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• Laurence Tubiana : Climat : un pari sur l’« effet d’apprentissage »
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CLIMAT : UN PARI SUR L’« EFFET D’APPRENTISSAGE »
Laurence Tubiana (interview, La Libre Belgique, lundi 1er février 2010
La poussière est quelque peu retombée un peu plus d’un mois après le sommet climat sous haute tension qui s’est déroulé à Copenhague. Selon les termes de l’accord intervenu dans la capitale danoise, les pays qui souscrivent à celui-ci devaient communiquer aux Nations unies les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre ou les plans d’action qu’ils entendent mettre en œuvre à l’horizon 2020. L’occasion de faire un point de la situation en compagnie de Laurence Tubiana, directrice de la Chaire de développement durable à Science Po Paris et directrice des Biens publics mondiaux au ministère français des Affaires étrangères.
Avec le recul, comment analysez-vous ce sommet ?
Je pense que l’accord intervenu reflète très exactement l’état de préparation et de maturité de la mobilisation autour du climat des différents pays. Il permet de sortir du blocage des négociations dans lequel on se trouvait depuis deux ans, dans la mesure où il tranche un certain nombre d’options qui étaient sur la table. La piste consistant à créer un nouveau protocole incluant tous les pays est manifestement une option beaucoup trop ambitieuse dans l’état actuel des réflexions et du rapport de force international. Une autre piste envisageait de créer une troisième voie parallèlement à la Convention Climat et au Protocole de Kyoto, en mettant beaucoup l’accent sur la coopération internationale structurée autour de règles fortes et précises. On n’en est pas là non plus.
On se trouve dans le cadre d’un accord où chacun va présenter de façon unilatérale ce qu’il entend faire en matière de changement climatique. On est dans un système de déclaration et de création de confiance mutuelle. L’aspect positif est que tout le monde est dans la même tente. Les pays en développement réfléchissent au problème et amorcent quand même des politiques sérieuses de lutte contre le réchauffement, même si c’est évidemment insuffisant et qu’il faut continuer à chercher à construire un accord juridiquement contraignant.
En revanche, le constat un peu amer de cette négociation, c’est que chacun est prêt à faire des choses de son côté à condition de le décider de manière unilatérale et que la coopération joue très peu de rôle. Il n’y a pas de confiance réelle dans le fait qu’en agissant ensemble on peut être beaucoup plus ambitieux.
C’est la realpolitik absolue qui a triomphé ?
Voilà, oui.
Mais par rapport à toutes les attentes qui pesaient sur ce sommet, c’est un recul, non ? Que va-t-il advenir, par exemple, du protocole de Kyoto ?
C’est la première période d’engagement qui arrive à son terme fin 2012, mais pas le protocole lui-même. Quand on regarde les déclarations des pays Basic [Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine – NdlR], on voit bien qu’ils ont l’intention de défendre le maintien du protocole, c’est une ligne très forte de leurs positions. Je crois qu’un débat va s’ouvrir pour savoir ce qu’il en advient, la discussion reste ouverte sur une deuxième période d’engagement. On est dans une période intermédiaire où l’on sait bien que d’une façon ou d’une autre les déclarations que vont faire les pays seront à la fois positives et insuffisantes.
Yvo De Boer, le patron de la Convention climat de l’Onu, a déclaré que la date-butoir du 31 janvier était « flexible ». Il ne semblait pas s’attendre à ce que tout le monde la respecte…
Non, mais j’ai le sentiment que la plupart des grands pays émetteurs, dont les pays émergents, le feront. On devrait donc disposer d’un panorama contrasté dont on sait de toute façon qu’il ne nous emmènera pas dans un scénario permettant de limiter la hausse de température à deux degrés. D’où l’importance d’amorcer le mouvement. Un autre élément positif de l’accord, même si ce n’est pas dit de façon spécifique, est qu’il prévoit un processus de revue globale des objectifs autour de cette question des deux degrés. La logique voudra que l’on revienne sur ces engagements pour constater que cela ne suffit pas et qu’il faudra faire plus. C’est la corde de rappel que l’on tient. Elle vaut ce qu’elle vaut, mais je pense qu’elle est importante. Copenhague a ouvert à la fois une période de grande mobilisation mais qui s’accompagne d’une grande incertitude sur les résultats quantifiés.
