in « Forêts, Énergie, Climat », co-édité par Liaison Énergie-Francophonie (n°84, 3ème trimestre 2009) et Le Flamboyant (numéro spécial, septembre 2009)
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Les émissions nettes de gaz carbonique provenant des changements d’utilisation des terres, et en particulier des forêts, occupent depuis 2005 une place importante dans les négociations de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. Dans cette présentation, nous examinons tout d’abord l’importance de ces émissions par rapport à celles provenant des énergies fossiles et l’historique de leur prise en compte sous le Protocole de Kyoto (PK), d’une part, dans les pays industrialisés et, d’autre part, dans les pays en développement. Les difficultés rencontrées pourront dans une certaine mesure nous éclairer sur les approches possibles pour la période post 2012. Nous examinons ensuite les deux grands types d’approche possibles pour les pays en développement : celles centrées sur les forêts, actuellement les plus discutées, et celles élargies à l’utilisation de l’espace rural, avec les forêts mais aussi les prairies et les terres cultivées. Pour chacune, diverses options de financements et d’engagements sont envisageables. Au moment de la rédaction de ces lignes en avril 2009, aucune approche ne faisait l’objet d’un large consensus.
les émissions de gaz carbonique de l’énergie et des forêts
En 1990 (année de référence des comptabilités des émissions de gaz à effet de serre), les émissions de gaz carbonique par habitant provenaient, pour l’essentiel, dans les pays industrialisés, des consommations d’énergies fossiles et dans les pays en développement, des changements d’utilisation des terres, c’est-à-dire des déboisements. On comprend donc que, sous le Protocole de Kyoto où conformément au mandat de Berlin de 2005 seuls les pays industrialisés devaient s’engager à réduire leurs émissions, l’on ait mis l’accent surtout sur les énergies fossiles.
À l’horizon 2012, dans les pays industrialisés qui ont ratifié le PK, les émissions ne devraient diminuer que d’environ 5% par rapport à 1990. Elles resteront donc, globalement, supérieures à celle de 1990. Alors que, d’après les scientifiques, il conviendrait pour stabiliser le climat d’ici à 2050, de les diviser par 2 ! En 2050, le climat serait alors plus chaud qu’actuellement d’environ 2°C. En effet, même si on arrêtait brutalement toutes les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES), le réchauffement se poursuivrait à cause des excédents déjà accumulés dans l’atmosphère. Mais du moins espère-t-on ainsi pouvoir éviter des changements encore beaucoup plus importants et plus menaçants ! Aussi, les Chefs d’États présents au sommet du G8 à Hokkaido, en juillet 2008, ont-ils adopté cet objectif de stabilisation du climat. Pour respecter les principes de l’article 3 de la Convention il faudrait, dans les pays industrialisés, diviser les émissions de GES par 4, ou même parfois davantage ! Il « reste » donc à mettre en oeuvre des politiques qui permettront d’atteindre ce résultat, c’est-à-dire de faire converger les émissions annuelles mondiales vers 3 GtC par an, soit 1,83 tCO2e/hab, et cela par rapport à une population de six milliards d’habitants comme en 2000. En tenant compte d’une augmentation
moyenne de la population mondiale de près de 50% d’ici à 2050 (notamment en Inde et en Afrique subsaharienne), ces émissions mondiales devraient même converger à un niveau inférieur, autour de 1,22 tCO2e ! Or, en 1990, les émissions par habitant atteignaient déjà 1,7 tCO2e dans les pays en développement, 6 à 9 tCO2e en Europe et au Japon, et 20 tCO2e en Amérique du Nord. D’où une moyenne mondiale deux fois trop élevée !
D’ici à 2050, ni les pénuries futures de pétrole ou de charbon, ni la crise économique, ni le ralentissement du défrichement, ni l’augmentation de surfaces disponibles pour des boisements ne permettront d’atteindre la baisse des émissions souhaitable. Dans le même temps, la population des pays en développement doit mieux se nourrir alors que le nombre de ceux qui ont faim, au lieu d’être divisé par deux d’ici à 2015 comme le prévoient les engagements du Millénaire des Nations Unies, est en train de s’approcher du milliard d’habitants.
