« Lutter contre le changement climatique : une priorité morale »

, par   Pierre Radanne

Pierre Radanne, Dernières Nouvelles d’Alsace, samedi 29 mai 2010
Propos recueillis par Élodie Bécu

L’interview - L’invité (encadré) - Un écolo de terrain (encadré)

« lutter contre le changement climatique : une priorité morale »

Pierre Radanne, ancien président de l’ADEME et pionnier des négociations sur le climat, organise à Strasbourg un séminaire prospectif sur l’avenir de l’agglomération les 8, 9, 10 et 11 juin prochains avec l’ADEUS [1].

Comment êtes-vous devenu écolo ?

Je suis tombé dedans tout petit, au début des années 1970, avec les premiers textes -comme le rapport du Club de Rome- qui posaient la question de l’avenir de la planète, interrogeaient sur nos modes de vie, de consommation mais aussi sur les inégalités Nord-Sud.

À l’époque, les Verts n’existaient pas encore. Nous militions dans le milieu associatif et j’ai constitué un groupe des Amis de la Terre à Lille. J’avais un intérêt particulier pour les dossiers liés à l’énergie et les questions reliées au nucléaire.

Après le premier choc pétrolier, deux visions du monde se percutent : l’une qui s’enorgueillit de la multiplication des processus techniques, avec un grand élitisme des pays qui définissent une vision de l’approche énergétique tournée vers leur niveau d’excellence et de l’autre une vision alternative tournée vers l’amélioration de l’utilisation de l’énergie et les ressources renouvelables comme une solution d’avenir pour l’humanité. Le constat écolo des années 1970 a été très juste dans son diagnostic. Mais les gens qui ont eu une prescience de ces sujets ont eu du mal à construire un corpus de solutions alternatives à proposer à la société.

Vous avez lié votre engagement pour l’environnement à votre parcours professionnel...

Il existe trois courants chez les écolos : les militants purement associatifs, les politiques et moi, qui ai choisi un autre chemin. Je suis persuadé que cette transformation du monde est un métier. Je suis resté à l’écart du champ électoral et j’ai fait de mon engagement écolo un parcours presque exclusivement professionnel.

Je suis resté en dehors de la compétition électorale, à l’exception d’une fois. Je me suis présenté aux élections municipales en 1977 à Lille contre Pierre Mauroy, avec une liste les Amis de la Terre/PSU. Je suis allé le voir en disant que je n’avais pas l’intention d’être élu mais que nous avions envie de développer le tissu associatif lillois. A 27 ans, j’ai obtenu un “55 pièces cuisine” contre mon désistement. Mauroy a accepté de transformer une ancienne fac de 2 500 mètres carrés en Maison de la nature et de l’environnement (MNE) !

Au bout d’un an, la MNE avait 55 salariés et une force de travail et de propositions qui a permis de faire naître toute une pépinière d’écolos comme Guy Hascoët, qui a été secrétaire d’Etat à l’économie solidaire du gouvernement Jospin, ou Marie-Christine Blandin qui a présidé la Région Nord et est aujourd’hui sénatrice.

J’ai ensuite constitué l’antenne Nord-Pas-de-Calais de ce qui allait devenir l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), dans laquelle j’ai fait l’apprentissage des questions techniques liées au secteur industriel. Puis après Tchernobyl, j’ai été profondément choqué par l’absence de réflexion de la société française sur la question de la maîtrise de l’énergie et le retour à l’illusion que tout allait redevenir comme avant après les chocs pétroliers. J’ai quitté le public et créé un institut privé de recherche sur les questions énergétiques, en me spécialisant sur la prospective à long terme.

C’est en travaillant sur ces questions que vous avez été sensibilisé au changement climatique ?

Il existe une relation entre les questions climatiques et les questions énergétiques. Fin 1985, quand les premiers rapports sur l’analyse des glaces de l’Antarctique ont fait état du réchauffement climatique, j’ai commencé à travailler sur le sujet. Le changement climatique est une priorité politique et morale absolue. Mais la question climatique est impalpable. Une famille moyenne française émet 17 tonnes de CO2 par an. Mais on ne le sent pas ! C’est impératif mais abstrait. La moitié des émissions ont lieu dans la vie privée : il faut aller chercher les gens pour les amener à modifier leurs comportements au quotidien. Il faut construire le changement de manière démocratique, en associant les citoyens au processus et en leur expliquant les choses pour les rendre concrètes.

