Page publiée en ligne le 31 mars 2015
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• Quelle est la principale menace sur le climat ? (Benjamin Dessus / Cédric Philibert)
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CONTROVERSE : QUELLE EST LA PRINCIPALE MENACE SUR LE CLIMAT ?
Quelle est la principale menace sur le climat pour les années à venir ? Là où le consensus, et les politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique, s’engagent dans la lutte contre les énergies carbonées (pétrole…), Benjamin Dessus, président de l’association Global Chance, pointe l’importance de ne pas oublier les émissions de méthane.
Faux débat, lui répond Cédric Philibert de la division des énergies renouvelables à l’Agence internationale de l’énergie, qui voit dans cette prise de position un agenda caché de remise en cause du nucléaire. S’ensuit un débat énergique entre les deux chercheurs. [...]
Christian Chavagneux (L’Économie politique / Alternatives économiques)
Ci-dessous, par ordre chronologique :
1. Benjamin Dessus : « Sortir du dogme effet de serre = énergies carbonées »
2. Cédric Philibert : « Les énergies carbonées sont bien au cœur du problème climatique... »
3. Benjamin Dessus : « Que nous disent aujourd’hui les climatologues ? »
4. Cédric Philibert : « Dessus méthanera toujours… »
5. Benjamin Dessus : « Philibert, dopé au nucléaire à l’insu de son plein gré ? »
1. Benjamin Dessus : « Sortir du dogme effet de serre = énergies carbonées »
Dans un article publié en juillet 2014 et intitulé Une politique de gauche pour le climat ?, Benjamin Dessus rappelait l’importance déterminante du méthane dans la lutte contre le changement climatique et appelait à « ne pas se tromper de diagnostic » en réduisant cette lutte à la seule réduction de l’usage des énergies carbonées. Extrait :
Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est sans équivoque : les premiers signes d’un réchauffement rapide de la planète se confirment et, au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre (GES), la température du globe pourrait augmenter de plus de deux degrés avant 2050, voire de plus de quatre degrés en 2100, et rendre la planète quasiment inhabitable… Pour échapper au pire, il faudrait réduire les émissions mondiales d’un bon facteur 2 (1) avant 2050, mais celles des pays occidentaux d’un facteur 4 à 5.
Pour définir une politique, il faut d’abord comprendre l’importance relative des différentes émissions de GES dans le réchauffement, leurs origines sectorielles et géographiques ; analyser et hiérarchiser, ensuite, les marges de manœuvre dont nous disposons pour agir à la fois sur l’offre et la demande de biens et de services responsables de ces émissions ; comprendre, enfin, les opportunités et les contraintes économiques et sociales des politiques possibles.
Ne pas se tromper de diagnostic
En France, tout le monde ou presque fait comme si l’unique responsable des émissions de GES était l’offre d’énergie. L’équation effet de serre = énergies carbonées, pourtant loin d’être exacte, fait figure de dogme. Lutter contre l’effet de serre se résumerait alors à évoluer des sources d’énergies carbonées (le charbon, le pétrole et le gaz) vers un mix à base de nucléaire et d’énergies renouvelables à bas contenu en carbone. Cela arrange bien les gouvernements et l’industrie nucléaire, associés depuis quarante ans dans une promotion sans nuances de cette filière, malgré les problèmes majeurs qu’elle pose et alors qu’elle poursuit au niveau mondial un déclin qui paraît inéluctable. Ainsi, sa part dans la production mondiale d’électricité est passée de 16 % à 10 % et sa part dans la consommation finale d’énergie mondiale de 2,5 % à moins de 2 % depuis 2000…
Pourtant, le dernier rapport du groupe 1 du Giec nous apprend par exemple que si le gaz carbonique (CO2) reste en tête des responsables du surcroît de chaleur apporté depuis 1750 par les émissions anthropiques – c’est-à-dire dues à l’activité humaine –, avec 56 % du total de la contribution, la part des énergies carbonées est de 40 %, celle de la déforestation et de la production de ciment de 16 %, tandis que le méthane et ses descendants (2) comptent à eux seuls pour 32 % dans ce bilan. La contribution des énergies carbonées aux émissions de GES depuis la période préindustrielle est donc importante mais pas majoritaire. Et, pour l’avenir, le même rapport du Giec nous indique que l’émission d’une tonne de méthane en 2014 aura des conséquences 34 fois plus importantes dans cent ans et près de 70 fois plus importantes en 2050 que celle d’une tonne de gaz carbonique.
