Hulot : la ligne rouge est franchie ?

, par   Jean-Marie Brom

Avril 2011. Nicolas Hulot, alors candidat écologiste à la présidentielle, prend officiellement position : « L’objectif de sortir du nucléaire est un objectif prioritaire. C’est un changement d’état d’esprit ».

Août 2015. La « loi relative à la transition énergétique et à la croissance verte » (loi TECV) fixe à 2025 l’horizon d’une réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production électrique française.

Octobre 2017. Nicolas Hulot, devenu ministre de la Transition écologique et solidaire, évoquant ses divergences de vue parfois antagoniques avec les autres titulaires de portefeuilles ministériels, déclare : « la première ligne rouge, c’est l’instant où je me renierai. »

Novembre 2017. Nicolas Hulot, toujours ministre, annonce que l’échéance de 2025 ne sera pas respectée et justifie ce recul, rapport de RTE à l’appui, en invoquant la lutte contre le changement climatique, un argument objectivement irrecevable.

2011, 2017 : entre le candidat écologiste à la présidentielle et le ministre de la Transition écologique et solidaire, il y a effectivement un sacré « changement d’état d’esprit »... si ce n’est un véritable reniement.

Sur cette page :
Jean-Marie Brom : Hulot : la ligne rouge est franchie ?
Rapport de RTE ? Nucléaire et climat ? : Quelques éléments de décryptage...
Pour aller plus loin : Changer de paradigme | Les Dossiers de Global-Chance.org
Le clin d’œil du webmestre : 1968-2018 : « je suis pour l’écologisme... »

HULOT : LA LIGNE ROUGE EST FRANCHIE ?

Jean-Marie Brom, Le Club Mediapart, mercredi 8 novembre 2017

Il y a moins de deux semaines, le ministre de la “Transition écologique et solidaire” prétendait que «  la première ligne rouge, c’est l’instant où je me renierai  » (Le Monde du 28 octobre). En annonçant que le gouvernement ne pourrait (ou ne voulait ?) pas tenir l’objectif de 2025 pour la réduction à 50% de la part du nucléaire, maître Hulot s’est-il souvenu de ses déclarations de 2011 : «  L’objectif de sortir du nucléaire est un objectif prioritaire. C’est un changement d’état d’esprit  »… Ce qu’il y a surtout à retenir, c’est qu’entre un militant et un ministre, il y a effectivement un sacré changement « d’état d’esprit »…

Mais ce qui est insupportable, c’est que Nicolas Hulot ne s’est même pas donné la peine d’avancer de nouveaux arguments : prenant pour alibi un récent rapport [NDLR : voir plus bas le 1er de nos « éléments de décryptage »] – non public – de RTE (Réseau de Transport d’Électricité) – et il ne faudra pas oublier que EDF est majoritaire au sein de RTE – il continue de lier le nucléaire aux problèmes climatiques. C’est facile, mais c’est complètement absurde [NDLR : voir plus bas le 2nd de nos « éléments de décryptage » ], et l’ensemble des pays qui sortent du nucléaire ou n’y sont jamais entrés est là pour le démontrer…

Sans aller très loin, l’Allemagne (qui n’est pas sans défauts, loin de là), est en train de sortir du nucléaire (8 réacteurs arrêtés depuis 2011 et fin du nucléaire prévue en 2022), voit sa production d’électricité par le charbon baisser – quoiqu’on en dise en France), est arrivée à 29% d’électricité renouvelable (1er pays mondial pour le photovoltaïque) et tout ceci en diminuant ses émissions de GES… Bien plus, en 2015 (chiffres RTE) la France a importé d’Allemagne plus de 14 000 GWh, contre des exportations de moins de 5 000 GWh. Comprenne qui pourra….

Selon Nicolas Hulot, «  si on veut réaliser cet objectif d’ici 2025 [les fameux 50%], il faudrait fermer entre 17 et 25 réacteurs. Impossible sauf à ne pas tenir compte de nos engagements sociaux, à ne pas fermer les centrales à charbon et à rouvrir des centrales thermiques  ». Triple stupidité, qui montre le peu de réflexion qu’ont eu les gouvernements successifs depuis que l’on parle de réchauffement climatique, et de limitation des ressources énergétiques mondiales.

«  Ne pas fermer les centrales à charbon  » ? Alors que notre pays est en évidente surproduction électrique (plus de 50 000 GWh en 2016 soit 10% de la production totale d’électricité), la part du charbon représente environ 1,5 % du total produit. Et selon le ministre, on ne pourrait pas se passer de cette production ? Mais la maintenir, c’est aussi violer les engagements pris lors de la COP21. Il est également vrai que le plan « charbon 2035 » de EDF a été publié en 2014. Juste avant que François Hollande n’annonce que la France ne fermerait pas ses 4 centrales à charbon…. Peut-être que le ministre vient de découvrir ce plan, lui qui a été longtemps sponsorisé par l’électricien français…

«  Rouvrir des centrales thermiques  » ? Est-ce un lapsus ? Personne en France n’envisage de “rouvrir” des centrales thermiques. Mais EDF ou ses filiales entendent bien continuer leur stratégie de “diversification” : 4 nouvelles centrales à gaz ouvertes durant le mandat Hollande, et des projets (Landivisiau-450 MW entre autre) pour l’avenir. Et tout cela pour moins de 10% de l’électricité produite, c’est-à-dire moins que la surproduction actuelle.

