à une juste marginalité. Dans ces circonstances, le silence actuel de l’ensemble de la classe politique devant cette attaque pourtant frontale des climato-sceptiques apparaît comme particulièrement assourdissant.
Rien du côté de la majorité ni du gouvernement, alors que les propos d’Allègre remettent complètement en cause la stratégie de Nicolas Sarkozy et les fondements mêmes de sa grande affaire – le « Grenelle de l’environnement ». Il ne manque pourtant pas de ministres en première ligne, de Jean-Louis Borloo à Chantal Jouanno, en passant par Nathalie Kosciusko-Morizet. La connivence supposée entre notre Président et Allègre, qui avait bien failli conduire ce dernier au gouvernement en juin dernier, y serait-elle pour quelque chose ? Ou bien faut-il y voir un soupir de soulagement de la majorité, devant la divine surprise du relâchement d’une contrainte climatique, imposée jusqu’ici par l’opinion publique, et qui complique bien la relance ?
Et du côté du Parti socialiste ? Certes, Claude Allègre y avait sa carte et a été un ministre (remarqué) de Lionel Jospin. Il est bien vrai aussi qu’en période de profonde crise économique et sociale, sur fond de fermeture de raffineries françaises, il n’est pas facile de faire campagne régionale sur la nécessaire frugalité pétrolière qu’impose le risque climatique… Mais, surtout, on sait bien qu’au PS le clan des « productivistes » est bien représenté : pro-nucléaires, pro-OGM, pro-nanotechnologies y sont influents. Les propos d’un Allègre sur « l’écologie positive », cette fuite en avant technologique tous azimuts et sans contrainte pour qui que ce soit ne sont pas pour leur déplaire.
Alors, se dit-on, il reste Europe Écologie, parce que c’est là son fonds de commerce, et la gauche de la gauche, parce qu’elle affirme depuis peu avoir pris pleine conscience de l’importance de la crise écologique et du risque climatique. On s’attendrait donc à voir de grands noms, José Bové et Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Daniel Cohn-Bendit et Marie-George Buffet, voire Olivier Besancenot, chacun dans son coin ou, mieux encore, ensemble, prendre leur plume et rentrer dans le lard de notre Zorro du négationnisme climatique. Rien pour l’instant !
Devant cette offensive politique, nous avons besoin, à l’usage des militants et des citoyens, d’une position politique. Écrite, argumentée, claire et ferme et si possible unie, de la part des différentes composantes de la gauche écologique. Qu’on ne s’y trompe pas ! Derrière l’initiative de Claude Allègre et de quelques autres, se profile une stratégie bien orchestrée des lobbies pétroliers et charbonniers, et plus largement de tous ceux qui n’ont aucun intérêt à voir les choses changer.