L’unique focalisation sur la réduction des énergies carbonées n’est donc pas judicieuse. Elle fait l’impasse sur les dangers inacceptables associés au développement de la filière nucléaire (accidents majeurs, gestion des déchets, risques de prolifération nucléaire). De même, la promotion des gaz de schiste, sous prétexte que la combustion du gaz naturel émet moins de CO2 que celle du charbon, mais sans aucun souci des fuites de méthane importantes qu’entraîne son exploitation, comme le font aujourd’hui les États-Unis, est un non-sens du point de vue du climat.
Derrière les vérités assénées se cachent donc de nombreux intérêts nationaux, industriels, économiques, financiers et sociétaux.
[...]
Notes :
(1) C’est-à-dire un objectif de division, ici par deux, des émissions de gaz à effet de serre.
(2) L’émission de méthane dans l’atmosphère provoque une production de vapeur d’eau et d’ozone qui sont aussi des gaz à effet de serre.
(haut de page) (retour à la chronologie de la controverse)
2. Cédric Philibert : « Les énergies carbonées sont bien au cœur du problème climatique... »
Il y a plusieurs façons de nier l’évidence – que l’utilisation d’énergies fossiles est au cœur du problème du dérèglement climatique. La façon brutale, et stupide, des climato-sceptiques. Et puis, la façon insidieuse de certains opposants à l’énergie nucléaire. L’article de Benjamin Dessus, « Une politique de gauche pour le climat ? », dans L’Économie politique n° 63 en donne un exemple éclairant.
Que nous dit donc Benjamin Dessus ? Qu’en France, « tout le monde ou presque fait comme si l’unique responsable des émissions de GES était l’offre d’énergie ». L’équation effet de serre = énergies carbonées « pourtant loin d’être exacte, fait figure de dogme ». Lutter contre l’effet de serre se résumerait alors à évoluer des sources d’énergies fossiles vers un mix à base de nucléaire et d’énergies renouvelables à bas contenu en carbone. Et à qui profiterait cette mystification ? Aux gouvernements – on suppose que le pluriel désigne ici les gouvernements français successifs – et à l’industrie nucléaire. Bref, l’unique focalisation sur la réduction des énergies carbonées ne serait « pas judicieuse », faisant l’impasse sur les dangers inacceptables du nucléaire.
Nous verrons peut-être une autre fois la question intéressante de la « politique de gauche » pour le climat. Voyons déjà ce qui justifie la remise en question de cette « focalisation » sur les énergies carbonées. Benjamin Dessus s’appuie sur le dernier rapport du groupe 1 du Giec et concède que le gaz carbonique reste en tête des responsables du surcroît de chaleur apporté depuis 1750 par les émissions anthropiques avec 56 % du total de la contribution, mais note que « la part des énergies carbonées est de 40 %, celle de la déforestation et de la production de ciment de 16 %, tandis que le méthane et ses descendants comptent à eux seuls pour 32 % dans ce bilan ». La contribution des énergies carbonées aux émissions de GES depuis la période préindustrielle serait donc « importante mais pas majoritaire ».
Oui mais direz-vous, le passé est le passé, nous n’avons plus prise dessus, ce qui compte c’est l’avenir, ce sont les émissions d’aujourd’hui et de demain, sur lesquelles nous pouvons et devons agir. Dessus répond : « Pour l’avenir, le même rapport du Giec nous indique que l’émission d’une tonne de méthane en 2014 aura des conséquences 34 fois plus importantes dans cent ans et près de 70 fois plus importantes en 2050 que celle d’une tonne de gaz carbonique. » La messe est dite. Vraiment ?
