Benjamin Dessus, Les Échos, vendredi 23 avril 2010
Dans un point de vue publié dans « Les Échos » du 30 mars, « Chauffage : comment un petit chiffre évince l’électricité au profit du gaz », Rémy Prud’homme, tout à sa défense du chauffage électrique et du nucléaire, remet en cause la valeur du « petit coefficient de 2,58 », celui qui permet officiellement en France de passer de la quantité d’électricité dont dispose un usager à la quantité d’énergie qu’il a fallu pour la produire, et en fait l’arme du crime contre le chauffage électrique.
Il n’a d’ailleurs pas tort de s’interroger sur la valeur d’un coefficient vieux de plusieurs dizaines d’années. Calculé à une époque où le parc de production électrique français comptait principalement des centrales à charbon, à fioul et des centrales hydrauliques, le coefficient 2,58 était bien le quotient de toutes les quantités d’énergie dite « primaire » qu’il avait fallu mettre en œuvre en une année pour produire, transporter et distribuer l’électricité et de celle effectivement distribuée aux Français cette même année. Il mériterait évidemment une révision puisque le parc de production électrique a beaucoup évolué depuis les années 1960. Le même calcul, effectué sur les mêmes bases en 2009 conduit d’ailleurs à un coefficient de 3 et non plus de 2,58, renforçant ainsi la puissance de l’arme du crime !
Alors pas d’hésitation pour notre universitaire émérite, évitons les lourdeurs insupportables de la physique et décidons que le nucléaire, le principal outil du parc de production électrique français, échappe comme par miracle à la règle commune et bénéficie d’un coefficient 1 : l’électricité nucléaire serait ainsi produite sans aucune perte depuis la mine d’uranium jusqu’au transformateur de sortie de la centrale.
Oublions qu’une centrale nucléaire est d’abord une centrale thermique comme les autres, dont la vapeur, celle qui fait tourner la turbine, au lieu d’être produite dans une chaudière à charbon ou à gaz, est produite par la fission de l’uranium à l’intérieur du réacteur !
Oublions qu’il a fallu importer le « combustible », l’uranium, oublions les énormes panaches de vapeur d’eau de nos centrales qui témoignent des pertes de chaleur de près de 70% qu’entraîne cette production d’électricité nucléaire et décidons (en profitant du qualificatif « d’électricité primaire » souvent employé à tort pour la désigner) qu’elle échappe aux lois de la thermodynamique ! Ce n’est pas cher payé pour assurer l’avenir des fabricants de convecteurs et celui d’Areva, et lutter enfin efficacement contre les deux profiteurs actuels que pointe notre homme : les gaziers et les antinucléaires.
Défendre sans rire une telle proposition aujourd’hui relève, au choix, de l’obscurantisme ou de la manipulation. On a bien entendu le droit d’aimer le nucléaire et de défendre le chauffage électrique. On n’a pas le droit de tordre sciemment ou par simple inculture la réalité des faits pour les rendre plus conformes à ses objectifs. Le rendement d’une centrale, même nucléaire, ne relève pas d’une question d’opinion.