Méthane contre CO2 : une compétition qui n’a pas lieu d’être

, par   Benjamin Dessus

Au cours des vingt dernières années, un certain nombre de « lanceurs d’alerte » sont venus nous rappeler l’importance des réductions des émissions du méthane (deuxième gaz à effet de serre derrière le gaz carbonique) pour une lutte efficace contre le réchauffement climatique. Et, en effet, au fur et à mesure que les connaissances scientifiques sur le méthane se sont affinées, l’importance de son rôle dans le réchauffement s’est confirmée, jusqu’à remettre en cause l’architecture d’accords internationaux tels que le protocole de Kyoto et en particulier les marchés de droit d’émission dont il a précipité le développement...


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MÉTHANE CONTRE CO2 : UNE COMPÉTITION QUI N’A PAS LIEU D’ÊTRE

Benjamin Dessus, Le Club Mediapart, mercredi 18 novembre 2015

Au cours des vingt dernières années, un certain nombre de « lanceurs d’alerte » sont venus nous rappeler l’importance des réductions des émissions du méthane (deuxième gaz à effet de serre derrière le gaz carbonique) pour une lutte efficace contre le réchauffement climatique. Et, en effet, au fur et à mesure que les connaissances scientifiques sur le méthane se sont affinées, l’importance de son rôle dans le réchauffement s’est confirmée.

Dans les années 90, les climatologues avaient défini un index le « Potentiel de réchauffement global » (PRG) pour apprécier l’importance relative des conséquences d’émissions ponctuelles d’1kg de méthane et d’1kg de gaz carbonique au cours du temps qui suit ces émissions. En effet alors qu’une molécule de méthane disparaît de l’atmosphère dans les deux premières décennies qui suivent son émission, une molécule de CO2 émise dans l’atmosphère y séjourne beaucoup plus longtemps. Les valeurs de PRG du méthane retenues à l’époque étaient de 21 à 100 ans et de 72 à 20 ans.

Le protocole de Kyoto et le marché des permis d’émission

Le protocole de Kyoto de 1997 avait pour ambition de définir pour les pays participant des obligations de performances d’émissions à un horizon donné en tentant de laisser un maximum de souplesse aux acteurs pour atteindre les réductions d’émissions prévues par des échanges commerciaux.

Au cœur du dispositif figurait la possibilité d’échanges entre pays de quotas d’émission de l’ensemble des gaz à effet de serre du protocole de Kyoto. Pour y parvenir il était bien entendu tentant de disposer d’une équivalence fixe entre les différents gaz et le gaz carbonique considéré comme gaz de référence et simplifier ainsi les transactions sur la base d’un coût de « la tonne équivalent CO2 » définie par le PRG à cent ans (une émission ponctuelle de 1 tonne de méthane CH4 est dite « équivalente », par ses effets sur le réchauffement climatique, à une émission ponctuelle, la même année, de 21 tonnes de CO2). Ce choix du PRG à cent ans manifestait le souci de donner une priorité claire aux réductions d’émission de CO2, vu le caractère d’irréversibilité attaché à leur émission.

Mais, de ce fait, une confusion s’est lentement établie depuis cette époque entre tonne équivalent CO2 et tonne de CO2 au point que la lutte contre le réchauffement climatique est assimilée bien souvent dans l’esprit des décideurs à la seule lutte contre les émissions de CO2. Les réductions d’émission de méthane sont alors reléguées loin derrière celles du CO2 dans la hiérarchie des priorités des pouvoirs publics.

Pourtant le dernier rapport du groupe I du GIEC insiste sur deux points qui devraient nous faire réfléchir.

D’une part l’échéance des préoccupations climatiques n’a cessé de se rapprocher, passant en une vingtaine d’années de 2100 à 2050. D’autre part, les valeurs de PRG proposées dans le dernier rapport du GIEC (2013) atteignent 28 à 100 ans et 84 à 20 ans. Dans ce même rapport le GIEC attribue 32% du cumul de la chaleur supplémentaire apportée à l’atmosphère par l’ensemble des gaz à effet de serre entre 1750 et 2010, derrière le CO2, responsable de 56% de ce cumul.

Ne pas se tromper de combat

Un certain nombre de scientifiques et d’acteurs de la vie économique tentent depuis quelque temps de remettre cette question sur le devant de la scène. Puisque l’urgence d’une réaction forte aux émissions se fait sentir et que les conséquences d’une réduction du méthane apparaissent comme plus importantes à court terme, faisons de la courte vie du méthane, disent-ils, un argument en faveur de sa réduction dès maintenant pour assurer le service minimum sans lequel nous risquons de sortir de l’épure avant 2050.