Les efforts de réduction des émissions nécessaires pour concilier ces impératifs sont donc gigantesques. En 2050, il faudra émettre autant de GES que dans les années 1970-1980, soit deux fois moins qu’actuellement, mais avec une population de 9 milliards d’habitants, soit deux fois plus importante qu’en 1980. De nouvelles politiques devront donc être mises en oeuvre. Il faudra réduire non seulement les consommations d’énergies fossiles, mais aussi les changements d’utilisation des terres, donc les conversions des écosystèmes forestiers et prairial, partout où cela est possible, afin de limiter le déstockage de carbone fossile et biotique. Si on veut que les températures moyennes n’augmentent pas de plus de 2°C, il faudra même recourir à des stockages géologiques dans la croûte terrestre. Ce stockage offre des « puits » à CO2 bien plus importants que les forêts, beaucoup moins rapidement saturables, avec des risques de réversibilité bien moindres. Mais les coûts sont plus élevés. L’augmentation des stocks dans les forêts existantes ne coûte que 1 à 2 $ par tCO2e, contre au moins 90 $ par tCO2e pour le stockage géologique avec des captages postcombustion.
L’équité et le droit au développement des pays insuffisamment développés, la mise au point de technologies, les coûts, les aspects sociaux, les conséquences locales, etc. sont à prendre en compte. Ce qui impose de dépasser les approches sectorielles ou nationales auxquelles les techniciens sont parfois tentés de se cantonner. Si le défi paraît difficile à relever, il demeure en revanche injustifié de s’en détourner et de ne s’intéresser qu’à l’adaptation aux changements climatiques. Car il se pourrait que les changements devenant trop importants, certaines régions du monde ne puissent même plus s’adapter. Certains spécialistes pensent en effet que le niveau moyen des mers pourrait s’élever d’un mètre d’ici à 2100 si nous continuons au rythme actuel alors que le rapport de 2007 du GIEC ne prévoyait pour la fin du siècle qu’une élévation de 18 à 59 cm.
la réduction des émissions sous le protocole de kyoto
Le Protocole de Kyoto, qui n’exigeait des réductions d’émissions que de la part des pays industrialisés, s’est intéressé essentiellement aux énergies fossiles et peu aux forêts sauf dans les articles 3.3, 3.4, 6 et 12.
Sous l’article 3.3, le seul à prendre en compte par les pays de l’Annexe 1, il s’agissait surtout d’éviter le déstockage de carbone biotique résultant des déboisements avec changements d’affectation des terres, et d’encourager les augmentations de stocks de carbone par des boisements de terres classées non forestières en 1990. Compte tenu de la dissymétrie entre les boisements et les déboisements, il fallait pour obtenir un bilan nul ou positif d’ici à 2012 boiser des superficies supérieures à celles défrichées et non maintenues en forêt entre 2008 et 2012. En effet, en déboisant, on perd presque instantanément de l’ordre de 220 tCO2/ha, alors qu’en boisant on ne prélève dans l’atmosphère que de l’ordre de 5 à 10 tCO2/ha/an. Pour corriger cette dissymétrie, on a donc décidé de comptabiliser des boisements de terres agricoles effectués depuis 1990. Pour certains pays comme la France ou la Finlande, ayant d’importantes surfaces boisées et des stocks totaux de carbone biotique en augmentation, cette nouvelle comptabilité conduisait malgré tout à des bilans négatifs, ce que l’on a finalement tenté de corriger en permettant, dès 2008, le recours à l’article 3.4 dès la première période d’engagement.
L’article 3.4 concerne les variations de stocks de carbone et d’autres émissions de GES des espaces ruraux non pris en considération sous l’article 3.3. Il fallait donc décider des activités à retenir et des modes de comptabilisation. En principe, cet article ne devait primitivement être appliqué que lors de la deuxième période d’engagement, donc après 2012. Mais il était stipulé qu’« une Partie peut l’appliquer à ces activités anthropiques supplémentaires (alors non encore définies) lors de la première période d’engagement »… En raison des difficultés inhérentes à cet exercice, l’expertise du GIEC fut explicitement demandée : son rapport spécial sur « l’utilisation des terres, les changements d’utilisation des terres et la foresterie » fut approuvé en mai 2000.
Pour pouvoir ratifier le Protocole, les pays de l’Annexe 1 voulaient savoir à quoi ils s’engageaient. Or les efforts de réduction des émissions par pays avaient été fixés sans tenir compte des émissions ou des réductions d’émissions provenant des forêts. Prendre en compte, sans limitations spécifiques, les augmentations de stocks de carbone en forêt postérieurement à la fixation du niveau des engagements aurait pu, pour certains pays à fort taux de boisement, alléger fortement les efforts à réaliser dans les autres secteurs. On risquait de déstabiliser tout l’édifice. Il fallut donc trouver des compromis acceptables par tous les pays. On distingua (a) les forêts, (b) l’espace agricole, c’est-à-dire les prairies et les cultures, et (c) les autres zones portant de la végétation. Pour chacune de ces catégories, on inventa des comptabilités spécifiques, notamment pour préserver autant que possible les objectifs de Kyoto. Un pays de l’Annexe B pouvait ainsi décider, sous l’article 3.4, de ne retenir pour la période 2008-2012 que l’une ou l’autre de ces rubriques, ou même n’en retenir aucune.