«  Tenir compte de nos engagements sociaux  » ? Là encore, le ministre endosse sans broncher des vieilles lunes, sans aucune réflexion propre : nos 4 centrales à charbon emploient un peu moins de 1000 personnes. Tous fonctionnaires. Les centrales nucléaires, cela représente une quinzaine de milliers de fonctionnaires. Et qui ne risquent donc pas de perdre leur emploi. La pourtant timide loi de Transition Énergétique promettait la création de 100 000 emplois. Et l’expérience acquise par les pays ayant déjà amorcé leur transition confirme (en l’amplifiant) ce chiffre. Que monsieur le ministre nos explique comment le fait de maintenir le nucléaire à son niveau, dans un pays où la demande ne croît pas permettra de tenir compte des “engagements sociaux”…

On peut plaindre le ministre, incapable de s’imposer face au gouvernement. On peut tout autant lui reprocher de s’être couché aussi facilement devant la nucléocratie... Il est vrai qu’après les perturbateurs endocriniens, après le glyphosate, après ses déclarations fumeuses sur le CETA ou la fin de l’essence, cela commence à bien faire, dans le genre soumission et renoncements...

La triste évidence demeure : il y a un dogme du nucléaire en France, et depuis trop longtemps. Alors que le monde entier se pose des questions, alors que le reste de l’Europe a compris que le nucléaire, cela appartient désormais au passé, la France reste le seul pays où l’on ne “peut” pas sortir du nucléaire. Le passé récent nous montre que quels que soient les engagements, quelles que soient les promesses, ni la volonté, ni la réflexion ne suivent. Aujourd’hui, deux ans après la loi de Transition Énergétique, six mois après avoir promis de suivre cette loi, 3 mois après avoir évoqué le nombre de 17 centrales à fermer, le ministre nous promet de commencer à y penser. Qu’il se souvienne de ses déclarations de 2011, et qu’il en tire la conclusion. Ce serait – à tout le moins – une question d’honneur.

Un dernier mot : reprenant exactement les mots de François Hollande en 2013, Nicolas Hulot assure que la centrale de Fessenheim fermera « avant la fin du quinquennat », c’est-à-dire avant 2022. EDF, de son côté, envisage toujours le démarrage de l’EPR pour fin 2018 (il y a moins d’un mois). Sachant que le dossier d’arrêt de Fessenheim devrait être déposé au moins 6 mois avant le démarrage effectif de l’EPR (décret de décembre 2016), il ne faut pas être trop malin pour prévoir que l’échéance devrait être pour l’été 2018. A moins que le ministre n’ait d’autres informations, d’autres reniements en vue ? Après tout, il suffira d’un décret discret pour repeindre la ligne rouge…

Aujourd’hui 8 novembre 2017, 18 réacteurs nucléaires sont à l’arrêt en France (1/3 du parc). Et ces 18 réacteurs arrêtés consomment environ 300 MW pour leur refroidissement. Mais à part cela, tout va très bien...

Jean-Marie Brom

RAPPORT DE RTE ? NUCLÉAIRE ET CLIMAT ?
QUELQUES ÉLÉMENTS DE DÉCRYPTAGE...

1. Le « bilan prévisionnel RTE 2017 », une mauvaise blague ?
2. Plus de nucléaire pour moins de réchauffement ?

« [...] Nicolas Hulot ne s’est même pas donné la peine d’avancer de nouveaux arguments : prenant pour alibi un récent rapport – non public – de RTE (Réseau de Transport d’Électricité) [...] il continue de lier le nucléaire aux problèmes climatiques. C’est facile, mais c’est complètement absurde [...] » (Jean-Marie Brom).

1. LE « BILAN PRÉVISIONNEL RTE 2017 », UNE MAUVAISE BLAGUE ?

Commentaires sur les scénarios du bilan prévisionnel RTE 2017
Bernard Laponche, Global Chance, dimanche 14 janvier 2018
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Introduction
1. La prospective de la consommation d’électricité
1.1 Les trajectoires de la consommation d’électricité présentées par RTE
1.2 L’effet consommation dans le scénario Ohm
1.3 L’effet consommation dans les quatre scénarios en 2025
2. Les émissions de gaz à effet de serre
2.1 La méthode de calcul des émissions des gaz à effet de serre du système électrique
2.2 Les émissions en 2016
2.3 Les émissions de CO2 dans les différentes variantes des scénarios
2.4 Les émissions calculées avec les indicateurs en cycle de vie
3. La question des exportations d’électricité
Annexe 1 – Bilan énergétique de la France métropolitaine en 2016
Annexe 2 – Prévisions de la consommation d’électricité d’EDF et du CEA en 1974
Annexe 3 – Comparaison des économies d’énergie et du nucléaire par la DGEMP en 1987