Voilà ce qu’on appelle une lecture sélective. Le potentiel de réchauffement global du méthane, par tonne, n’est qu’un composant permettant de calculer sa contribution totale, quand on connaît les émissions. S’il est seul pris en considération, le HFC134a de nos climatiseurs est 1 550 fois plus « réchauffant » à cent ans que le dioxyde de carbone, et le tétrafluorure de carbone 5 350 fois…
Il faut bien sûr regarder à la fois le potentiel de réchauffement global (par tonne) et le volume (enfin, la masse, en tonne…) des émissions, pour se faire une idée correcte de la contribution des diverses sources de gaz à effet de serre, et activités humaines, dans le dérèglement climatique. Et regarder avant tout l’impact à long terme des émissions actuelles, pour savoir sur quoi agir en priorité.
Et là, il n’y a pas photo : le rapport du groupe 3 du Giec l’énonce clairement dans son « Summary for Policy makers » : le CO2 comptait en 2010 pour 76 % des émissions anthropiques de gaz à effet de serre, le méthane 16 %, l’oxyde nitreux 6 % et les gaz fluorés 2 %. En termes d’activités, l’utilisation de combustibles fossiles et les procédés industriels comptent désormais pour 65 % via le seul CO2 – et davantage si l’on inclut leur part des émissions de méthane et autres gaz. Et cette proportion augmente sans cesse au moins depuis 1970 – elle était alors de 55 % seulement. Dans l’augmentation des émissions de GES, l’utilisation de combustibles fossiles et les procédés industriels comptent, nous dit encore le Giec, pour 78 %, tant sur la période 2000-2010 que sur la période 1970-2010.
Le Giec nous donne encore d’autres précisions. Le secteur de la production d’énergie (électricité et chaleur, sans doute aussi raffinerie) compte pour 35 %, l’industrie pour 21 %, les transports 14%, les bâtiments 6,4%. Si on ajoute à leurs émissions directes les émissions indirectes de la production d’énergie, les parts de l’industrie et des bâtiments augmentent à 31% et 19%, respectivement.
Ces évaluations s’appuient sur les potentiels de réchauffement à cent ans – les seuls qui comptent vraiment. En effet, notre problème n’est pas tant un réchauffement d’un ou deux dixièmes de degrés en dix ou vingt ans, qu’un réchauffement de plusieurs degrés en cinquante ou cent ans. En réalité, à très court terme, les perspectives changent radicalement. Pour les effets à dix ans, les émissions actuelles de méthane comptent effectivement autant que les émissions de CO2. A plus court terme encore… l’utilisation de combustibles fossiles et les activités industrielles refroidissent le climat, plutôt qu’elles ne le réchauffent, à cause des émissions de dioxyde de soufre. En revanche, au-delà d’un horizon d’une soixantaine d’années, les proportions ne changent plus, comme on voit sur le graphique ci-dessous, reproduit du résumé technique du rapport du groupe 1 du Giec. Et ce sont très clairement l’utilisation des énergies fossiles et les activités industrielles qui dominent.
Une lecture distraite, partielle ou tendancieuse du dernier rapport du Giec peut nous éloigner des énergies fossiles ; une lecture attentive, complète et impartiale nous y ramène bien vite.
Cédric Philibert (source : http://cedricphilibert.net)
(haut de page) (retour à la chronologie de la controverse)
3. Benjamin Dessus : « Que nous disent aujourd’hui les climatologues ? »
« Il y a plusieurs façons de nier l’évidence – que l’utilisation d’énergies fossiles est au cœur du problème du dérèglement climatique. La façon brutale, et stupide, des climato-sceptiques. Et puis, la façon insidieuse de certains opposants à l’énergie nucléaire. L’article de Benjamin Dessus, « Une politique de gauche pour le climat ? », dans L’Économie politique n° 63 en donne un exemple éclairant ». C’est ainsi que Cédric Philibert, qui n’hésite pas pour l’occasion à utiliser la vulgarité de l’amalgame pour renforcer son propos, entame une polémique sur l’importance relative à attribuer au gaz carbonique émis par les énergies fossiles par rapport aux autres gaz à effet de serre, en particulier le méthane. Mes affirmations, pourtant directement issues des précisions données sur cette question dans le dernier rapport du groupe 1 du Giec, ne seraient finalement selon lui que la conséquence de mon peu d’appétit pour l’énergie nucléaire.
