Cet article publié en 2010 dans le cadre du numéro 28 des cahiers de Global Chance en collaboration avec Politis : Science, pouvoir et démocratie.
En 1992, à la veille du Sommet de la Terre à Rio, 4000 scientifiques publiaient l’« Appel de Heidelberg », lequel, au nom de la « rationalité scientifique » et du « progrès », mettait en cause l’émergence d’un regard critique sur l’évolution du monde et des sociétés, ciblant en particulier les espoirs de changement portés par le mouvement écologiste... En réponse à cet appel, Global Chance et le Groupe de Vézelay lançait par un « Appel à la raison pour une solidarité planétaire », dont les signataires, après s’être démarqués de l’intégrisme scientifique comme de son pendant écologique, affirmaient « la nécessité de prendre en compte l’ensemble des critères culturels, éthiques, scientifiques et esthétiques pour engager le monde dans la voie d’un développement équitable et durable »... Si, à cette occasion, deux conceptions de la rationalité se sont affrontées, ce sont aussi deux conceptions bien distinctes des relations de la science et de la cité qui se sont manifestées. Derrière l’« Appel d’Heidelberg », on trouvait, dans la continuité du productivisme triomphant, le concept d’une science désincarnée dictant ses lois incontournables à une société reconnaissante, avec pour grands prêtres une communauté scientifique qui n’aurait de comptes à rendre à personne puisqu’elle représenterait à elle seule la « Raison ». Les signataires de l’« Appel à la raison pour une solidarité planétaire », au contraire, prônaient la reconnaissance de la pluralité des savoirs, des valeurs et des critères, ainsi que l’affirmation de la nécessité d’une confrontation, d’une alliance, d’une fertilisation croisée de la science et de la société, à la fois comme source et finalité de l’idéal démocratique. Ce clivage perdure aujourd’hui, avec de surcroit un doute croissant dans la société sur les acquis scientifiques, en particulier sur les questions d’environnement et de santé, complexes et interdisciplinaires, doute renforcé par l’existence, au sein même de la communauté scientifique, de controverses parfaitement naturelles sur ces sujets. Un autre élément nouveau dans les relations entre science et société est l’émergence de l’économisme, imposant au monde une vision de l’économie comme science exacte au même titre que les sciences de la nature, avec des « lois » présentées comme aussi intangibles que l’attraction newtonienne, avec pour conséquence une réduction de l’espace du politique et du débat citoyen. Ces facteurs de régression n’en rendent que plus vital un dialogue pluraliste entre les scientifiques et les citoyens, afin entre autres que le débat public sur tous les enjeux soulevés à Rio en 1992 se poursuive et permette des choix collectifs éclairés et démocratiques.