Si l’on est optimiste, on se dit qu’en s’engageant dans ces politiques de réduction, les pays vont constater que ce n’est pas aussi difficile et aussi coûteux que ce qu’ils anticipent. On va aussi se rendre compte que si tout le monde le fait, cela coûte d’autant moins cher. Que ce signal va permettre de concrétiser tout ce qui est pour le moment en attente au niveau des investissements économiques. L’intérêt essentiel de cet accord est qu’il va amorcer la pompe. Le pari c’est que l’effet d’apprentissage va donner des résultats positifs et que, du coup, on pourra enclencher un processus de revue et être plus ambitieux sur les objectifs suivants. On va créer la confiance nécessaire qui n’est pas là actuellement. Il n’y a ni confiance dans le fait qu’un modèle de développement très faiblement carboné est viable ni sur le fait qu’en agissant l’on ne va pas se mettre dans une situation économique désastreuse par rapport aux autres pays.
Dans le bras de fer qui oppose la Chine et les États-Unis dans ce dossier, d’aucuns ont pointé la responsabilité des États-Unis dans le blocage survenu à Copenhague. Qu’en est-il selon vous ?
Il y a eu des tas de rebondissements autour de ce texte. C’est vrai que les Chinois ont extrêmement mal pris la critique implicite sur la fiabilité de leurs actions qui était dans le premier discours d’Obama. Cela revenait à les accuser de faire des choses que l’on ne pouvait pas croire. De manière générale, c’est un sujet très difficile avec la Chine dans le cadre d’énormément de traités multilatéraux. Ce pays a une vision réticente vis-à-vis de règles qui impliquent une certaine ingérence internationale sur sa politique intérieure. Le discours américain était aussi davantage positionné par rapport au débat intérieur que par rapport au débat international. Cela dit, les Chinois étaient également extrêmement durs, donc je serais plus nuancée sur la répartition des responsabilités.
Mais il est clair que sous l’influence des autres pays, cet accord a permis de trouver un point d’équilibre entre les États-Unis et la Chine qu’ils n’étaient pas arriver à trouver à deux. C’est intéressant pour l’évolution du système tel qu’on va le voir se développer dans les années qui viennent.
L’Europe est quand même revenue bredouille de Copenhague. On n’a pas eu l’impression que les 27 formaient un front uni…
C’est vrai que l’accord ne rencontre pas les "lignes rouges" européennes. Mais est-ce que le point principal pour les Européens n’était pas d’avoir un accord à n’importe quel prix ? Angela Merkel a dit que c’était la décision à prendre la plus difficile de sa vie. Que le résultat n’était pas celui qu’elle attendait, mais qu’en même temps s’opposer à ce texte revenait au fond à s’opposer à la lutte contre le changement climatique. Je pense que c’est le dilemme européen.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’on a quand même obtenu que les pays émergents rentrent dans le jeu. Revenir sans rien de Copenhague, c’était se retrouver dans une situation ou ni les États-Unis, ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil, ni l’Afrique du Sud ne s’engageraient.
Un mauvais accord était donc préférable à pas d’accord du tout ?
Dans ce cas-là, oui. Mais on jugera de cet accord ex post. Ex ante, c’est vraiment difficile. Il n’oblige à rien sinon à faire quelque chose et à pouvoir le vérifier. Il s’agit maintenant de voir comment les gouvernements vont chacun mettre ces engagements en place, mais aussi comment les entreprises et les consommateurs réagissent aux signaux qui vont être donnés.
Propos recueillis par Gilles Toussaint
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