Réalisée par l’Union Française de l’Électricité, l’étude prospective « Électricité 2030, quels choix pour la France ? » révèle les intérêts d’une profession pour qui la croissance des marchés de l’électricité et le statu quo nucléaire restent essentiels. Une tribune de Benjamin Dessus, publiée par Les Échos le vendredi 18 novembre 2011.
A la lecture de la synthèse de l’étude présentée le 8 novembre dernier par l’UFE, qui regroupe les professionnels de l’électricité, la cause semble entendue. Quelques phrases choc pour nous convaincre sans peine que toute idée de diminution de la part du nucléaire, même partielle, dans notre bouquet de production électrique serait irresponsable voire suicidaire : flambée des prix, augmentation des émissions de CO2... Sans compter des investissements qui s’envoleraient de plus de 100 milliards d’euros supplémentaires, une balance commerciale alourdie de 10 milliards, l’indépendance de la France qui en prendrait un coup... Dans la foulée, le président d’EDF en a profité pour pousser le bouchon un peu plus loin, à 400 milliards d’euros et 1 million d’emplois perdus !
A l’appui de ce constat apparemment sans appel, l’UFE propose le croisement de trois scénarios de demande électrique en 2030 qui se différencient par leur taux annuel de croissance du PIB (1 %, 1,5 % et 2,5 %) et de trois scénarios de production électrique : 70 %, 50 %, 20 % de nucléaire.
Examinons tout d’abord la demande électrique. L’UFE associe une croissance significative des besoins d’électricité (17 %) à la croissance du PIB envisagée : 92 TWh (570 en 2030 contre 488 en 2010).
Pourquoi une telle augmentation, alors que la loi impose à partir de 2015 une diminution de 2 % par an de l’intensité énergétique du PIB et de 2,5 % en 2030 ? Tout simplement parce que l’UFE constate (avec raison) que les « politiques actuelles » ne permettront pas de respecter les engagements du Grenelle, pourtant modestes dans le domaine électrique. Et plutôt que de s’interroger sur ces politiques, l’UFE décide que seule la moitié des engagements sera réalisée.
Le plus réducteur dans cette attitude est que l’UFE refuse ainsi de considérer les économies d’électricité comme une variable et un levier d’action de la politique énergétique nationale parmi d’autres qui concernent l’offre, mais comme une donnée exogène, immuable et sans influence sur la comparaison finale. Il s’agit là d’une faute méthodologique très significative d’une communauté qui ne s’intéresse finalement qu’à l’offre d’énergie. Pas question, par exemple, de paramétrer un déclin du chauffage électrique à effet Joule dans les bâtiments, pas question d’envisager la mise en place d’une politique volontariste d’efficacité et de sobriété dans les usages spécifiques de l’électricité (sauf pour l’éclairage, directive européenne oblige), sous prétexte de coût exorbitant, alors que de nombreuses études et l’exemple de la politique allemande de ces dix dernières années en montrent l’efficacité et le faible coût.
Concernant les scénarios d’offre énergétique, le choix affiché par l’UFE est de fonder dans tous les cas la production nucléaire en 2030 sur la seule prolongation de la durée de vie des centrales existantes (à l’exception des EPR de Flamanville et de Penly). En renvoyant la décision de poursuite du nucléaire avec des réacteurs nouveaux après 2030, elle semble éviter de prendre parti sur la poursuite à cet horizon du nucléaire en France.
Mais cette option permet surtout d’éviter de traiter des questions épineuses du coût et des stratégies de démantèlement des réacteurs actuels en les renvoyant à une trentaine d’années et de faire apparaître un coût compétitif du nucléaire rénové (entre 42 et 50 euros par mégawattheure) contestable. L’UFE s’interdit, de son aveu même, toute évaluation des investissements de sûreté post-Fukushima ou des primes d’assurance contre un risque majeur en France, actuellement pratiquement inexistantes.
Ces omissions et ce report au-delà de 2030 des opérations les plus coûteuses permettent à l’UFE de faire apparaître des « coûts de développement » du nucléaire attractifs par rapport à tous ses concurrents. Ils sont pourtant à la fois tronqués et incertains et reportent la plupart des problèmes sur la génération qui nous suit.
La rigidité de la demande électrique décrite par l’UFE et les hypothèses concernant le nucléaire expliquent à elles seules la plupart des conclusions que tirent les auteurs de l’étude. En s’interdisant d’entrée toute action d’envergure sur la maîtrise de la demande électrique (assimilée à l’odieuse décroissance !), l’UFE justifie des besoins électriques en 2030 qui déboucheront sur une arrivée massive d’électricité fossile à laquelle il faut recourir, avec deux conséquences : un renforcement significatif des émissions de CO2 du secteur électrique et l’explosion des factures.
Quoi qu’en dise l’UFE, son étude révèle les intérêts d’une profession pour qui la croissance des marchés de l’électricité et le statu quo nucléaire restent essentiels. Il serait utile, pour permettre un véritable débat, de confronter sérieusement ces images à d’autres images comme celle par exemple du scénario négaWatt.
Benjamin Dessus est ingénieur et économiste, président de Global Chance.
Autres articles relatifs à l’étude de l’UFE :
Analyse critique de l’étude de l’Union Française de l’Électricité
Benjamin Dessus, document de travail, lundi 23 janvier 2012, 7 pages
Sortie du nucléaire : Proglio, pas gêné par les « fautes de méthode » (interview)
Benjamin Dessus, Rue 89, mercredi 9 novembre 2011
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