(a) Les forêts. On a plafonné les prises en compte des augmentations des stocks de carbone des forêts sous l’article 3.4 à environ 15% des augmentations de stocks moyens des forêts existantes prévus entre 2000 et 2010. Un pays prenant en compte cet article pouvait donc continuer, sans être pénalisé, à exploiter ses forêts et n’augmenter son stock de carbone que de l’ordre de 15% par rapport à ce qui avait été prévu en 2000. Prendre en compte 100% des variations de stocks, comme sous l’article 3.3, aurait pu inciter certains pays à sous-exploiter leurs forêts. Cela aurait finalement pénalisé les filières industrielles ou domestiques utilisant le bois, et aurait été contraire au développement durable recommandé à l’article 2 de la Convention.
(b) L’espace agricole. Nous ne détaillerons pas cette rubrique ici. Soulignons seulement le poids prépondérant de la diminution des stocks de carbone provenant de mises en cultures de prairies permanentes.
(c) Autres espaces « végétalisés ». Sont concernées ici les plantations ligneuses hors forêts, (haies, arbres le long des routes), la revégétalisation de terrains miniers, etc.
Comme, pour être significatifs, les accroissements de stocks de carbone doivent être calculés sur des mesures faites à intervalles réguliers, mais si possible égaux ou supérieurs à 5 ans. Il a été décidé que les augmentations de stocks en forêt ne pourraient pas faire l’objet de transactions sur les marchés de droits d’émissions.
L’article 12 intéressait particulièrement les mécanismes de développement propres (MDP). Après de longues discussions, les augmentations de stocks de carbone des boisements de terres classées agricoles en 1990, devinrent éligibles au MDP pour l’obtention de Certificats de Réductions d’Émissions (CRE) vendables par les pays en développement, aux pays de l’Annexe B. Il fallait seulement que ces boisements n’engendrent pas de défrichements. La prise en compte des activités forestières, sous cet article, n’intéressait cependant ni les grands pays en développement, la Chine et l’Inde, ni l’Union européenne qui s’y était fortement opposée. Cette dernière pensait notamment que les réductions d’émissions devaient d’abord être réalisées dans chacun des pays de l’Annexe B par des politiques et des mesures domestiques. Ainsi, en 2007, sur un millier de projets MDP, dont les trois quarts avec la Chine, l’Inde et le Brésil, aucun projet de boisement de terres agricoles n’avait encore été approuvé. Ce qui reflète toute la difficulté de ces projets, très risqués pour les investisseurs étrangers.
En cas d’incendie, de sécheresse, de tempête ou de défrichement, qui payera le débit ? De plus, les règles pour ces boisements ne furent connues que tardivement. Quant aux déboisements, ils furent complètement ignorés à l’exception de ceux qui auraient pu être induits directement dans la même région par un boisement bénéficiant du MDP.
Ces quelques remarques montrent toute la difficulté de prise en compte des opérations forestières dans les négociations sur le climat. Ce sujet a fait dérailler la conférence de la Haye en 2000, et il faut souhaiter que le même scénario ne se reproduise pas en 2009.
les approches centrées sur les forêts tropicales
Les approches susceptibles de réduire les émissions nettes dans les pays en développement portent sur le boisement et sur la Réduction des Déboisements et des Dégradations des forêts (REDD).
Les boisements
Pour boiser, il faut, d’une part, des surfaces qui n’étaient pas boisées en 1990 sans entrer en concurrence avec les productions alimentaires et, d’autre part, des acteurs, notamment des investisseurs privés, se portant garants des résultats et de la pérennité des plantations. Ces derniers ne prendront des risques qu’avec des perspectives de profits et des garanties locales suffisantes. Or, la croissance des arbres sur les terres les plus pauvres est lente et financièrement peu attractive. Si, en outre, ces boisements doivent promouvoir ou conserver la biodiversité, comme on peut le souhaiter, ces opérations deviennent, financièrement, encore moins attractives. Pour les petits projets, avec des surfaces moyennes de boisement de 2 ha préservées pendant 25 ans, les boisements ne deviennent financièrement possibles qu’avec des CRE rémunérés plus de 18 $ par tCO2e. Pour des surfaces de 20 ha, les coûts de transactions sont
plus faibles, et les plantations pourraient devenir attractives pour des CRE supérieurs à 10 $ par tCO2e. Le faible nombre de projets proposés à ce jour reflète sans doute toutes ces difficultés.