L’auteur, dans un premier temps, reconnaît pourtant que, si le gaz carbonique reste en tête des responsables du surcroît de chaleur apporté depuis 1750 par les émissions anthropiques avec 56 % du total de la contribution (dont 40 % pour les énergies fossiles et 16 % pour la déforestation et la production de ciment de 16 %), le méthane et ses descendants comptent à eux seuls pour 32 % dans ce bilan. Mais, nous dit-il, tout cela n’a pas grand intérêt, puisque c’est l’avenir qui importe.
Certes, en effet, et comme je l’ai écrit sur la foi des propos le groupe 1 du Giec, l’émission d’une tonne de méthane en 2010 aura des conséquences 34 fois plus importantes dans cent ans et près de 70 fois plus importantes en 2050 que celle d’une tonne de gaz carbonique, mais, nous dit-il avec raison (s’appuyant sur l’exemple du tétrafluorure, plus de 5000 fois plus puissant mais dont les émissions sont très faibles), encore faut-il savoir combien de tonnes sont émises pour apprécier l’influence des émissions de méthane sur le climat.
Curieusement cependant, il ne nous donne pas cette indication qui figure dans les documents du Giec : en 2010 les émissions de méthane mondiales ont été de l’ordre de 373 millions de tonnes (en forte augmentation depuis 2000 où elles n’atteignaient que 267 Mt, plus de 3 % par an). Si l’on en croit le groupe 1 du Giec, celui des climatologues, c’est donc un effet équivalent à celui de 12,7 gigatonnes de CO2 en 2110 (34*373Mt) et de 26,1 milliards de tonnes de CO2 en 2050 auquel il faut s’attendre, à comparer aux effets du CO2 émis la même année par les énergies fossiles chiffrés à 31,8 gigatonnes. Les émissions de méthane de 2010 auraient donc en 2050 des conséquences presque égales à celle du CO2 énergétique en 2050 (82 %) et de 40 % de celles du CO2 en 2110. Quoi qu’en dise notre auteur, c’est donc tout sauf négligeable.
Comment expliquer cette contradiction ? En fait, pour établir sa critique, l’auteur ne se fonde pas sur les chiffres indiqués par les physiciens du groupe 1 du Giec mais sur ceux qu’utilise encore le groupe 3, celui des économistes. Ceux-ci indiquent en effet que le CO2 comptait en 2010 pour 76 % des émissions anthropiques de gaz à effet de serre, le méthane 16 %, l’oxyde nitreux 6 % et les gaz fluorés 2 %. Mais il se trouve que le groupe 3 du Giec, pour des raisons difficilement compréhensibles, a travaillé sur la base de métriques vieilles de vingt ans, celles retenues pour le protocole de Kyoto en 1997 : seul l’horizon de cent ans y est envisagé par le groupe en question, et le pouvoir de réchauffement global d’une émission ponctuelle de méthane à cet horizon y est de 21 (contre 34 pour le groupe 1). L’auteur justifie ce choix en expliquant que « ces évaluations s’appuient sur les potentiels de réchauffement à cent ans – les seuls qui comptent vraiment. En effet, dit-il, notre problème n’est pas tant un réchauffement d’un ou deux dixièmes de degrés en dix ou vingt ans, qu’un réchauffement de plusieurs degrés en cinquante ou cent ans. »
Cette dernière affirmation est en totale contradiction avec ce que nous disent aujourd’hui les climatologues : ils insistent en effet pour que les réductions des émissions de gaz à effet de serre à court et moyen termes (trente à quarante ans) soient suffisamment significatives pour que le réchauffement à l’horizon 2050 reste d’une ampleur compatible avec l’atteinte de la cible à plus long terme (cent ans). Ils craignent, en effet, si l’effort de court et moyen terme n’est pas suffisant, l’apparition d’irréversibilités qui rendraient définitivement impossible la maîtrise du réchauffement climatique. Contrairement à ce que dit l’auteur, le potentiel de réchauffement à cent ans n’est donc pas le seul qui compte ; les potentiels à vingt ou trente ans doivent aussi être pris en compte.
