Auditionnés par la « mission Roussely » sur l’avenir du nucléaire français, Denis Baupin, Hélène Gassin et Bernard Laponche livrent à Médiapart leur analyse et leurs propositions, alors que le rapport demandé à François Roussely est in fine classé « secret défense ».
Denis Baupin, Hélène Gassin et Bernard Laponche, Mediapart, vendredi 11 juin 2010
Le rapport de François Roussely sur l’avenir du nucléaire français est donc classé secret défense. Ainsi va la nucléocratie. Nous ne pouvons guère prétendre être surpris. Ecologistes, anti-nucléaires ou tout simplement citoyen(ne)s attaché(e)s à la démocratie démontrent inlassablement depuis des décennies que nucléaire et démocratie sont incompatibles. En voici une nouvelle preuve.
Au moment où la France s’enferme dans deux projets de réacteurs EPR inutiles et néanmoins très chers et où consommateurs d’électricité et contribuables vont subir la facture des errances d’un programme nucléaire sous-évalué, on nous propose un avenir... secret. Après avoir fait beaucoup de publicité autour de la mission confiée à François Roussely, on se perd en conjectures.
Des problèmes non résolus
Auditionnés par la « mission Roussely » en avril dernier, nous voulons ici rendre publique notre contribution, comme devrait l’être l’ensemble du rapport. Nous avions en introduction fait valoir que la politique énergétique française est depuis trop longtemps l’otage de la stratégie industrielle nationale - qui plus est de la seule stratégie de quelques entreprises - alors que c’est l’inverse qui devrait prévaloir au regard des enjeux énergétiques. Changements climatiques, raréfaction et augmentation des prix, explosion de la précarité énergétique, fragilité des réseaux, incidents à répétition... Il est plus que jamais nécessaire de privilégier une politique de sobriété énergétique et de développement des énergies renouvelables. A rebours de l’histoire en marche, la France prend un retard considérable en multipliant les obstacles (tarifs d’achat, contraintes indues sur l’éolien) toute aveuglée par son obsession nucléaire.
La délégation a ensuite rappelé les raisons de l’opposition des Verts et d’Europe Écologie à la filière nucléaire : risques d’accidents majeurs, pollutions dans chaque phase (de la mine aux déchets en passant par les transports), déchets dangereux sur le très long terme, risque de prolifération du nucléaire militaire... Aucun de ces problèmes majeurs de la filière nucléaire, identifiés depuis plusieurs décennies, n’a été résolu.
Constat ensuite de la politique de gribouille de la filière nucléaire française : nouveau réacteur EPR décidé à Penly, alors même que l’EPR Flamanville devait être un prototype et que le chantier soulève de nombreux problèmes (retards, surcoûts, sécurité) toujours non-réglés en France et en Finlande ; guerre intestine entre les grandes entreprises, privées et publiques de ce secteur ; perspectives de développement limitées par la faible quantité de ressources en uranium (50 ans tout au plus au rythme actuel) ; inadaptation du “produit EPR” au marché national et international ; consanguinité entre la sûreté et la filière qui se traduit par une multiplication des incidents ; etc.
La perspective du démantelement
En conséquence nous avons proposé une nouvelle perspective pour la filière nucléaire française : réorienter et remobiliser les compétences et les ressources du secteur nucléaire vers la création d’une véritable filière du démantèlement (installations et réacteurs), secteur nettement plus porteur à moyen terme que la construction de nouvelles centrales, et permettant de préserver les emplois du secteur tout en développant un savoir-faire d’avenir.
En effet, la construction de nouveaux réacteurs est un marché incertain et limité - quelques dizaines pour les plus optimistes - et soumis à une concurrence féroce. On ne peut raisonnablement pas se féliciter de transférer les compétences en la matière à des pays comme la Chine et considérer qu’ils vont continuer à faire fabriquer leurs réacteurs en France...
Au niveau mondial, il est par contre certain que plus de 400 réacteurs devront être démantelés dans les décennies à venir. Puisque la France pense avoir une vocation de leadership nucléaire planétaire et considère son territoire comme une vitrine à l’exportation, elle dispose, avec son parc sans équivalent de réacteurs variés et de sites très contaminés comme Marcoule, d’un base idéale pour mettre au point une compétence qui reste encore largement à construire.
En effet, au vu des expériences de Superphénix et de Brennilis on ne peut que constater que de nombreux progrès restent à faire : ingénierie, radioprotection, physique des matériaux, gestion de chantier... C’est bien un savoir faire complet qui reste à développer. Les entreprises françaises de la filière, les centres de recherche et de formation en mal de chercheurs et d’élèves sont de loin les mieux placés pour mobiliser leurs compétences vers ces nouveaux horizons et démontrer aux citoyen(ne)s que l’héritage nucléaire sera géré.
Une occasion ratée de sortir du bourbier
Avec une telle orientation, la mission Roussely aurait eu l’opportunité de permettre à la filière nucléaire de sortir de son aveuglement et de devenir réellement une filière industrielle d’avenir. Hélas, il ne fait guère de doute que le fameux rapport se contente de proposer une réorganisation des multinationales françaises du nucléaire pour enfin remporter de chimériques marchés de réacteurs dans le monde plutôt qu’une remise à plat complète de la filière avec analyse objective de la situation et des moyens de sortir du bourbier. Encore une occasion ratée... L’avenir du nucléaire est trop important pour être laissé aux seuls nucléocrates !
Denis Baupin, maire-adjoint de Paris et membre de l’exécutif des Verts
Hélène Gassin, Vice-Présidente Europe Ecologie du conseil régional d’Ile-de-France
Bernard Laponche, expert indépendant.