Émission Terre à Terre – Colloque du 27 mars – Articles, liens et documents
Aux États-Unis ou en Angleterre, on les appelle whistleblowers, et ils sont protégés par des lois spécifiques. Simples citoyens ou scientifiques travaillant dans le domaine public ou privé, les "lanceurs d’alerte" sont ces personnes qui, confrontées à un fait pouvant constituer un danger potentiel pour l’homme ou son environnement, décident de porter ce fait à la connaissance de la société civile et des pouvoirs publics. Au nom de la défense de l’intérêt collectif et face au poids financier et politique des lobbies ainsi remis en cause, ils prennent le risque de voir leur vie professionnelle et personnelle affectée négativement...
qu’est-ce qui est sombre, l’avenir ou les précurseurs ?
« Qu’est-ce qui est sombre, l’avenir ou les précurseurs ? ». C’est la question posée par Ruth Stégassy à Benjamin Dessus, président de Global Chance, et Francis Chateauraynaud, directeur d’études à l’EHESS, dans le cadre de l’émission Terre à Terre (France Culture) du 12 avril 2008. Au cœur de leurs échanges, les lanceurs d’alertes et les systèmes d’expertise, dans le prolongement du colloque organisé sur ce thème par la sénatrice Marie-Christine Blandin et la Fondation Sciences citoyennes le 27 mars 2008.
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colloque « lanceurs d’alerte et systèmes d’expertise »
Présentation du colloque « Lanceurs d’alerte et systèmes d’expertise : vers une législation exemplaire en 2008 ? », organisé par Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord, et la Fondation Sciences citoyennes (Palais du Luxembourg, 27 mars 2008 ) :
Inscrite dans les conclusions du Grenelle de l’environnement, la proposition d’une loi instituant la protection des lanceurs d’alerte a été reprise dans le rapport de la Commission Lepage sur la gouvernance. On la trouve aussi dans celui de l’OPECST sur la pollution de l’air intérieur et l’expertise des éthers de glycol.
L’importance d’un tel dispositif apparaît enfin comme cruciale à la fois au regard des enjeux actuels de santé et d’environnement, mais aussi pour une meilleure prise en compte des avis et expertises contradictoires, composantes indissociables d’une démocratie forte. La France va ainsi rejoindre des pays comme les Etats-Unis ou la Grande Bretagne, qui ont une loi spécifique depuis plusieurs années. Il s’agit de définir un cadre de protection du lanceur d’alerte environnementale et sanitaire à travers une législation apportant au droit du travail et au droit de la diffamation les précisions nécessaires pour adapter leurs dispositions à ce nouvel enjeu.
Les lanceurs d’alerte doivent avoir la possibilité de faire examiner les hypothèses de danger pour l’homme ou son environnement, sans être subordonnés au devoir d’obéissance et au principe de hiérarchie ou au devoir de réserve, et ils doivent être mis à l’abri d’éventuelles représailles (licenciement abusif, procès, « mise au placard »). Quant à l’alerte, elle doit pouvoir elle-même être examinée de manière distanciée.
Mais pour être réellement efficace, ce dispositif juridique doit se replacer dans le contexte d’une loi réformant le système de l’expertise. Il faut protéger les personnes, mais il faut aussi protéger le processus d’expertise. Il importe de poser les principes du traitement effectif des alertes dans un cadre procédural rigoureux : Quelle voie pour faire remonter l’information ? Quels critères de recevabilité ? Quelles instances pour gérer ce type de dossiers ? Quel serait le rôle d’une Haute Autorité de l’Alerte et de l’Expertise en Santé et Sécurité Environnementale ? La déontologie de l’expertise doit également être clairement définie : conflits d’intérêt, autonomie par rapport aux pouvoirs politiques et économiques, procédure contradictoire et pluralisme, et délibérations, etc.