La critique de Cédric Philibert implique donc l’absence délibérée de prise en compte à la fois de ce qui se passe avant 2110 et des connaissances les plus récentes sur les gaz à effet de serre sur lesquelles les physiciens du groupe 1 du Giec se sont mis d’accord.
Mais ce n’est pas tout. En fondant uniquement son analyse sur les potentiels de réchauffement d’émissions ponctuelles des différents gaz à effet de serre, l’auteur ne comprend pas que les coefficients qu’il retient ne s’appliquent pas aux émissions (ou aux réductions d’émissions) pérennes de gaz à effet de serre. Pour le méthane, cela conduit à des PRG encore nettement supérieurs à ceux indiqués par le groupe 1 du Giec pour des émissions ponctuelles (45, contre 34 à cent ans ; 87, contre 70 en 2050) (1).
Non décidément, l’équation effet de serre = énergies carbonées, qui fait manifestement figure de dogme pour notre critique, est loin d’être exacte. Cela ne veut évidemment pas dire pour autant qu’il ne faut pas lutter vigoureusement pour réduire les émissions de CO2 engendrées par les énergies fossiles, mais cela veut dire qu’il ne faut en aucun oublier l’urgence de la lutte contre les émissions de méthane, complètement négligée de la plupart des décideurs.
Benjamin Dessus
(1) Voir par exemple « Forçage radiatif et PRG du méthane dans le rapport AR5 du Giec », Benjamin Dessus et Bernard Laponche, in Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité, Les cahiers de Global Chance, n° 35, juin 2014.
(haut de page) (retour à la chronologie de la controverse)
4. Cédric Philibert : « Dessus méthanera toujours… »
Dans sa réponse sur le site d’Alternatives économiques à ma critique de son article dans L’Économie Politique, Benjamin Dessus admet tout d’abord qu’en effet le rôle des divers gaz dans les émissions présentes a plus d’importance pour guider l’action que leur rôle historique – celui-là même qu’il mettait en avant.
Bon début. A mon tour de faire une concession. Dessus a raison sur un point : le groupe 3 du GIEC cite plus souvent les potentiels de réchauffement global (PRG) du rapport précédent que ceux du cinquième rapport. Mais la différence est moins grande qu’il ne le suggère. Le PRG à 100 ans du méthane est désormais à 28, contre 25. Résultat : alors que j’avais cité une contribution du méthane à 16% j’aurais pu – dû – citer la phrase suivante du résumé technique du rapport du groupe 3 : « Using the most recent GWP100 values from the Fifth Assessment Report » global GHG emission totals would be slightly higher (52 GtCO2eq/yr) and non-CO2 emission shares would be 20% for CH4. »
Dessus lui-même se garde bien de mentionner ce calcul du groupe 3, préférant dire que celui-ci utilise une métrique « vieille de vingt ans » (en fait, cinq ans, celle du quatrième rapport) et utilise un PRG pour le méthane de 21 (en fait, 25 – 21 c’était le PRG du premier rapport du GIEC).
Dessus préfère son propre calcul, basé sur un PRG à 100 ans de 34 pour le méthane, bien que le groupe 1 du GIEC utilise 28. Il présente un résultat en pourcentage de l’action du CO2 à 40%, pourquoi pas mais ce n’est pas la même chose que le pourcentage de l’effet total – optiquement c’est plus impressionnant. Et pourquoi 34 ? Parce que c’est le PRG du méthane à 100 ans incluant les rétroactions climatiques. Soit.