Un raisonnement strictement inverse par conséquent à celui des défenseurs traditionnels d’une réduction prioritaire du CO2 qui auraient plutôt tendance à considérer le méthane comme une dernière cartouche à utiliser en urgence, juste avant le couperet d’une échéance éventuellement particulièrement dangereuse.

Le colloque sur le méthane qui s’est tenu le 9 novembre dernier au Comité économique social et environnemental illustre bien ce phénomène (1). Plusieurs orateurs (2) ont insisté sur l’avantage que constituait la courte durée de vie de certains gaz à effet de serre (suies, méthane) associée à des potentiels de réchauffement très élevés à court terme.

Comment sortir du guêpier de ces raisonnements dont les arguments se retournent strictement les uns contre les autres et qui risque en fait d’affaiblir la double action indispensable ?

Il nous paraît important tout d’abord de mieux comprendre les conséquences du déroulement des actions pratiques de réduction de méthane sur le climat.

Les actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre et en particulier du méthane se déroulent très généralement sur des périodes longues (20 à 30 ans), en particulier dans l’industrie : usines de méthanisation, réduction des fuites de gaz dans l’industrie des fossiles (mines puits, transport et distribution, etc.). Il ne s’agit donc pas de réductions d’émissions ponctuelles de méthane mais de réductions d’émissions présentant un grand caractère de pérennité.

C’est encore plus vrai des « programmes de réduction » gouvernementaux qui font toujours l’hypothèse implicite que les installations de réduction d’émission, quand elles viendront à obsolescence, seront remplacées par des installations au moins aussi efficaces.

Or le calcul montre que le PRG d’une action de réduction pérenne (3) d’émissions de CH4 (1Kg chaque année par exemple) est beaucoup plus élevé que celui d’une action conduisant à une réduction ponctuelle de cette même quantité de méthane (limitée à une seule année). Le PRG à 100 ans de cette réduction pérenne atteint la valeur de 45 contre 28 pour une réduction ponctuelle.

Les effets sur le climat à 100 ans d’une action de réduction pérenne de 1kg de méthane sont donc plus de deux fois supérieurs à ceux qu’implique la métrique retenue à Kyoto (PRG de 21). La réduction des émissions de méthane dès maintenant, à condition qu’elle ne soit pas remise en cause à court terme, garde des conséquences importantes à long terme. Les positions, a priori antagonistes, sont donc moins éloignées qu’il n’y paraît au premier abord.

Sortir de la logique qui a présidé à l’architecture des accords de Kyoto

On a vu que la métrique des potentiels de réchauffement global imaginée pour le protocole de Kyoto présente un très gros inconvénient puisque la valeur des équivalences entre gaz dépend très fortement de l’horizon temporel auquel se situe l’objectif de lutte. C’est évidemment une complication considérable : à titre de comparaison, imaginons ce que serait la comptabilité énergétique si la tonne de charbon d’une qualité déterminée se voyait attribuer des valeurs en tonnes équivalent pétrole variant dans un rapport 1 à 5 selon l’horizon auquel on s’y intéresse ?

Nous sommes là dans un cas où les contraintes de la physique devraient s’imposer à l’économie plutôt que l’inverse. Pourquoi en effet s’obstiner à vouloir mesurer avec une unité unique des entités différentes qui présentent des durées de vie très différentes pour traiter un problème qui s’étend lui même sur des centaines d’années ?

On ne voit qu’une addiction déraisonnable aux vertus supposées du marché pour justifier de s’engouffrer dans une telle complexité.

Les travaux du groupe I du GIEC montrent bien qu’il est indispensable de réduire de façon concomitante et la plus rapide possible l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre dans des proportions considérables. Le gaz carbonique et le méthane en sont, et de loin, les principaux responsables. Mais rien n’empêche de se fixer des objectifs de réduction pour chacun de ces deux gaz, des horizons et des moyens distincts pour y parvenir. Cela d’autant que les responsables de ces différentes émissions appartiennent à des secteurs distincts de la vie économique et répondent à des logiques d’incitation économique différenciées. Mais il ne faudrait évidemment pas que la redécouverte bienvenue de l’importance du méthane puisse servir de prétexte à un ralentissement de l’action sur le C02. Il est indispensable de définir et engager simultanément des programmes ambitieux de réduction des deux gaz.

Benjamin Dessus
Président de Global Chance

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Notes

(1) Réduction des émissions de méthane : Science et solutions innovantes, CESE, 9 novembre 2015.

(2) Veerabhadran RAMANATHAN, Professeur émérite de sciences atmosphériques et du climat à l’Institut d’Océanographie Scripps, Université de Californie de San Diego.

(3) Au sens de réduction définitive ou pseudo définitive.

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