Énergie : la France à la traîne de l’Allemagne

, par   Bernard Laponche

La comparaison des politiques énergétiques de la France et de l’Allemagne est édifiante. Bernard Laponche revient sur les principaux enseignements de cet exercice, qui révèle les limites du modèle nucléaire français. Propos recueillis par Volodia Opritchnik et publiés par L’Usine à GES, numéro 80, septembre 2011.

Titre : rédaction de global-chance.org

Télécharger l’interview dans sa mise en page d’origine (pdf, 80 Ko)


Consultant international, Bernard Laponche a participé à la rédaction d’une étude comparative sur les politiques énergétiques française et allemande [1]. Un rapport aux résultats édifiants !

L’Usine à GES : À vous lire, on constate que la politique énergétique française, dominée par l’indépendance énergétique et le nucléaire, est moins efficace que l’allemande. Est-ce possible ?

Bernard Laponche : Oui. Mais pour répondre à la question, il faut d’abord comparer la situation économique des deux pays.

La différence la plus importante tient à la structure de leur activité économique. Sur les deux rives du Rhin, les services ont la valeur ajoutée la plus importante, mais celle-ci est plus élevée pour la France : 19 208 € par habitant, contre 16 944 € pour l’Allemagne. Inversement, la valeur ajoutée de l’industrie est très nettement supérieure pour l’Allemagne : 7 025 € par habitant contre 5 639 € pour la France. En valeur totale, la valeur ajoutée de l’industrie allemande est 1,85 fois supérieure à celle de l’industrie française. On constate aussi une différence considérable des échanges extérieurs totaux en 2008, avec un solde positif de 177 milliards d’euros pour l’Allemagne et un solde négatif de 68 milliards d’euros pour la France. En ce qui concerne les échanges énergétiques, le solde négatif de la France, à 46 milliards d’euros, est inférieur à celui de l’Allemagne, de 59 milliards d’euros. Mais, pour l’Allemagne, ce déficit ne représente que le tiers de son bénéfice global alors que, pour la France, il en représente les deux tiers.

Si l’on sait d’autre part que les soldes export-import allemand et français sont très contrastés (en 2008 : + 177 milliards d’euros pour l’Allemagne et - 68 milliards d’euros pour la France), on ignore souvent que cette divergence entre les deux économies s’est fortement aggravée depuis 2000. Depuis une décennie, le solde français devient de plus en plus déficitaire alors que le solde allemand accroît ses bénéfices.

Quelles conséquences sur le plan énergétique ?

Logiquement, la consommation d’énergie du secteur industriel représente une part plus importante en Allemagne (27 %) qu’en France (21 %). En revanche, on est plus surpris de constater que les transports comptent pour trois points de plus dans le bilan final en France (30 %) qu’en Allemagne (27 %) et que la part de produits pétroliers y est nettement plus forte (41 %) qu’en Allemagne (37 %).

Qui consomme le plus ?

Sur le poste des transports, la consommation par habitant d’un Français est supérieure de 8 % à celle d’un Allemand. Même chose pour les produits pétroliers : le Français en brûle 7 % de plus qu’un Allemand. Dans le secteur résidentiel, on constate que la consommation finale de chauffage au mètre carré de logement, à climat identique, est de 23 % plus faible en Allemagne qu’en France. On constate d’autre part une divergence d’évolution majeure des consommations d’électricité spécifique par habitant du secteur résidentiel. Alors que cette consommation était la même dans les deux pays en 1991, (750 kWh par habitant), elle était en 2008 de 1 230 kWh pour la France contre 970 kWh pour l’Allemagne.

Pour quelles raisons ?

L’Allemagne met en œuvre une fiscalité agressive sur l’électricité et une politique industrielle très active dans le domaine de l’efficacité énergétique des appareils électriques.

Que consomme-t-on de part et d’autre du Rhin ?

En Allemagne, la principale source primaire est le pétrole brut (33 %) suivie du charbon et du gaz naturel (23 %), de l’uranium (11 %) et de la biomasse (8 %). En France, la principale source primaire est l’uranium (42 %), suivie des produits pétroliers (31 %), du gaz naturel (15 %), de la biomasse et du charbon (respectivement 6 % et 4 %). Plus surprenante, la contribution des énergies renouvelables est en Allemagne de 31,65 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep), soit 10 % de la consommation primaire contre 8,2 % en France.