En revanche, quand Dessus estime que les PRG à 20 ou 50 ans sont aussi importants, je ne suis toujours pas d’accord. Il faut lire soigneusement son argumentaire à ce sujet : ce qui compte pour les climatologistes qu’il cite, c’est la crainte que le réchauffement à 2050 rende impossible « l’atteinte de la cible à plus long terme ». C’est donc la question des rétroactions climatiques, – déjà incluses dans son choix d’un PRG100 de 34 plutôt que 28.
Dessus évoque encore un PRG « pérenne » encore plus élevé, mais dont je ne trouve pas trace dans le rapport du GIEC. Et pour cause : on ne peut pas ainsi mélanger l’étude des effets climatiques des émissions de GES, et des appréciations, elles-mêmes très discutables, sur la pérennité ou non des actions de réduction des émissions. Il me reproche de « ne pas comprendre » ce point, mais je crains de ne pas être le seul, loin de là…
En revanche, Dessus ne souffle mot du « potentiel de changement de température global », seule (et nouvelle) « métrique » alternative qu’évoque le GIEC. On comprend vite pourquoi : celui, à cent ans, du méthane, n’est que de … 11 (avec rétroactions climatiques), voire de 4 (sans), ce qui ferait du méthane un non-sujet. Si le PRG exprime l’effet d’une émission intégrée sur l’horizon temporel donné, c’est le potentiel de changement de température global qui exprime l’effet (par rapport à celui d’une masse équivalente de CO2) sur le changement de température dans l’année qui clôt cet horizon – par exemple 2110. Mais que Dessus se rassure : je ne suis pas convaincu que le plus récent soit supérieur au plus ancien. Au contraire, même, parce que seul le PRG intègre les effets de court et moyen terme pendant x années (par exemple 100), alors que le PTG ne regarde que le changement de température à l’année x (par exemple 2010). Ce qui, à mon humble avis, contribue à justifier le choix d’un horizon de 100 ans pour le PRG.
Au fond, Dessus et moi sommes d’accord sur les conclusions opérationnelles : il faut lutter contre tous les gaz à effet de serre. C’est d’ailleurs ce que s’efforce de faire le programme français de lutte contre l’effet de serre, avec sans doute de nombreuses insuffisances. Je ne reproche pas à Dessus de dire « n’oublions pas le méthane ». Ce que je lui reproche, c’est de suggérer que mettre une priorité sur le CO2 serait une manipulation du lobby nucléaire. Ce n’est pas seulement risible – c’est dangereux. Cela alimente le climato-scepticisme. A l’insu du plein gré de Benjamin Dessus, je n’en doute pas. Mais quand même.
Cédric Philibert (source : http://cedricphilibert.net)
(haut de page) (retour à la chronologie de la controverse)
5. Benjamin Dessus : « Philibert, dopé au nucléaire à l’insu de son plein gré ? »
Le dernier propos de « Philibert » (puisque l’usage de mon prénom semble l’indisposer), malgré ses circonvolutions diverses, est finalement clair : le méthane, comme je le disais moi même dans mon article, joue un rôle important dans l’affaire climatique et l’on devrait bien s’en occuper sérieusement. Et si Philibert fait semblant de ne pas comprendre l’importance des émissions « pérennes » au prétexte qu’elles ne sont pas inéluctables, c’est tout simplement parce qu’elles expliquent largement l’importance du rôle du méthane jusqu’à aujourd’hui : le très fort potentiel de réchauffement climatique des émissions de méthane des 20 dernières années compense la disparition progressive des émissions plus anciennes du même méthane. Et il n’y a aucune raison qu’il y ait soudain une rupture de cet état de fait surtout si, comme on l’observe depuis le début du siècle, les émissions de méthane croissent encore plus vite que celles de CO2.
