Longtemps anesthésiée par des arguments tels que « le nucléaire ou la bougie », la France doit désormais s’engager, à l’image de l’Allemagne, sur la voie de la transition énergétique. Interview de Bernard Laponche, publiée le mercredi 25 mai 2011 par Le Républicain Lorrain.
Bernard Laponche dévoile un curriculum vitae long comme un dimanche sans pain. Polytechnicien, docteur en sciences de l’économie de l’énergie il a été ingénieur au commissariat à l’énergie atomique (CEA), directeur de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME) avant d’être conseiller pour l’énergie et la sûreté nucléaire pour la ministre Voynet en 1998 et 99. Aujourd’hui, il assume la fonction de consultant international en politique et en maîtrise de l’énergie.
Le Républicain Lorrain : Comment passe-t-on du commissariat à l’énergie atomique pour lequel vous avez travaillé, au militantisme antinucléaire ?
Bernard Laponche : En sortant de polytechnique, mon professeur de physique m’a dirigé vers le CEA. Ça ne me posait pas de problèmes à l’époque, j’ai travaillé sur la physique des réacteurs. Puis j’ai milité à la CFDT. En 1974, Messmer lance le programme du tout nucléaire. Dans les années 70, la contestation nucléaire avait déjà commencé aux Etats-Unis. En France, la CFDT avait fait un travail sur le productivisme et l’opposition affrontait un mur. C’est comme ça que j’ai commencé.
En quoi la politique énergétique française est-elle critiquable ?
L’idée du tout basé sur le nucléaire est une erreur qui existe depuis 60 ans en France. Dans les grands pays industriels c’est beaucoup moins, 30% en Allemagne et au Japon, 20% aux Etats-Unis. En France, on est passé à 76 % du nucléaire avec des arguments tels que le nucléaire, le chaos ou la bougie.
Estimez-vous qu’une entreprise nucléaire est une entreprise à haut risque ?
Le nucléaire est toujours à haut risque car vous fabriquez des matériaux hyper dangereux dans un réacteur. Three mile Island [accident nucléaire en Pennsylvannie en 1979 NDLR] a montré que l’accident n’était pas impossible. Puis Tchernobyl. Nous avons continué à critiquer, mais la France est restée impassible, anesthésiée par la politique du trois quart électrique, donc on ne peut s’en passer. Les pronucléaires, l’État, EdF, Areva ont une puissance considérable. Il a fallu l’accident de Fukushima pour que les gens soient ébranlés, pas les dirigeants français. Les Allemands s’interrogent quant aux risques aux déchets et à la prolifération. Depuis quarante ans, la France s’appuie sur l’autosatisfaction d’une stratégie unique sur le nucléaire. Attendons-nous un accident en France pour dire que ce n’est pas sûr ?
Les pronucléaires disent que c’est une énergie propre puisqu’il émet peu de CO2... ?
Effectivement, il émet peu de CO2 si c’est le seul critère de choix d’une technique, tout comme l’énergie renouvelable. Sauf que le nucléaire produit des déchets radioactifs et que nous n’avons pas de solution pour les éliminer. Ceux qui ont fait ça sont des criminels. Les déchets, il faut les positionner en sub-surface, pouvoir aller les vérifier et les retirer le jour où l’on trouvera une solution.
Sortir du nucléaire et des énergies fossiles, mais comment ?
La transition énergétique impose d’abord de faire des économies. Eviter les chauffages électriques et la production d’eau chaude électrique. Il y a un énorme chantier pour réduire les consommations d’énergie nucléaire. Il faut que les pays riches réduisent leur consommation, car les pays qui émergent veulent nous rattraper et c’est impossible, il faudrait quatre planètes.
On peut réduire beaucoup d’énergie par la réhabilitation des bâtiments existants ; les économies d’électricité et les transports collectifs en zone urbaine et périurbaine.
Mais les énergies renouvelables peuvent-elles faire le poids par rapport au nucléaire ?
En France, nous avons plus de soleil et plus de vent qu’en Allemagne où le photovoltaïque, le solaire et l’éolien sont dix fois plus développés qu’en France. L’Allemagne veut réduire à zéro le nucléaire pour 2030 affiche 35% de production d’énergie renouvelable pour 2020 et 100% pour 2050. Le programme de l’Allemagne mérite qu’on s’y penche.
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