[encadré associé à l’article Entre silence et mensonge. Le nucléaire, de la raison d’État au recyclage « écologique », entretien avec Bernard Laponche, publié par La Revue internationale des Livres et des idées, n°14, novembre-décembre 2009]
Deux accidents majeurs ont affecté des réacteurs nucléaires. Les leçons ont-elles été tirées ?
En 1979, l’accident de Three Mile Island, lors duquel le cœur d’un réacteur de même modèle que ceux construits en France a partiellement fondu, a fait « voler en éclats l’assurance de certains membres de la communauté nucléaire sur la quasi-impossibilité d’un accident » [1]. Mais il était alors trop tard pour modifier la conception d’ensemble des réacteurs français : 46 (sur 58) d’entre eux étaient déjà en exploitation ou en construction. A fortiori, Tchernobyl, survenu en 1986, n’a pas pu influer sur la conception des centrales françaises.
Ces deux accidents ont néanmoins pesé sur l’évolution des exigences de sûreté imposées aux nouveaux réacteurs. Mais ces changements étant intervenus tardivement, la plupart des réacteurs en fonctionnement aujourd’hui ne satisfont pas à ces nouvelles normes de sécurité.
Les réacteurs exploités aujourd’hui sont-ils sûrs ?
L’Autorité de sûreté nucléaire le prétend, et avance à l’appui de cette affirmation le petit nombre d’évènements jugés graves selon l’échelle International Nuclear Event Scale (INES). Mais cette échelle pose problème, car elle est essentiellement fondée sur les conséquences radiologiques immédiates, plutôt que sur l’évaluation du degré auquel la situation observée s’approche de dommages importants. Par conséquent, certains évènements qui s’approchent d’un scénario d’accident grave peuvent être classés à un niveau très faible sur l’échelle, parce qu’ils n’ont pas eu de conséquences radiologiques immédiates.
Lorsqu’on examine les incidents les plus significatifs du point de vue de la sûreté des réacteurs, on s’aperçoit que des facteurs très divers peuvent être en cause, depuis les erreurs de conception ou les défaillances d’équipement jusqu’aux procédures inadéquates et aux erreurs humaines, ou encore aux conséquences de conditions climatiques extrêmes – ce qui illustre l’impossibilité d’intégrer au moment de la conception d’un réacteur l’ensemble des évènements internes et externes qui peuvent intervenir sur toute sa durée de vie.
Une évolution inquiétante
L’examen des statistiques d’incidents publiées par l’ASN permet de dégager deux tendances remarquables : d’une part, les réacteurs les plus récents (en termes de technologie et de durée d’exploitation) connaissent plus d’incidents que les anciens ; de l’autre, il y a une forte tendance à l’augmentation du nombre d’incidents (de 7,1 par réacteur par an en 2000 à 10,8 en 2007). Ces incidents étant le plus souvent classés à un niveau faible de l’échelle INES, ils sont peu médiatisés.
Du petit nombre d’accidents considérés comme « graves » selon l’échelle INES, on pourrait conclure à la sûreté des installations, mais l’analyse du nombre croissant d’évènements significatifs pour la sûreté pointe la montée en France du risque de catastrophe.
Charlotte Nordmann
Source : Les Cahiers de Global Chance, n°25, sept. 2008, « Nucléaire : la grande illusion », p. 29-35