Source : programme du colloque (fichier pdf)
Articles, liens et documents
Alertes et expertises
Jacques Testart, Président de la Fondation Sciences citoyennes
La Décroissance, juin 2008
Les "lanceurs d’alerte" français en quête d’un cadre législatif protecteur
Paul Benkimoun
Le Monde, Mardi 1er avril 2008
Jacques Testart, Président de la Fondation Sciences citoyennes, La Décroissance, juin 2008
Certains citoyens viennent sur la place publique pour clamer qu’un danger menace la santé ou l’environnement. On les appelle « lanceurs d’alerte ». Ils sont souvent au premier rang de l’innovation (chercheurs, ingénieurs,…) ou de la production (ouvriers, paysans,…) mais parfois témoins par hasard (riverains, consommateurs,…). Leur alarme est systématiquement contrée par les institutions, industriels, commerçants qui estiment leurs intérêts menacés et utilisent alors tous les moyens pour faire taire le gêneur (menaces, harcèlement, mise au placard, licenciement, procès…). Et souvent ça marche ! Alors l’alerte s’éteint, chacun peut circuler, il n’y a plus rien à voir !
Mais il est des Cassandre obstinés et ceux-là vont connaître des temps difficiles : brebis galeuses dans leur entreprise sous prétexte de compétitivité, paranos pour leurs proches agacés par leurs « obsessions », ils se retrouvent isolés, conspués, parfois légalement condamnés…Le lanceur d’alerte n’est pas un plaignant ordinaire, il sert l’intérêt collectif. Il y a un siècle il y eut quelques vigiles pour s’inquiéter de l’amiante mais ils furent réduits au silence, ce qui vaut aujourd’hui pour 10 morts par jour ! De même, les plombages au mercure, qui concernent encore 70% des obturations dentaires, furent pourtant dénoncés depuis les années 80 par le Dr J.J. Melet, isolé et finalement suicidé, et il existe actuellement bien des lanceurs d’alerte pour des risques variés : excès de sel dans les aliments industriels, impacts des plantes transgéniques, hécatombe soudaine des abeilles, effets nocifs des champs électromagnétiques, pollution de friches industrielles, fragilité des installations nucléaires, potentiel eugénique des identifications par l’ADN,…
Une loi de protection des lanceurs d’alerte est à l’étude, afin que ne soit plus pénalisés ces vigiles nécessaires, mais elle est freinée par le patronat… Au delà de la légitime protection du citoyen qui alerte, il importe de prendre des dispositions contre le danger annoncé, ce qui exige d’abord que le risque soit confirmé et évalué. C’est pourquoi le traitement de l’alerte passe par l’expertise. Or, depuis que la recherche scientifique a été mise au service de l’industrie, les experts estimés les plus compétents sont aussi les moins indépendants… La Fondation sciences citoyennes demande la création d’une Haute Autorité de l’expertise et de l’alerte afin de parvenir à des analyses non influencées par des conflits d’intérêt, prenant en compte des savoirs variés, acceptant les vues contradictoires, et prenant place dans la transparence. La science marchandisée ne peut plus prétendre détenir seule la vérité car, dans ce monde incertain modelé par la recherche du profit, les risques imprévus augmentent en même temps que les pressions économiques se généralisent. Aussi, dans une réforme profonde de l’expertise, on devra laisser la place qu’ils méritent aux experts étrangers aux institutions ou à la politique de croissance, tels des militants d’associations contribuant à la connaissance et l’intelligence collective.
Les "lanceurs d’alerte" français en quête d’un cadre législatif protecteur
Paul Benkimoun, Le Monde, Mardi 1er avril 2008
Quel statut faut-il donner aux "lanceurs d’alerte" ? Scientifiques ou simples citoyens, ils subissent parfois des sanctions professionnelles pour avoir mis en garde contre un danger menaçant la santé ou l’environnement. La sénatrice (Verts, rattachée au groupe socialiste, Nord-Pas-de-Calais) Marie-Christine Blandin organisait, jeudi 27 mars, avec la Fondation Sciences citoyennes, un colloque au Palais du Luxembourg consacré à la législation à mettre en place pour les protéger.
Le Grenelle de l’environnement avait inscrit à l’unanimité dans ses conclusions la proposition d’une loi instituant la protection des lanceurs d’alerte. Ces derniers « sont devenus des acteurs centraux en matière de risque sanitaire », ont expliqué Marie-Christine Blandin et Jacques Testart, président de la Fondation Sciences citoyennes. Plusieurs lanceurs d’alerte sont venus témoigner des difficultés, tracasseries, voire du harcèlement qu’ils ont endurés depuis qu’ils ont donné l’alarme. « Il faut protéger l’alerte et protéger l’expertise », a plaidé le toxicologue André Cicolella.
