Prolonger le parc nucléaire : des risques inacceptables

, par   Benjamin Dessus, Bernard Laponche

Alors que le gouvernement et la direction d’EDF tentent de faire accepter par l’opinion publique l’intérêt « évident » du prolongement de la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires français, les prises de position publiques de personnalités reconnues et directement impliquées dans les questions de sûreté nucléaire montrent que cette “stratégie” de fuite en avant comporte des risques majeurs et inacceptables.

Une offensive tous azimuts du gouvernement et de la direction d’EDF tente de faire accepter par l’opinion publique l’intérêt « évident » du prolongement de la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires actuels qui équipent les centrales nucléaires françaises, jusqu’à 50 et peut être 60 ans.

Devant cette offensive de communication Global Chance tient à préciser un certain nombre d’éléments.

Rappelons d’abord qu’en France, il n’y a pas de durée d’exploitation a priori, contrairement aux Etats-Unis qui fixent deux butoirs pour les licences d’exploitation : 40 ans, puis 20 ans.
En France, les réacteurs sont soumis à deux types de mesures de contrôle : contrôle permanent et revue de sûreté par inspections d’une part et, d’autre part, revues de sûreté nucléaire périodiques, tous les dix ans, en liaison avec le programme d’arrêt pour maintenance.

D’après EDF, les deux composants d’une centrale nucléaire qui ne sont pas remplaçables sont la cuve du réacteur et l’enceinte de confinement. Mais on peut se poser des questions sur d’autres éléments : le circuit primaire et tous les câblages électriques à l’intérieur de l’enceinte de confinement par exemple.
En ce qui concerne les aciers de la cuve et du circuit primaire par exemple, on sait que plus longtemps dure l’intense irradiation neutronique, plus ils deviennent cassants : une injection massive d’eau froide dite de secours en cas d’accident pourrait entraîner la rupture brutale d’une cuve ou d’une tuyauterie primaire vieillie trop longtemps, surtout dans les premières centrales où les aciers sont sujets à des ségrégations de phosphore dites “veines sombres” qui accentuent le phénomène, concurremment parfois avec la présence de fissures entre acier au carbone résistant et revêtement d’inox interne anti-corrosion.
De même, en cas de situation accidentelle, notamment impliquant un incendie dans les parties centrales de l’ilot nucléaire le vieillissement à la longue et la détérioration des innombrables câbles et traversées électriques peut rendre inopérantes les tentatives de contrôle de la situation. Le remplacement de ces câbles et traversées, très imbriqués dans toutes les parties du cœur de la centrale et souvent en zone irradiée, représente un chantier considérable.

Pour juger des questions de sûreté liées l’allongement de la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires au-delà de leur durée prévue au moment de leur conception, soit trente ans, il nous paraît indispensable de nous reporter à quelques uns des témoignages de ceux qui sont responsables de la sûreté nucléaire, l’IRSN et l’ASN.

Nous en citons quelques uns ci dessous :

1. Dans son rapport « R&D relative aux accidents graves dans les réacteurs à eau pressurisée : bilan et perspectives » l’IRSN définit ce que l’on entend par accident grave et présente l’objectif des recherches sur la sûreté relative à cet accident (La Documentation française, janvier 2007). On peut y lire :

« La recherche concerne les réacteurs en fonctionnement et les réacteurs futurs. Les phénomènes de base sont les mêmes pour les réacteurs à eau sous pression actuels ou en projet. Toutefois, dans le cas des centrales existantes, les accidents graves n’ont pas été considérés lors de leur conception. Les modifications envisageables de l’installation sont donc restreintes et les recherches menées dans ce cadre ont essentiellement pour objectif de trouver des moyens de limiter les conséquences d’un éventuel accident grave ».

2. Jacques Répussard, Directeur général de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) écrit dans Le Monde du mercredi 6 avril 2011 :

« Sur le parc mondial, 14 000 années-réacteur sont déjà passées, et les statistiques montrent qu’on est à 0,0002(2x10-4) accident nucléaire grave par an, soit vingt fois plus qu’attendu selon les études probabilistes, qui ne savent pas bien prendre en compte l’aléa naturel et le facteur humain. Le nucléaire fait jeu égal avec l’industrie chimique. C’est insuffisant. On peut donc se poser la question : l’homme est-il en mesure de maîtriser cette technologie pour diviser au moins par deux ce risque d’accident ? Y a-t-il une barrière ?
Ce serait une conclusion inquiétante, car cela signifierait qu’avec 1 000 réacteurs installés, un accident nucléaire grave se produirait en moyenne tous les dix ans, ce qui n’est pas supportable
 ».

Ce calcul est basé sur trois accidents graves ou au-dessus (Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima compté comme un seul accident).
Notons qu’en faisant le même calcul pour les quatre réacteurs ayant connu un accident majeur (et pas seulement grave), un à Tchernobyl et trois à Fukushima, on trouve un rapport de l’ordre de 300 et non plus de 20 par rapport aux attentes des études probabilistes.