Les REDD
Pour diverses raisons, les possibilités du REDD n’ont pas été retenues sous le PK. L’alliance des petites îles (AOSIS) et les ONG environnementales s’y opposaient. Depuis Montréal, en 2005, l’attitude a changé. Mais le problème reste complexe et les difficultés nombreuses. Citons, entre autres, la définition des scénarios de référence, les « fuites », le coût des actions forestières, les méthodes de mesure des variations de stocks et leur coût, la responsabilité de la préservation des stocks de carbone à long terme, les sources potentielles de financements, les cobénéfices des actions, l’équité, y compris envers les peuples indigènes, etc.
En bref, la REDD est une question simple en apparence, mais très complexe à mettre en oeuvre et qui n’a pas de solution unique. Par ailleurs, une architecture aussi parfaite fut-elle ne vaut rien si elle ne peut pas être mise en oeuvre. Il faut se poser deux questions centrales : combien cela coûtera-t-il de réduire les émissions via la REDD et d’où viendront les financements ?
L’examen de situations concrètes montre que les rémunérations demandées pour préserver ou reconstituer les forêts varient énormément, le prix de la tonne de carbone allant de deux à quelques dizaines de dollars. Mais combien vaudra un hectare de forêts converti en palmeraie à huile, rapportant plus de 1 500 $/ha/an, par rapport à une forêt tropicale classique ne conduisant qu’à la récolte de quelques m3 chaque année ? Quels sont les coûts d’opportunité ? Quels sont les coûts de préservation des forêts ? Il y aura évidemment des différences d’appréciation entre les populations locales voulant préserver leur environnement et les gouvernements soucieux d’équilibrer leurs balances commerciales et de promouvoir leur développement économique.
Les financements destinés aux REDD peuvent schématiquement provenir de trois sources : des budgets des pays de l’Annexe B, des taxations (par exemple de la vente de droits d’émissions) ou des ventes sur un marché de carbone. Ce dernier intéresse de nombreux financiers. Mais mesurer avec précision des variations des stocks en forêt est déjà difficile et coûteux pour les boisements et sera encore plus coûteux pour les REDD. Le plus souvent, les promoteurs n’ont pas la moindre expérience des difficultés et des imprécisions dans ce domaine. Les coûts de transactions risquent alors de devenir très élevés.
Rémunérera-t-on selon les mêmes bases les pays ou États qui ont jusqu’ici beaucoup déboisé et ceux qui ont jusqu’ici fortement contenu ces déboisements ? Les marchés de droits d’émissions ne fonctionnent par ailleurs qu’avec des menaces de sanctions en cas de non-respect des règles et des obligations. Comment les imposer ? Jusqu’ici, on n’a pas envisagé d’autoriser la mise sur le marché des réductions d’émissions provenant de l’utilisation des terres et des changements d’utilisation des terres dans les pays industrialisés, pourtant pourvus d’un assez bon appareil de gestion et de suivi des actions rurales et forestières. Alors comment pourrait-on le faire dans des pays dont les suivis sont beaucoup plus sommaires ? Comment vérifiera-t-on les réductions réelles des émissions des petites actions ? À quels coûts ? N’y a-t-il pas des risques de volatilité des prix de la tCO2e trop importants ? Cela ne risquerait-il pas de supprimer pendant un certain temps toutes les actions de maîtrise de l’énergie dans les pays ayant accès à ces marchés ?
On pourrait aussi imaginer des marchés de carbone des REDD spécifiques, non connectés aux autres marchés des droits d’émissions, avec des autorisations d’accès encadrés pour les entreprises et les pays de l’Annexe 1. Cela permettrait peut-être de limiter les dommages en cas de défaillance de ces marchés et d’isoler plus facilement certains produits financiers susceptibles de devenir « toxiques ». L’aide directe, gérée par une organisation internationale comme le Fonds pour l’Environnement Mondial, paraîtrait la plus appropriée. Il faudra replacer les aides dans des contextes plus généraux, notamment dans le cadre de l’aménagement et de la gestion des territoires.
les approches centrées sur l’utilisation de l’espace rural
Dans l’espace rural, on doit considérer non seulement les forêts, mais aussi les prairies et les terres cultivées. L’agriculture est en effet l’une des principales causes des déboisements. S’il fallait que chaque continent se nourrisse avec les rendements de l’agriculture qui prévalaient en 1990, le continent africain serait le plus affecté. Il n’y resterait sans doute en 2050 qu’un petit reliquat de forêt au fond de la cuvette congolaise. Cela serait attribuable au fait de la croissance démographique et du bas niveau de l’efficacité territoriale [1] actuelle.
