Climat : « Un traité complet ne pourra s’envisager qu’à la fin de 2010 »

, par   Laurence Tubiana

Laurence Tubiana
LeMonde.fr, vendredi 18 décembre 2009
Chat avec des internautes, modéré par Claire Ané

Laurence Tubiana, directrice des biens publics mondiaux au ministère des affaires étrangères, membre de la délégation française à Copenhague, fait le point à quelques heures de la fin du sommet.

Pensez-vous que ces deux semaines de débats à Copenhague soient un échec ou une réussite au regard de la feuille de route qui avait été décidée à Bali ?

Les perspectives de cette négociation ne sont pas bonnes. Depuis deux semaines, même si un texte de négociation assez court a été mis sur la table, les blocages de tous les côtés n’ont pas bougé. Les chefs d’Etat arrivés hier ont essayé de se mettre d’accord sur un texte qui permettrait de traiter les points politiques les plus durs, pour permettre la relance des négociations. Le premier ministre chinois et Barack Obama vont s’exprimer maintenant. Ils sont les seuls à même de permettre un accord. Je vous propose de reprendre cet échange dans vingt minutes. J’espère que nous en saurons alors un peu plus.

Quel est, selon vous, le plus compliqué des blocages ? et comment pensez-vous qu’il puisse être résolu ?

Le point le plus compliqué est, d’un côté, les offres de réduction des gaz à effet de serre des pays développés, jugées trop faibles par les pays en développement. Et l’autre point est celui du manque de confiance que les pays développés ont dans les actions et politiques menées par les pays en développement. Le gros blocage des pays en développement, particulièrement de la Chine, est le refus d’une ingérence internationale sur leurs politiques et actions. C’est un problème de principe, pas seulement de déclarations. Il faut pouvoir s’engager dans un traité international qui ensuite soit appliqué. Et la Chine ne veut pas d’engagement qui la contraigne du point de vue de cette vérification par des tiers de ses politiques.Et c’est sans doute le point de blocage le plus dur de la négociation. A ce stade, c’est du domaine politique et symbolique, et il n’y a que la décision du chef d’Etat chinois qui peut débloquer les choses.

Les citoyens ne sont-ils pas les grands absents de ce sommet ?

C’est vrai, les citoyens sont absents, car les mesures de sécurité ont progressivement exclu les ONG de la participation à ce sommet. Du coup, leur influence a finalement été peu ressentie dans les discussions.

Quelle est l’urgence de prendre des décisions aujourd’hui sur le climat ? Pourquoi ne pas se limiter à une feuille de route ?

D’abord, nous discutons de cette feuille de route depuis déjà deux ans. Et nous savons que c’est dans les dix prochaines années que des politiques climatiques très énergiques doivent être menées. Toute année perdue est importante.

Que viennent d’annoncer Barack Obama et le premier ministre chinois ?

Wen Jiabao a annoncé les engagements chinois, les a rappelés, a admis des formes de vérification, mais limitées à l’évaluation par les Chinois eux-mêmes. On peut donc dire que la situation ne semble pas débloquée. Quant à Barack Obama, il est en train de s’exprimer. En tout cas, le président américain et le président brésilien Lula veulent terminer aujourd’hui. Ils vont donc repartir dans une négociation entre eux, entre chefs d’Etat. Nous devrions connaître le dénouement dans quelques heures.

Dans ces deux semaines de discussions à Copenhague, avez-vous vu une évolution importante dans les positions des pays du Nord et des pays du Sud ?

Je crois qu’il y a d’abord l’évolution de la position de l’Europe, qui est de plus en plus prête à s’engager à des réductions de 30% de ses émissions d’ici à 2020, et les Etats-Unis ont aussi montré qu’ils voulaient aller plus loin dans leurs annonces de réduction des émissions. Il y a eu aussi des annonces plus positives sur le financement à moyen et à long terme. Même si les sources de financement promises n’ont pas encore été décidées.

N’est-il pas possible que la conférence se prolonge d’un ou deux jours, comme ce fut le cas à Bali ?

Si les leaders débloquent la négociation aujourd’hui, on peut imaginer que celle-ci se prolonge jusqu’à demain matin. Sinon, on se quittera ce soir, sûrement sur un échec. Il y aura alors une déclaration minimale.

Est-ce que, si on ne débouche pas à Copenhague sur quelque chose d’autre qu’une simple déclaration, il y a une chance qu’à Mexico en décembre les différentes disposition soient réellement mises en places ?

En tout cas, même si nous ne pouvons pas y arriver aujourd’hui, la négociation va se poursuivre et on peut déboucher l’année prochaine. Mais ce serait un très grand coup d’arrêt.

En cas d’accord sur des "engagements contraignants", quel organisme les "contraindrait" et quelles en seraient les "sanctions" en cas de non-respect ?

Nous n’en sommes pas du tout là, il n’y a pas du tout l’idée de sanction dans la négociation internationale. Celle-ci est beaucoup trop difficile. Le mieux qu’on pourra avoir est du domaine du droit international, un traité que les parties s’engagent à respecter, sans qu’un système de sanctions puisse être mis en place.

Comment jugeriez-vous l’importance du rôle de la France dans ces discussions ? Quel impact a eu la France sur les discussions à Copenhague ?