Car la question de l’expertise scientifique, destinée à évaluer un risque éventuel, et de son indépendance à l’égard des intérêts particuliers, est naturellement soulevée. Dans le cadre de la mission sur la gouvernance écologique que lui avait confiée Jean-Louis Borloo, en charge du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (Medad), Corinne Lepage a rendu, le 1er février, un rapport sur l’information environnementale, l’expertise et la responsabilité. Elle fait douze propositions concernant les lanceurs d’alerte, qu’elle a rappelées lors du colloque.
L’information du public y est considérée comme un devoir, ce qui implique un « devoir d’alerte », accompagné de la création d’un « délit de rétention d’information quand le risque est avéré ». Un tel délit se serait appliqué aux cigarettiers qui disposaient d’études sur les dangers du tabac et les ont dissimulées.
Comment être sûr de la qualité de l’expertise, comment associer la société civile et comment gérer les conflits d’intérêts ? « Compte tenu des crédits alloués à la recherche publique », a indiqué Mme Lepage, on ne peut se passer des compétences existant dans le secteur privé, « mais il faut bien savoir qui parle » et pour qui un expert travaille. L’ex-ministre de l’environnement défend une « expertise pluridisciplinaire assise sur le débat contradictoire » et souligne l’importance des « tiers experts, qui n’ont pas de liens financiers ».
Il faut, selon Mme Lepage, formaliser le devoir d’alerte dans le cadre du travail et « organiser en interne une procédure qui permette de recevoir et de traiter l’alerte, ce qui suppose qu’il y ait une personne désignée » à cet effet dans l’entreprise. L’« externalisation de l’alerte » ne devrait alors se faire que dans deux cas : lorsqu’il n’existe pas de procédure interne sur le lieu de travail et lorsque l’alerte lancée n’a pas été traitée, dans un délai à déterminer. « L’absence de suites données à l’alerte peut entraîner la mise en cause de la responsabilité de la personne morale », a estimé l’ancienne ministre.
Elle prône également, lorsqu’une alerte a été lancée, la « suspension du risque de développement » qui permet à une entreprise de s’exonérer de sa responsabilité si elle a commercialisé un produit dont elle ignorait à ce moment-là la nature défectueuse.
Comme l’ont défendu plusieurs orateurs, Mme Lepage souhaite la création d’une Haute Autorité de l’expertise, qui aurait à charge de traiter les alertes externalisées du cadre du travail en respectant la confidentialité. Elle aurait à évaluer dans quelle mesure l’alerte ne résulte pas d’une volonté de nuire. En cas d’abus, « ce qui ne veut pas dire toute alerte infondée », a-t-elle précisé, la procédure relative aux dénonciations calomnieuses pourrait être utilisée. Le rapport Lepage suggère que la protection des lanceurs d’alerte s’inspire des dispositions de la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption, une suggestion là encore avancée par plusieurs orateurs lors du colloque.
« J’ignore le sort qui sera réservé à mes propositions et j’ai des inquiétudes quant à la dureté des réactions des représentants de l’UMP », a déclaré Corinne Lepage. Evoquant la refonte du Medad, Corinne Lepage a « le sentiment que l’espoir très ancien du ministère de l’équipement d’absorber l’environnement va devenir réalité ».
Marie-Christine Blandin a elle aussi fait part de ses craintes après avoir vu « le Grenelle de l’environnement se fracasser sur la majorité UMP lors du débat sur les OGM ». Selon les informations qu’elle a obtenues auprès du Medad, une loi-cadre traduisant le Grenelle de l’environnement doit être présentée par le gouvernement au cours du printemps, qui listera « tous les sujets à décliner ». La protection des lanceurs d’alerte en ferait partie, mais ne serait pas incluse dans les premiers textes législatifs que le gouvernement présenterait en juin-juillet.
Liens internet et documents de référence
Wikipedia : page « Lanceur d’alerte »
Francis Chateauraynaud : page officielle sur le site du Groupe de Sociologie Pragmatique et Réflexive de l’EHESS - page wikipedia
Fondation Sciences citoyennes : les lanceurs d’alerte scientifiques
Mission Lepage sur la gouvernance écologique : Rapport final 1ère phase remis fin janvier 2008 au ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables Jean-Louis Borloo