2004 – « L’EPR est inutile et dangereux »

, par   Benjamin Dessus

Mars 2004. Alors que le gouvernement doit décider sous peu de l’éventuelle construction d’un réacteur nucléaire de type EPR, la polémique sur l’avenir du nucléaire est relancée. D’une part, sur le plan de la prospective : alors qu’il convient, pour savoir s’il faut construire un réacteur (nucléaire ou pas), de tenir compte avant tout de l’évolution de la demande électrique, le besoin de nouvelles capacités ne se fera sentir qu’entre 2025 et 2035, selon les scénarios disponibles. Ensuite, sur le plan de la sûreté : le projet EPR, n’est que le dernier raffinement d’une technologie vieille de cinquante ans et il n’améliore que très peu le rendement et la sûreté, tout en étant pire du point de vue des déchets radioactifs. Enfin, sur le plan économique : seule l’opacité entretenue au nom du secret industriel et le recours à des méthodes de calcul contestables permettent à ses promoteurs d’en dissimuler l’aberration économique. Nombreux sont d’ailleurs les partisans du nucléaire qui sont contre l’EPR, en particulier à EDF, mais qui n’en restent pas moins silencieux, tant ils redoutent que si l’on touche à un pan du nucléaire, l’ensemble s’écroule comme un château de cartes...

Page publiée en ligne le 16 mars 2018

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Benjamin Dessus : « L’EPR est inutile et dangereux »
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Ingénieur et économiste, Benjamin Dessus a fondé Global Chance en 1992 puis présidé jusqu’en 2016 l’association, dont il est désormais président d’honneur.

« L’EPR EST INUTILE ET DANGEREUX »

Benjamin Dessus (interview), La Recherche, n°373, mars 2004

Le gouvernement doit décider sous peu de l’éventuelle construction d’un réacteur nucléaire de type EPR (European Pressurised Reactor). La polémique sur l’avenir du nucléaire est relancée.

Vous affirmez que l’EPR est inutile et dangereux (1). Pourquoi ?

Pour savoir s’il faut construire un réacteur (nucléaire ou pas), il faut connaître l’évolution de la demande électrique. Or, le besoin de nouvelles capacités ne se fera sentir qu’entre 2025 et 2035, selon les scénarios disponibles. Nous sommes actuellement en surcapacité, et notre parc nucléaire ne marche qu’à 75 % de son temps, alors qu’il pourrait fonctionner à 85 %. De plus, les centrales actuelles devraient durer plus longtemps que prévu. Par ailleurs, la France a signé la directive européenne sur les énergies renouvelables qui prévoit de passer de 15 à 21 % d’électricité d’origine renouvelable en 2010, soit 25 à 30 térawatt- heures supplémentaires. Il n’y a donc aucune urgence à construire un EPR. Nous aurons certes besoin de nouvelles capacités électriques, mais uniquement en cas de pics de consommation, comme lors de la canicule. Ce que le nucléaire est incapable d’assurer.

Cela remet-il en question l’EPR lui-même ?

Oui, car de nouveaux réacteurs dits de quatrième génération émergent actuellement, offrant de réels progrès en termes de rendement, de sûreté et de déchets. L’EPR, quant à lui, est le dernier raffinement d’une technologie vieille de... cinquante ans ! Il améliore très peu le rendement et la sûreté. Du point de vue des déchets, il est pire : la proportion de plutonium produite sera plus grande, et il faudra refroidir les déchets en piscine pendant cent cinquante ans, contre cinquante actuellement. Qui peut garantir la surveillance sur une telle durée ? De plus, Framatome nous dit que l’EPR est 20 % moins cher que les centrales actuelles, mais ce chiffre est impossible à vérifier pour cause de secret commercial, et la méthode de calcul elle-même soulève des critiques méthodologiques importantes. D’un point de vue économique, il serait bien plus judicieux d’abord d’entreprendre des programmes ambitieux de maîtrise de l’électricité, et ensuite de construire des éoliennes. D’ailleurs, si l’on consacrait la même somme à un programme progressif de construction d’éoliennes qu’à la construction d’un EPR, on produirait au total pendant les soixante ans de durée de vie du réacteur et, pour le même coût total actualisé, plus de kilowattheures.

EDF affirme qu’on ne pourra pas arriver directement aux réacteurs de quatrième génération...

Pour certains d’entre eux, la faisabilité technique est démontrée, et des prototypes sont déjà en développement aux États-Unis et en Afrique du Sud. Ces réacteurs pourraient émerger commercialement en 2020. Mais les promoteurs de l’EPR mentent délibérément sur les délais pour imposer leur solution. Ils prétendent qu’il faut au moins quinze ans pour mettre au point l’EPR, alors que la Finlande en a acheté un livrable en 2009, qui sera donc évidemment opérationnel à cette date. Et, si nous faisons un premier EPR de démonstration, il faudra en construire des dizaines et les étaler sur quarante ans pour amortir le coût. Comme la durée de vie prévue de ce type de réacteur est de soixante ans, nous nous engagerions ainsi pour cent ans, alors que des technologies bien meilleures existeront bientôt. C’est une aberration économique, car nous aurions développé des EPR invendables. D’ailleurs nombreux sont les partisans du nucléaire qui sont contre l’EPR, en particulier à EDF, mais ils ne le disent pas car ils redoutent que si l’on touche à un pan du nucléaire, l’ensemble s’écroule comme un château de cartes.

Propos recueillis par Cécile Michaut

(1) Le réacteur nucléaire EPR : un projet inutile et dangereux
Les Cahiers de Global Chance, n°18, janvier 2004, 56 pages
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Éditorial
L’EPR qu’est-ce que c’est ?
Fiche EPR (European Pressurized Reactor)
Les risques du nucléaire français au temps de l’EPR
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