C’est ce que vous faites dans votre travail avec les collectivités locales ?

Pour mettre des racines profondes dans la société, ce travail ne doit pas se faire en un jour. Nous prenons le temps de mener une réflexion en amont, avec tous les acteurs des territoires -des services publics aux entreprises en passant par le monde agricole et les familles- pour construire un processus collectif, et que les gens s’approprient le sujet. En général ce travail de consultation dure environ neuf mois et exprime ce que le corps social est prêt à accepter comme rythme et comme ampleur de transformation. Ce soutien fort donne à la collectivité locale un mandat pour accomplir le changement. Les politiques ne fonctionnent que si les gens les aiment et se les approprient.

Quel regard portez-vous sur le Grenelle de l’environnement ?

Un immense progrès a été fait dans l’accueil des questions environnementales et de la compréhension des limites de la planète en termes de ressources. Mais l’état de maturation de la société française a percuté la crise économique. Nous vivons un clash lié à l’incapacité de faire la synthèse entre les questions écologiques et économiques. Il n’y a pas d’abandon du Grenelle, mais des difficultés dans la construction de la synthèse d’une nouvelle vision du monde. Mais je suis sûr que nous avons compris les limites de la planète.

Pourtant, Copenhague n’est-ce pas un échec, treize ans après Kyoto ?

C’est un échec fondateur. Je m’explique : la question climatique oblige à gérer la planète avec un compte à rebours. Il faut inventer un nouveau modèle de développement. Ce qui s’est joué à Copenhague, c’est un énorme changement dans les relations internationales. Nous assistons à la fin de l’ordre mondial fondé sur les traités de Westphalie qui ont instauré, en 1648, la notion de souveraineté nationale. Aujourd’hui, si les Français veulent avoir un climat stabilisé, il ne peuvent le faire seuls, fussent-ils vertueux. C’est la première question qui n’est pas soluble dans la souveraineté nationale. L’efficacité n’est que mondiale. Le climat de la planète est un objet unique, indivisible. Éviter une tonne de CO2 où que ce soit sur la planète a le même bénéfice pour la France ! C’est pourquoi, après avoir mené les négociations pour la France à Kyoto, en 1997, j’ai travaillé pour les pays africains en 2009 à Copenhague.

À Copenhague est née une obligation de gouvernance collective de la planète. Les États sont arrivés avec un désaccord absolu, intranchable. Et puis, sur une page blanche, ils ont essayé d’écrire un début d’accord. Les choses restent très compliquées. Mais deux décisions majeures ont été actées : tous les pays doivent agir, riches comme pauvres. Et pour la première fois les États-Unis ont donné leur accord pour une aide au développement sur dix ans.

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l’invité

Pierre Radanne est un militant de l’écologie qui a fait de sa passion sa profession. Après avoir dirigé l’Agence de développement et de maîtrise de l’énergie (ADEME), il a créé son entreprise Futur Facteur 4 pour recréer du débat public autour des questions climatiques et concevoir les plans climat territoriaux - rendus obligatoires par le Grenelle de l’environnement pour les collectivités de plus de 50 000 habitants. Il compte une vingtaine de collectivités locales parmi ses clients.

E.B.

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un écolo de terrain

Pour l’Agence de développement et d’urbanisme de l’agglomération strasbourgeoise (ADEUS), il conduit une mission de prospective sur l’avenir de l’agglomération et organise un séminaire du 8 au 11 juin prochain à Strasbourg pour aborder les thématiques du changement climatique, de l’organisation du territoire et de l’enjeu transfrontalier.
Pierre Radanne compte aussi la Communauté d’agglomération de Mulhouse Sud-Alsace (CAMSA) parmi ses clients. Il donne des formations sur les plans climat territoriaux à tous les élus de l’agglomération mulhousienne.
Président de l’association 4D, professeur à Sciences Po et à l’ENA, Pierre Radanne a aussi une autre casquette : à Copenhague en décembre, il était aux côtés des pays africains qu’il assiste dans leurs négociations sur le changement climatique.

E.B.

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[1Séminaire « Demain, c’est tout de suite », du 8 au 11 juin. Chaque jour de 13h45 à 20h00, à l’École régionale des avocats du Grand Est, 4 rue Brûlée à Strasbourg. Plus d’infos sur le site de l’agence de développement et d’urbanisme de l’agglomération strasbourgeoise : www.adeus.org