Mais regardons de plus le procès concernant la valeur du PRG du méthane retenue par le groupe 3. Philibert prétend que la valeur de 16% à 100 ans pour le méthane émis en 2010 est calculée avec un PRG de 25 et non de 21 comme je l’indiquais. Cette assertion est inexacte. C’est en effet dans les commentaires de la figure SPM1 du résumé pour décideurs du groupe 1 du GIEC (1) indiquant cette participation des émissions de méthane de 16% qu’on trouve la phrase suivante : « Emissions are converted into CO2-equivalents based on GWP100 from the IPCC Second Assessment Report » (2) et non pas du quatrième rapport (3) comme il le prétend.
Alors Philibert nous sort un nouvel argument : le potentiel de température globale (PTG) calculé par le groupe 1 du GIEC n’est que de 11 à 100 ans. Ce qui veut dire que l’émission d’une tonne de méthane en 2014 a la même influence sur le climat en 2114 que 11 tonnes de CO2. Tout d’abord constatons que ce n‘est pas tout à fait négligeable. Ensuite le même groupe 1 nous dit qu’à horizon de 20 ans (en 2034) ce même PTG atteint la valeur de 70, ce qui est évidemment plus conséquent. Et s’il s’agit de la partie pérenne des émissions futures de méthane nous savons que les coefficients à 20 et 100 ans passent respectivement à 86 et 34 (4).
Et puis, il y a une certaine incohérence de la part de Philibert à invoquer le PTG comme métrique d’action alors que le groupe 3 du GIEC, justement celui qui est en charge de conseiller l’action, au contraire du groupe 1, ne cite même pas cette métrique dans son « résumé pour les décideurs » et ne l’utilise pas dans l’élaboration des politiques et mesures qu’il préconise….
Reste la faute impardonnable aux yeux de notre critique : « Ce que je lui reproche, dit-il, c’est de suggérer que mettre une priorité sur le CO2 serait une manipulation du lobby nucléaire. Ce n’est pas seulement risible – c’est dangereux. Cela alimente le climato-scepticisme. A l’insu du plein gré de Benjamin Dessus, je n’en doute pas. Mais quand même ».
Je suis donc amené à reproduire ce que j’ai écrit à ce propos :
« L’unique focalisation sur la réduction des énergies carbonées n’est donc pas judicieuse. Elle fait l’impasse sur les dangers inacceptables associés au développement de la filière nucléaire (accidents majeurs, gestion des déchets, risques de prolifération nucléaire). De même, la promotion des gaz de schiste, sous prétexte que la combustion du gaz naturel émet moins de CO2 que celle du charbon, mais sans aucun souci des fuites de méthane importantes qu’entraîne son exploitation comme le font les États-Unis aujourd’hui est un non sens du point de vue du climat .
Derrière les vérités assénées, se cachent donc de nombreux intérêts nationaux, industriels, économiques, financiers et sociétaux. »
Vous remarquerez peut-être d’abord que mon propos n’a pas grand chose à voir avec ceux que me prête Philibert.
S’il s’agit, comme je l’ai fait, de rappeler que le nucléaire n’est vraiment pas « la » solution miracle à la lutte contre l’effet de serre comme le prétend un certain nombre de gens dans ce pays et que l’exploitation des gaz de schiste est dans l’état actuel des techniques un véritable danger pour la planète, je persiste et signe de bon et plein gré.
Par contre, s’il s’agit comme le propose Philibert de nier les problèmes majeurs que pose le nucléaire sous prétexte qu’il n’émet pas ou peu d’effet de serre, il faut sérieusement se poser la question d’un dopage (de son plein gré à l’insu de son plein gré) au nucléaire qui l’aveuglerait suffisamment pour transformer tout opposant à cette technologie en affreux « climato-sceptique ».
Benjamin Dessus
Notes :
(1) Summary for policy makers, working group 1, IPCC, page 6.
(2) Le second rapport du GIEC a été rendu public en 1995.
(3) Le quatrième rapport du GIEC date de 2007.
(4) Forçage radiatif et PRG du méthane dans le rapport AR5 du GIEC.
(haut de page) (retour à la chronologie de la controverse)
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