3. Jacques Repussard, dans Le Journal du Dimanche (JDD) du 1er janvier 2012, répond aux questions d’un journaliste :

« Qu’a révélé votre audit post-Fukushima sur la sûreté des centrales françaises ?
Celles-ci ne prennent pas en compte des scénarios comme Fukushima avec une perte totale d’eau et d’électricité. EDF propose des moyens de secours sous vingt-quatre heures mais on ne peut pas attendre tant de temps. Un séisme pourrait provoquer des accidents sérieux sur certains sites comme à Fessenheim et au Bugey. Les sites des vallées du Rhône et de la Loire doivent surélever leurs digues pour se protéger de fortes inondations.

La centrale de Fessenheim est pointée du doigt. La fermerez-vous ?
Depuis plusieurs années, nous disons qu’il faut renforcer son radier [dalle sous le réacteur] pour éviter une fuite en cas d’accident. Si EDF ne réalise pas ces travaux, il faudra fermer la centrale. Il n’est plus admissible que ces sujets retombent dans l’oubli. Cela nécessite des arbitrages économiques en faveur de la sûreté. Mais il ne faut pas non plus “sacraliser” la fermeture d’un réacteur. La France choisit de rester dans le nucléaire, il faudra construire de nouvelles centrales et donc arrêter les anciennes au fur et à mesure ».

4. André-Claude Lacoste, président de l’ASN, écrit dans Le Monde du 4 janvier 2012 :

« Nous avons beau être porteurs de l’idée qu’un accident nucléaire ne peut être exclu, c’est quand même un choc de voir un accident qui conduit à l’évacuation de 200000 personnes, un territoire de 2 000 km2 ravagé ».

5. André-Claude Lacoste, dans une audition parlementaire du 30 mars 2011, affirme :

« La position constante de l’ASN a toujours été la suivante : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais en France un accident nucléaire. Je dis ce que je dis, et je répète une position constante de l’ASN française ».

6. Dans son Avis DSR_2010-153 du 19 mai 2010, sur la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MWe, l’IRSN écrit :

« L’IRSN en conclut qu’à VD3+5 ans,( visite des 30 ans + 5ans, soit 35 ans) le risque de rupture brutale n’est pas exclu pour les cuves des réacteurs de Dampierre 4, Cruas 1, Cruas 2, Saint-Laurent B1 et Chinon B2 en cas de situations incidentelles et accidentelles... Les marges à la rupture sont également insuffisantes à VD3 + 5 ans pour les cuves de Saint-Laurent B1 et de Bugey 5 qui sont affectées de défauts ».

7. Dans son avis n°2011-AV-0120 du 4 juillet 2011 l’ASN écrit :

« L’ASN considère que, sous réserve des conclusions à venir des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) engagées à la suite de l’accident de Fukushima et au vu du bilan du troisième réexamen de sûreté du réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Fessenheim, le réacteur n°1 est apte à être exploité pour une durée de dix années supplémentaires après ce troisième réexamen à condition de respecter les prescriptions de la décision de l’ASN n°2011-DC-0231 du 4 juillet 2011 et notamment les deux prescriptions majeures suivantes :
• Renforcer le radier du réacteur avant le 30 juin 2013, afin d’augmenter sa résistance au corium en cas d’accident grave avec percement de la cuve ;
• Installer avant le 31 décembre 2012 des dispositions techniques de secours permettant d’évacuer durablement la puissance résiduelle en cas de perte de la source froide.
 »
Et ce n’est que pour atteindre 40 ans…

8. Enfin , dans son rapport « les coûts de la filière électronucléaire » du 13 février 2012, la Cour des comptes, dans le chapitre consacré aux questions d’assurance du risque d’accident grave ou majeur, indique :

« Les estimations de l’IRSN donnent un coût moyen compris entre 70 Md€ pour un accident modéré sur un réacteur comme celui qui s’est produit à Three Mile Island en 1979 et 600 à 1000 Md€ pour un accident très grave comme ceux de Tchernobyl ou de Fukushima. »

Au vu de ces prises de position publiques et témoignages de personnalités reconnues, directement impliquées dans les questions de sûreté nucléaire, Global Chance s’élève vivement contre l’irresponsabilité dont font preuve aujourd’hui EDF et le gouvernement, en présentant la prolongation de la durée de vie du parc actuel de 10 à 20 ans comme une évidence industrielle et économique incontournable et en faisant de fait l’impasse totale sur les risques majeurs d’une telle stratégie pour nos concitoyens.

Benjamin Dessus et Bernard Laponche, 19 février 2012

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À voir également sur le site :

Nucléaire : par ici la sortie
(Rapports, analyses, tribunes, interviews, etc. : les propositions de Global Chance et de ses membres pour, enfin, sortir du nucléaire)

Fukushima : réactions en chaîne
(Tribunes, analyses, interviews, etc. : les réactions des membres de Global Chance face à la catastrophe nucléaire de Fukushima)

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