Le méthane : des risques sur le climat largement sous-estimés

, par   Bernard Laponche

L’analyse attentive de la notion de « pouvoir de réchauffement global » développée par le GIEC montre que « la teq CO2 ne paraît pas, du fait de la variabilité avec la période horizon, une unité convenable pour comptabiliser les émissions évitées de méthane ». En effet, son mode de calcul se traduit par une « sous-estimation des effets des émissions de méthane [qui] peut avoir de graves conséquences », qu’il s’agisse de définir dans le cadre des négociations internationales sur le climat des objectifs de réduction des émissions globales de GES ou d’apprécier les politiques mises en œuvre pour traduire ces objectifs. C’est pourquoi, sachant que l’horizon 2030-2050 est désormais considéré comme crucial, « il est urgent de mettre en œuvre, en complément des actions indispensables sur le CO2, des actions de réduction des émissions de méthane. »

Bernard Laponche

La chaîne énergie de LExpansion.com, mardi 24 novembre 2009

Les hypothèses prises par le Giec conduisent à sous-estimer la dangerosité du méthane au cours des prochaines décennies. La situation serait donc pire qu’on nous le dit…

Les émissions de méthane (CH4) liées aux activités humaines proviennent essentiellement de l’extraction du charbon (grisou), de l’industrie gazière et pétrolière (fuites), de l’expectoration des ruminants, des rizières inondées et des décharges d’ordures ménagères. Ces émissions sont en partie responsables du renforcement de l’effet de serre, donc du réchauffement de l’atmosphère, cause des changements climatiques attendus.

En quantité, le méthane est le deuxième gaz à effet de serre après le gaz carbonique (CO2) avec des émissions annuelles de l’ordre de 350 millions de tonnes contre 38 milliards de tonnes pour le CO2.

Méthane et CO2 ne contribuent pas de la même manière à l’augmentation de l’effet de serre. En effet, chacun absorbe et réémet les rayonnements d’une façon caractéristique et reste plus ou moins longtemps dans l’atmosphère après son émission avant de se dégrader. Pour une même unité de masse présente dans l’atmosphère, l’efficacité radiative du méthane est 73 fois plus élevée que celle du CO2. Après son émission, le méthane se transforme (certains de ses “descendants” sont eux-mêmes des gaz à effet de serre) et disparaît au bout d’une vingtaine d’années (la moitié au bout de huit ans environ), tandis que le CO2 émis décroît également, mais plus lentement, pour se stabiliser ensuite sur une très longue période (au bout de deux cents ans, il reste environ 30% du CO2 émis dans l’atmosphère). Les effets respectifs d’une émission de CH4 et de CO2 une année donnée ont des conséquences très différentes sur le réchauffement climatique en fonction de l’horizon temporel dans lequel on se place.

Les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), à partir des données sur les efficacités radiatives et les courbes de décroissance dans l’atmosphère de ces gaz après leur émission, ont calculé le rapport des effets sur le réchauffement climatique du méthane et du CO2 à différents horizons temporels. Ce rapport, le « Potentiel de réchauffement climatique (PRG) » du méthane, a été ainsi évalué à 72 à un horizon de 20 ans, 25 à 100 ans, 7,6 à 500 ans. En 1997 (Protocole de Kyoto), les négociateurs internationaux ont décidé d’adopter une unité commune, la « tonne équivalent CO2 (teq CO2) » pour comptabiliser les émissions des gaz à effet de serre autres que le CO2. Ils ont alors choisi la valeur « à 100 ans » du PRG du méthane comme coefficient d’équivalence (valeur qui était estimée à 21 à l’époque). A partir de cette date, on a compté les émissions de méthane en utilisant l’équivalence suivante : 1 tonne de méthane égale 21 teq CO2. Les suppressions d’une émission ponctuelle de 1kg de méthane et de 21 kg de CO2 sont considérées comme équivalentes.

Mais, si ces suppressions ne sont plus ponctuelles, mais pérennes cette équivalence n’est plus respectée sauf à un horizon de l’ordre de 200 ans. A un horizon de 20 ans, le rapport des effets sur le réchauffement climatique de l’action méthane et de l’action CO2 passe de 1 à 4.

On peut tirer de cette constatation trois enseignements :

• La teq CO2 ne paraît pas, du fait de la variabilité avec la période horizon, une unité convenable pour comptabiliser les émissions évitées de méthane.

• La sous-estimation des effets des émissions de méthane peut avoir de graves conséquences sur l’appréciation des conséquences attendues des politiques de réduction globale des émissions de gaz à effet de serre comme des objectifs des négociations internationales qui se limitent actuellement, dans la pratique, à la réduction des émissions de CO2.

• Dans la mesure où les experts du GIEC nous disent aujourd’hui que la période horizon entre 2030 et 2050 est cruciale du point de vue des changements climatiques si l’on veut éviter des phénomènes d’amplification irréversible, il est urgent de mettre en œuvre, en complément des actions indispensables sur le CO2, des actions de réduction des émissions de méthane.

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Voir également sur ce site notre dossier Effet de serre : n’oublions pas le méthane ! ainsi que nos publications les plus récentes sur le sujet :

Une médecine d’urgence pour le climat
Hervé Le Treut, Benjamin Dessus, Bernard Laponche et Michel Colombier, LesÉchos.fr/LeCercle, vendredi 11 décembre 2009

Méthane : du grain à moudre pour la lutte contre le réchauffement climatique
Benjamin Dessus, La ‘chaîne’ énergie de LExpansion.com, jeudi 3 décembre 2009

États-Unis : tout à gagner à réduire le méthane
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Mediapart, vendredi 27 novembre 2009

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