La France a bâti un système électrique centralisé. Est-ce efficace ?

Pas vraiment. En France, la production d’électricité par habitant est supérieure de 16 % à celle de l’Allemagne, mais le Français n’a à sa disposition que 11 % d’électricité de plus que l’Allemand.

À quoi cela est-il dû ?

Aux pertes générées par le transport et la distribution, ainsi qu’aux consommations engendrées par la fabrication et le retraitement du combustible nucléaire. À elle seule, l’usine d’enrichissement de l’uranium d’Eurodif au Tricastin consomme 5 % de l’électricité française ! Finalement, pour mettre à disposition 1 kWh d’électricité finale, il faut 2,97 kWh d’énergie primaire en Allemagne et 3,31 kWh d’énergie primaire en France.

Si l’on s’intéresse aux énergies renouvelables, j’imagine que les performances françaises sont encore en deçà des allemandes

Effectivement. Pour se chauffer et produire de l’électricité, l’Allemagne consomme 25 Mtep de biomasse, contre 14,6 Mtep pour la France. Incroyable, si l’on se souvient qu’en 1991 la France consommait trois fois plus de biomasse que sa voisine pour produire de l’énergie ! Pour la production d’électricité l’Allemagne avait installé, en 2009, 26 GW éoliens contre 4,5 GW en France et 10 GW de photovoltaïque contre 0,3 GW chez nous.

Comment expliquez-vous de telles divergences ?

Tout simplement par l’importance, la cohérence et la continuité dans le temps des politiques publiques allemandes de soutien à l’électricité renouvelable, qui est considérée comme une activité industrielle et commerciale à part entière.

Côté émissions de GES ?

Sans surprise, les émissions de CO2 par habitant de l’Allemagne sont nettement supérieures à celles de la France (60 %), principalement du fait du recours au charbon pour la production d’électricité, mais aussi de la présence plus forte d’une industrie intensive en énergie en Allemagne. Mais l’écart entre les deux pays se resserre. Dans les deux pays, les émissions de CO2 par unité de PIB ont diminué de plus de 30 % depuis 1991. Globalement, l’industrie allemande a amélioré sa performance carbone de 19 % et la France de 16 %.

En revanche, les émissions par habitant des transports ont diminué nettement plus rapidement en Allemagne qu’en France. Alors qu’elles étaient 4 % plus fortes que celles de la France en 1991, elles leur sont de 4 % inférieures en 2009. Enfin, en Allemagne et en France, les émissions (directes et indirectes) par habitant du secteur résidentiel, nettement plus élevées en Allemagne, ont décru, au cours de la période, de 17 % en Allemagne et de 13 % en France.

Votre étude prend aussi en compte les émissions de méthane…

Les évolutions relatives d’émissions y sont beaucoup plus contrastées que pour le CO2. Les rejets allemands, supérieurs de 40 % aux émissions françaises en 1991, leur sont de 27 % inférieurs en 2007.

Comment est-ce possible ?

C’est la conséquence d’une politique volontariste de récupération du méthane (CH4) des ordures ménagères et des déchets agricoles à des fins énergétiques, de la fermeture de nombreuses mines de charbon et de la récupération du gaz de ces mines (grisou). La réduction des émissions allemandes de méthane équivaut à une baisse de 0,64 tonne de CO2 par habitant, à l’horizon 2017 et de 2,19 tonnes par habitant à l’horizon 2027. Ces résultats ne sont pas négligeables, si l’on se souvent qu’à ces horizons, les diminutions attendues de CO2 sont de 25 % et de 90 %. En France, les réductions attendues de méthane se soldent par des baisses de 0,28 tonne par habitant d’ici à 2017 et de 0,95 tonne par habitant d’ici à 2027, contre 1,1 tonne de réduction du CO2 énergétique (25 % à 85 % selon l’horizon).

(haut de page)


À voir également sur le site :

Fukushima : réactions en chaîne
(Tribunes, analyses, interviews, etc. : les réactions des membres de Global Chance face à la catastrophe nucléaire de Fukushima)

Nucléaire : par ici la sortie
(Rapports, analyses, tribunes, interviews, etc. : les propositions de Global Chance et de ses membres pour, enfin, sortir du nucléaire)