Dans le domaine de l’énergie et des émissions de CO2, la solution qu’on nous propose généralement pour la France repose sur deux piliers : la croissance et les énergies décarbonées. La croissance serait naturellement porteuse d’amélioration des conditions de vie des plus pauvres, sans pour autant gonfler significativement les émissions des plus riches. On savait en effet, grâce aux études de l’ADEME, que les 20 % les plus riches ne consacraient « que » 6 % de leur revenu à leurs dépenses directes d’énergie (le chauffage, l’électricité domestique, le carburant automobile) contre 15 % pour les 20 % les plus pauvres. Et qu’ils avaient, finalement, une consommation d’énergie « seulement » 20 % supérieure et des émissions de CO2 25 % supérieures à celles des plus modestes. C’est-à-dire qu’on devait donc s’en sortir sans trop de mal avec un effort général d’économie d’énergie, à peine plus important pour les classes les plus riches, et une mobilisation nationale des énergies décarbonées, nucléaire en tête !
Un rapport récent vient brutalement remettre en doute ces certitudes réconfortantes. L’Insee a eu en effet la curiosité de mesurer les émissions de CO2 contenues dans les produits et les biens qu’importe la France, sans oublier bien entendu d’en soustraire celles contenues dans ses exportations. Les résultats de cette étude sont éclairants.
Quand on tient compte de l’énergie « grise » que contiennent les biens et les produits que nous achetons, nos émissions (et donc nos consommations d’énergie) sont près de 35 % supérieures à ce qu’indique le bilan national… On découvre aussi que la répartition de ces émissions en fonction des revenus des ménages est beaucoup plus contrastée que pour nos dépenses « directes » d’énergie : celles des 20 % de ménages les plus favorisés sont 2,7 fois plus importantes (et non pas 1,25 fois) que celles des 20 % les plus défavorisés. Les émissions de CO2 d’un ménage en France, à une époque déterminée, restent donc presque proportionnelles à sa richesse car la part d’énergie indirecte contenue dans les biens et les produits de consommation, souvent importés, augmente très vite en fonction des revenus.
Il faut donc à l’évidence provoquer un effort de réduction beaucoup plus considérable que supposé de la part des couches les plus aisées de la population. Et nous n’y parviendrons pas si les incitations à l’effort demandé ne sont pas modulées en fonction des niveaux réels d’émission de chacun (et finalement de son revenu). Il faut donc, pour des raisons d’équité mais aussi d’efficacité, mettre en place des incitations fortement progressives à l’économie d’énergie ou d’émissions. Quelque chose d’analogue dans son principe à l’impôt sur le revenu, avec une exonération de taxe jusqu’à un seuil d’émission donné, puis une taxe progressive avec le niveau d’émission.
Bien entendu, la mise en place d’un tel système se heurte à de nombreuses difficultés pratiques puisqu’il n’est pas facile d’associer un contenu CO2 à chacun des biens que se procure et utilise un ménage. Il existe pourtant déjà une mesure fiscale – le malus automobile – qui respecte cet esprit de progressivité et semble bien acceptée aujourd’hui. Savez-vous en effet qu’une automobile roulant 15 000 km/an pendant dix ans paiera, à travers son malus initial, une taxe CO2 implicite de 63 euros/tonne si elle émet 250g/km (comme un 4x4 par exemple) et de seulement 8,50 euros/tonne si elle n’en émet que 150 (comme une 308 ou une C4 essence) ?
On a bien là l’exemple d’une taxe très rapidement progressive qui prend en compte à la fois les émissions à la construction du véhicule et celles de son usage, dont on pourrait s’inspirer dans de nombreux autres cas. Mais, surtout, l’étude de l’Insee montre que le modèle de consommation des classes aisées n’est tout simplement pas accessible à tous parce que beaucoup trop dispendieux en énergie et en émissions cachées. C’est donc bien le mode de vie et de consommation des classes aisées des pays occidentaux qui est en cause, et qu’il est urgent de faire évoluer vers plus de sobriété.
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