Je crois qu’elle a beaucoup d’impacts à plusieurs niveaux : d’abord, celui des chefs d’Etat, puisque le président de la République française a mené beaucoup de dialogues bilatéraux, notamment avec le Brésil. Et cette alliance entre France et Brésil a joué son rôle dans le déroulement de la négociation. Et au niveau des négociateurs, la France fait partie des poids lourds de la négociation européenne et est reconnue au plan international. Le ministre de l’environnement français a également beaucoup contribué, par ses idées, et aussi en essayant de travailler avec les pays africains.

Le projet de texte de cette nuit est-il "public" ?

Il n’y a pas encore eu de texte publié.

Qu’advient-il du protocole de Kyoto post-2012 ?

Nous ne le savons pas, cela fait partie des points de conflit dans la négociation. Les pays en développement tiennent à ce que nous nous engagions dans la poursuite du protocole au-delà de 2012. Et nous n’avons pas encore trouvé de compromis sur ce point. L’Union européenne souhaite, elle, un traité qui inclue tous les pays, et pas seulement les parties au protocole de Kyoto.

Est-ce que Copenhague sera à l’environnement ce que Munich a été à la deuxième guerre mondiale : un échec historique ?

Si cela a lieu, oui, on pourra dire que ça a été un échec historique. Mais j’espère que nous n’en sommes pas encore là.

Y a-t-il un consensus sur les modes de calcul des émissions de carbone ? Comment les chiffres sont-ils obtenus ?

Nous n’avons pas de méthode complètement agréée, même si des progrès sont faits. Il y a des contestations sur les mesures, même s’il y a des moyens d’observation internationaux qui permettent de confronter les données nationales aux données internationales. Mais on n’a pas encore de système rigoureux, international de comptage.

M. Joyandet, secrétaire d’Etat à la coopération, a annoncé il y a quatre jours que le financement des mesures d’atténuation et d’adaptation pour les pays en développement serait en partie imputé sur l’aide publique au développement. S’agit-il de la position officielle de la France ? Ces mesures ne devraient-elles pas être additionnelles si l’on souhaite réaliser les Objectifs du millénaire pour le développement ?

Dans l’idéal, ces mesures devraient toutes être additionnelles. Mais en même temps, il n’y a pas aujourd’hui de vraie concurrence entre ce que la France investit dans le champ du climat et ce que la France subventionne au titre des Objectifs du millénaire. Largement parce que les financements climat français recourent à des prêts bonifiés, alors que le financement de la santé, par exemple, relève des dons.

Comment, à votre avis, les décideurs (entreprises, financiers) analyseront-ils le "message" de Copenhague et comment ce dernier va-t-il venir modifier leurs scénarios prospectifs (déploiement stratégique, investissements, emplois...) ?

Cette question arrive trop tôt. Une fois qu’on aura le résultat de la négociation, on pourra y répondre. Le message peut être complètement négatif ou complètement positif. On est encore dans l’incertitude la plus grande.

Peut-on envisager d’ici Mexico des négociations au niveau du G20 comme un moyen de débloquer la situation ? Ces conférences à 192 pays ne sont-elles pas ingérables ?

Apparemment, on pourrait penser qu’il est plus facile de s’entendre à 20 pays qu’à 192. Mais en réalité, le débat est quand même centré autour de la discussion entre pays émergents et pays développés. Et c’est celle-là qui n’est pas débloquée pour l’instant. Donc un plus petit format, probablement plus efficace, ne délivrerait pas forcément de résultat pour l’instant. Cela a d’ailleurs été essayé, puisque depuis deux ans, un groupe des grandes économies se réunit pour discuter du climat. Sans grand succès.

Un texte d’intention politique permettant ensuite aux pays du G20 de proposer un texte contraignant dans quelques mois est-il envisageable ? Serait-ce un moindre mal ?

Ça ne peut pas fonctionner comme cela, car le G20 ne produit pas de traité contraignant. C’est vraiment du domaine des Nations unies. Ou bien de traités qui engagent les parties. Le G20 est là pour décider de mesures qui sont ensuite mises en place par chaque pays. Donc la seule chose que pourrait faire le G20, c’est trancher sur les points politiques pour que la négociation sur le traité puisse se dérouler aux Nations unies.

Le marché de la finance carbone est-il remis en cause par le demi-échec de Copenhague ?

Encore une fois, il est trop tôt pour en parler. Mais il est certain que le marché carbone ne sort pas pour l’instant très renforcé de ces négociations, car pour beaucoup de pays en développement, son rôle n’est pas clair. Pour l’essentiel à cause des problèmes d’attribution de réduction des émissions, la question étant de savoir à qui il faut imputer, aux pays en développement ou aux pays développés, les réductions obtenues par le marché du carbone.

A quelques heures de la fin du sommet, peut-on encore espérer un texte contraignant ou n’y aura-t-il qu’une déclaration politique ?

On peut espérer une déclaration politique qui permette d’adopter des décisions effectivement contraignantes, ou en tout cas qui permette de finir la négociation sur ces décisions contraignantes dans quelques mois. Un traité complet ne pourra s’envisager qu’à la fin de 2010.

Croyez-vous à de vraies avancées dans la journée ?

Il faut bien y croire. En tout cas, cela va se jouer dans la journée.

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