Benjamin Dessus
Les Échos, mercredi 24 décembre 2008
La préparation par le gouvernement de la Programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité (PPI), qui doit être présentée au Parlement début 2009, s’est effectuée dans un contexte très particulier. Se conjuguent, ou s’opposent, la flambée des prix des combustibles fossiles, avec un pétrole à 150 dollars le baril, l’élaboration de la loi post-Grenelle de l’environnement et un président de la République militant inlassablement pour une relance massive de l’énergie nucléaire.
Et puis patatras, coup sur coup, le prix du pétrole chute et EDF révèle officiellement, ce que tous les experts savaient déjà, que le coût prévisionnel de l’électricité du réacteur nucléaire EPR en construction à Flamanville ne sera pas de 43 euros par MWh comme initialement affirmé en 2006 pour emporter la décision, mais de 55 euros, une augmentation de 28 %.
C’est dans ce contexte qu’il faut examiner la PPI, qui fixe, pour les années qui viennent, les investissements à réaliser en France dans le domaine de la production et du transport de l’électricité.
De façon désormais classique, l’exercice s’est effectué sur la base des prévisions d’évolution de la demande d’électricité élaborées par RTE, qui gère le réseau de transport de l’électricité, et de l’analyse prévisionnelle des coûts futurs des divers moyens de production par la Direction de l’énergie et du climat (DGEC), ces « coûts de référence de la production d’électricité », qui font l’objet d’une révision tous les trois ou quatre ans. Il se devait aussi de prendre en compte les directives européennes et les conséquences du Grenelle de l’environnement à l’horizon 2020.
La révision de la PPI, actuellement en cours, devrait être finalisée dès janvier prochain. On dispose cependant déjà des scénarios qui serviront de base aux arbitrages finaux. La synthèse de l’exercice « coûts de référence » est par contre disponible.
Première surprise de taille : sous le prétexte que les coûts de production de l’électricité sont « des informations commercialement sensibles dans des marchés concurrentiels tendus » on ne trouve plus, dans les « coûts de référence », d’indication sur les coûts en euros par MWh des différentes filières de production, mais seulement des valeurs indicielles comparatives de ces coûts par rapport à une énergie de référence, comme par hasard le nucléaire, de valeur arbitraire 1. On apprend par exemple que le coût de l’électricité gaz en fonctionnement continu sera 1,25 fois supérieur à celui de l’électricité nucléaire fonctionnant sur la même durée. Aucun moyen de reconstituer cette référence de coût du nucléaire puisque les valeurs de ses différentes composantes, investissement, frais de fonctionnement, coûts de retraitement, etc., sont toutes secrètes. Tout au plus nous dit-on que le coût de l’uranium choisi est de 52 dollars la livre, mais pour souligner qu’il est négligeable dans le coût total, et que le taux de disponibilité retenu des nouvelles centrales est de 91 %, chiffre en contradiction totale avec ceux qu’on observe sur le parc actuel, qui voit son taux d’emploi stagner un peu en dessous de 80 %.
C’est une régression majeure par rapport au rapport de 2003 qu’on finit presque par regretter car, au moins, les différents coûts y étaient donnés, même s’ils étaient contestables et contestés puisque certains d’entre eux étaient de 25 % inférieurs à ceux de l’enquête approfondie « Charpin, Dessus, Pellat » effectuée trois ans plus tôt à la demande du Premier ministre. Le ministère s’était déjà, à l’époque, abrité derrière le secret pour éviter tout débat. Aujourd’hui, on passe donc la vitesse supérieure puisque le coût du nucléaire, non discutable et inconnu, devient la norme de référence.
Cette impression surréaliste est renforcée à la lecture des scénarios présentés par la DGEC à l’appui du PPI. A partir des prévisions de consommation électrique d’ici à 2020 établies en 2007 par RTE, l’exercice consiste à modéliser les différentes contraintes introduites par le Grenelle de l’environnement, en termes d’économies d’énergie, de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et de pénétration des énergies renouvelables à l’horizon 2020. Mais avec de surcroît un dogme de base, sans justification, comme pour tout dogme qui se respecte : le parc nucléaire se doit d’être renouvelé à l’identique en 2020.
On découvre alors qu’en 2020, on dispose de 140 TWh d’électricité nucléaire de trop, l’équivalent de la production d’une bonne douzaine d’EPR analogues à celui de Flamanville. De quoi certes faire plaisir à Areva, mais dont il faudra bien écouler la production. Qu’à cela ne tienne, nous dit-on, il suffira d’exporter plus de deux fois plus d’électricité à nos voisins qu’aujourd’hui ! Mais avec quelles lignes à très haute tension, et surtout à quel prix ?
Quand on sait que depuis plusieurs dizaines d’années les coûts prévisionnels du nucléaire affichés par le ministère de l’Industrie ont été systématiquement construits sur des hypothèses techniques délibérément optimistes qui se sont toujours trouvées prises en défaut et sur des coûts unitaires d’investissement ou de fonctionnement qui ont toujours été dépassés de plusieurs dizaines de pour-cent, on prend brutalement conscience de la bulle d’irréalité à laquelle la France risque de se trouver confrontée.
Quand elle découvrira, trop tard, que le dogme nucléaire s’est substitué à la rationalité économique, il faudra tenter d’écouler sur le marché européen une électricité de base bien plus chère que celle que nous exportons aujourd’hui grâce à des installations de production largement amorties. Et si, comme tente le président Sarkozy d’en convaincre nos voisins italiens, allemands ou anglais, ceux-ci se lancent aussi dans l’aventure, toutes les conditions seront réunies pour l’éclatement d’une bulle nucléaire qui viendra s’ajouter aux conséquences de la crise économique et sociale actuelle.
Il n’est pas trop tard pour reprendre l’exercice PPI sur des bases plus réalistes. Mais pour cela, il faudrait faire sortir le nucléaire du statut quasi religieux et secret qu’il connaît chez les décideurs de notre pays.