Quand l’efficacité territoriale (les rendements, pour faire bref [2]) augmente, on peut dans certaines limites augmenter la production sans défricher de nouvelles terres. Dans le monde, l’efficacité territoriale n’a vraiment augmenté qu’à partir de la seconde partie du xxe siècle, dans les pays qui ont réalisé leurs révolutions vertes. Entre 1950 et 2000, les rendements par hectare des céréales ont même été multipliés par 4 en Europe de l’Ouest. Dans le monde, ces augmentations ont permis, sur 0,66 Mha, de tripler la production de céréales sans augmenter les surfaces cultivées. Ce qui a permis d’éviter de défricher plus de 1 milliard d’hectares. Or, un défrichement standard d’un hectare (50% de forêt et 50% de prairies) mis en culture émet environ 200 tCO2. On a donc ainsi pu éviter l’émission d’environ 200 GtCO2.
En Afrique subsaharienne
En Afrique subsaharienne, faute d’intrants, de politiques agricoles protectionnistes et parce qu’il y a encore beaucoup de terres à défricher, l’augmentation des productions s’est réalisée principalement en augmentant les surfaces.
Dans cette région, entre 1975 et 2000, on a en moyenne défriché 5 Mha/an, dont près de 55% de forêts et 45% d’autres formations qui émirent au moins 1 GtCO2, c’est-à-dire le double des émissions annuelles de tous les gaz à effet de serre de la France. À raison de 1 $ à 2 $ par tCO2e non émis, on pourrait dégager des sommes suffisantes pour abaisser significativement le prix des intrants, notamment des engrais, afin d’augmenter les rendements. Cela permettrait évidemment de réduire les besoins de défrichements et de mieux protéger les forêts. Faut-il rappeler que, dans cette partie du monde, on utilise 20 fois moins d’engrais par hectare que dans les pays industrialisés ? La demande de l’Union Africaine (NEPAD) est de porter cette consommation à seulement 50 kg par ha d’ici à 2015, c’est-à-dire à un niveau égal au quart de celui des pays industrialisés et à la moitié de la moyenne mondiale qui est d’environ 100 kg. On pourrait donc imaginer un scénario de développement pour l’Afrique qui tout à la fois diminuerait les émissions de GES dues aux changements d’utilisation des terres et améliorerait la sécurité alimentaire.
Cette option ne serait certainement pas plus difficile à mettre oeuvre que celles qui sont imaginées dans les approches strictement forestières pour la REDD. Elle serait en outre plus conforme aux objectifs de l’article 2 de la Convention sur le climat. Il revient aux pays africains de porter cette option, s’ils la croient bonne, et de demander expressément à ce qu’elle soit explorée dans une phase expérimentale. Cela impliquerait donc des discussions et des engagements par État ou mieux, par groupe d’États.
En Amérique latine
Les pressions démographiques sont en général bien plus faibles qu’en Afrique et les solutions à envisager y sont différentes. Celles de l’État de l’Acre au Brésil, avec quelques centaines de milliers d’habitants sur une superficie voisine de la Belgique, ne sont en rien comparables avec celles du Burundi, par exemple.
En Asie du Sud-Est
Le problème est également différent dans cette partie du monde très peuplée. Il faudra trouver des compromis entre la préservation des forêts sur tourbières, des grands singes et d’autres animaux menacés, c’est-à-dire des aménagements et des utilisations des territoires compatibles avec les besoins du développement.
Soulignons, sans entrer davantage dans les détails, que dans la lutte contre les changements climatiques l’augmentation de l’efficacité territoriale est, dans les pays en développement, encore très souvent beaucoup plus importante que l’augmentation de l’efficacité énergétique. Avec un peu plus d’énergies fossiles, on peut en effet convertir beaucoup plus d’énergie solaire à des fins alimentaires et non alimentaires (voir www.sifee.org 2007 et n°80 du LEF 2008, p. 51-61) et éviter ainsi des changements d’utilisation des terres. Ce point capital est malheureusement encore largement ignoré par de nombreux spécialistes qui pensent seulement à la maîtrise des énergies fossiles.