La programmation pluriannuelle de l’énergie – Prévision ou Prospective
Bernard Laponche, Le Club Mediapart, dimanche 4 février 2018

La production de déchets dans les scénarios de RTE
Bernard Laponche, Global Chance, document de travail, mardi 20 février 2018
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Introduction
1. Les déchets radioactifs de l’industrie électronucléaire
1.1 Caractérisation des déchets radioactifs
1.2 Répartition des déchets radioactifs par secteur économique en 2013
1.3 Déchets radioactifs de l’industrie électronucléaire
1.4 Les matières radioactives de l’industrie nucléaire

2. Production de déchets radioactifs par production d’électricité
2.1 Production annuelle de déchets nucléaires
2.2 Production annuelle de déchets nucléaires par unité de production d’électricité

3. Les déchets radioactifs dans les scénarios de RTE
3.1 La production d’électricité d’origine nucléaire des scénarios de RTE
3.2 La production annuelle de déchets radioactifs dans les scénarios de RTE
3.3 Les cumuls de déchets radioactifs dans les scénarios de RTE

4. Une comparaison aux prévisions de l’ANDRA
4.1 Les prévisions de l’ANDRA pour 2020 et 2030
4.2 Comparaison des prévisions de l’ANDRA aux valeurs calculées pour les scénarios de RTE

Conclusion

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2. PLUS DE NUCLÉAIRE POUR MOINS DE RÉCHAUFFEMENT ?

Le GIEC et le nucléaire
Bernard Laponche, in Imaginer l’inimaginable ou cultiver son jardin ?, Les Cahiers de Global Chance, n°37, juin 2015, p. 94-97
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• Le GIEC et le nucléaire... en français dans le texte
• Commentaire : le GIEC extrêmement prudent, voire très réservé

L’option nucléaire contre le changement climatique : risques associés, limites et frein aux alternatives
Yves Marignac & Manon Besnard, WISE-Paris, mardi 27 octobre 2015, 24 pages
Rapport commandé par Les Amis de la Terre, la Fondation Heinrich Böll, France Nature Environnement, Greenpeace, le Réseau Action Climat - France, le Réseau Sortir du Nucléaire et Wise Amsterdam
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Avant-propos
Introduction
Partie 1 ‐ Des risques indissociables du recours au nucléaire
1.1. La prolifération, menace occultée, majeure et persistante
1.2. Un risque réévalué et croissant d’accident nucléaire
1.3. L’accumulation des déchets, matières et sites

Partie 2 ­ - Une efficacité limitée sur la baisse des émissions
2.1. Des émissions de CO2 indirectes mais pas nulles
2.2. Des émissions évitées dépendantes du « mix »
2.3. Une contribution historique marginale à la maîtrise des émissions…
2.4. Un rôle énergétique et climatique en déclin
2.5. Un champ d’action restreint

Partie 3 - Un frein aux solutions les plus performantes
3.1. Les limites au volontarisme
3.2. Une dynamique tournée vers d’autres options
3.3. Le nucléaire, option non compétitive
3.4. Un levier d’action insuffisant
3.5. Une option non nécessaire
3.6. Un obstacle à la transition énergétique

Synthèse
Des risques irréductibles
Une efficacité limitée et déclinante
Un frein à la mise en œuvre d’une stratégie cohérente

Le nucléaire n’est pas une bonne réponse au réchauffement climatique
Yves Marignac, Reporterre.net, mardi 24 novembre 2015
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Méthode de calcul réaliste
Système énergétique productiviste
Contribution mineure

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pour aller plus loin...
CHANGER DE PARADIGME | LES DOSSIERS DE GLOBAL-CHANCE.ORG

Changer de paradigme...

Énergie, Environnement, Développement, Démocratie :
changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle

Global Chance, mai 2011

Les Dossiers de Global-Chance.org

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le clin d’œil du webmestre
1968-2018 : « JE SUIS POUR L’ÉCOLOGISME... »

Initialement publiée fin 2017 par Jean-Marie Brom sur son blog du Club Mediapart, la tribune « Hulot : la ligne rouge est franchie ? » n’a pu être mise en ligne sur Global-Chance.org qu’après un “sursaut” du ministre Nicolas Hulot sur la question du nucléaire en mars 2018 (*), sursaut très médiatisé mais à vrai dire bien peu crédible car toujours aussi imprécis en terme de modalités et d’échéances... Ce hiatus chronologique n’en rend que plus savoureuse l’écoute de la célèbre chanson « L’opportuniste », chantée par Jacques Dutronc... en septembre 1968 :

(*) Cf. Réduire le nucléaire : un objectif « irrévocable », selon Hulot (France 2 / Agence France Presse / La Chaîne Parlementaire – Assemblée nationale, 19 mars 2918) & Nicolas Hulot : « La fermeture de Fessenheim est le début d’un mouvement irréversible » (Bertille Bayart et Marc Cherki, LeFigaro.fr, 8 mars 2018).

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