Mise en place en septembre 2011 par le ministre de l’Energie, Eric Besson, et présidée par le professeur d’université Jacques Percebois, la commission d’experts chargée d’examiner différents scénarios énergétiques à l’horizon 2050 [1] devrait rendre son rapport définitif le 13 février 2012. Benjamin Dessus et Bernard Laponche ont pu en examiner une version provisoire, datée du 18 janvier. Leur verdict est sans appel : le rapport en l’état « est un exercice de médiocre qualité, biaisé par des erreurs factuelles, des non dits, des hypothèses implicites et des omissions majeures, sans aucune analyse de cohérence, ni aucun recul par rapport aux études analysées. »
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Analyse critique de l’étude Commission Energies 2050 (pdf, 1 Mo)
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, document de travail, 27 janvier 2012, 30 pages
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Communiqué des auteurs & Table des matières
Revue de presse : « Des experts dénoncent les "erreurs" du rapport Énergie 2050 d’Eric Besson » (Marie-Caroline Lopez, La Tribune, 13 mars 2012)
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La manipulation nucléaire, communiqué de Global Chance, 13 février 2012
COMMUNIQUÉ DES AUTEURS
Le site Médiapart nous a demandé de faire l’analyse critique d’une version non encore définitive, mais manifestement très avancée et qu’il s’est procurée très récemment, du rapport de la Commission Energie 2050 mise en place par le ministre Eric Besson et qui doit lui être remise dans les jours qui viennent.
Cette version provisoire du rapport de la Commission Energie 2050 ainsi que notre analyse critique sont présentés aujourd’hui sur le site de Médiapart. Son article de présentation fait mention de plusieurs des critiques que nous apportons à ce rapport.
Les rapporteurs de la Commission se proposent d’examiner les différentes trajectoires possibles du système énergétique français d’ici 2050 en comparant des scénarios contrastés produits par différents acteurs. Il apparaît cependant très vite que la question centrale qui intéresse le gouvernement est celle de l’électricité et plus particulièrement la production d’origine nucléaire.
Le rapport est donc très marqué par une approche presque exclusivement « offre » de la question énergétique, avec une insistance permanente sur le « mix énergétique », considéré comme beaucoup plus important que la demande d’énergie, et bien évidemment la place de l’énergie nucléaire dans ce mix. Ce biais, manifeste dès le début du rapport, en réduit considérablement l’intérêt comme outil de prise de décision en matière de politique énergétique globale.
L’analyse du corps du rapport qui comporte 5 chapitres principaux nous conduit à mettre l’accent sur plusieurs points :
• Du point de vue méthodologique, l’étude exclut de façon incompréhensible l’analyse des seuls scénarios contrastés établis sur une base commune, ceux d’Enerdata, pourtant utilisés officiellement par le gouvernement dans les négociations européennes, au profit de notes et scénarios produits dans la hâte par des acteurs du nucléaire. Elle privilégie ouvertement l’analyse du seul mix électrique au détriment du système énergétique, laissant ainsi à l’écart les questions qui concernent 75% de l’énergie finale du bilan français, ne prend pas en compte les marges de manoeuvre ouvertes par les économies d’électricité et exclut corrélativement toute discussion sur le coût d’accès à ces mesures d’économie d’électricité.
• Elle réduit le concept de transition énergétique à la question des émissions de CO2 et fait l’impasse totale sur les risques environnementaux associés aux filières non fossiles, et très particulièrement nucléaires en faisant l’hypothèse que le suivi des recommandations du dernier rapport de l’ASN règlent définitivement ces questions.
• Elle réduit enfin le débat à la seule question du coût unitaire du kWh électrique associé à différents mix électriques, en « oubliant » que le coût pour l’usager et la collectivité dépend aussi des quantités d’électricité distribuées.
• S’ajoutent à ces critiques des erreurs factuelles telles que l’oubli du rôle prépondérant des économies d’énergie dans les scénarios bas carbone (450 ppm) de l’AIE , ou sur la définition même de grandeurs comme l’énergie primaire ou l’indépendance énergétique.
Nous considérons donc que le document dont nous disposons aujourd’hui est un exercice de médiocre qualité, biaisé par des erreurs factuelles, des non dits, des hypothèses implicites et des omissions majeures, sans aucune analyse de cohérence, ni aucun recul par rapport aux études analysées. Il distille ça et là des affirmations non étayées qui relèvent plus de partis pris ou d’opinions subjectives que de jugements objectifs. Cette complaisance et cette médiocrité méthodologique nuisent gravement aux conclusions qui sont ainsi suggérées, sinon proposées aux pouvoirs publics pour une politique énergétique à long terme de la France.
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, lundi 30 janvier 2012
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE ÉNERGÉTIQUE EUROPÉEN ET MONDIAL
2.1 SUR LA SITUATION ÉNERGÉTIQUE MONDIALE ET SES PERSPECTIVES
2.1.1 La répartition des sources et la question des ressources
2.1.2 La production mondiale d’électricité
2.1.3 Le scénario 450 ppm de l’AIE
2.1.4 La Chine
2.2 SUR LE CONTEXTE ÉNERGÉTIQUE EUROPÉEN : LE PAQUET ÉNERGIE-CLIMAT
ET LES PERSPECTIVES ÉNERGÉTIQUES EUROPÉENNES
CHAPITRE 3 : LES ENJEUX DU DEVENIR DU MIX ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS
3.1 LE MIX ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS ACTUEL
3.1.1 Erreurs et bizarreries
3.1.2 La dépendance énergétique de la France
3.1.3 Sur l’électricité
3.2 LA DEMANDE D’ÉNERGIE ET LES OBJECTIFS DE LA FRANCE
3.3 LE RISQUE NUCLÉAIRE
3.4 LES ÉNERGIES RENOUVELABLES
CHAPITRE 4 : UNE ANALYSE DE LA PROBLÉMATIQUE DU MIX ÉNERGÉTIQUE
FRANÇAIS À L’HORIZON 2050 A L’AUNE DES MODÉLISATIONS ÉTUDIÉES
4.1 ANALYSE DE LA DEMANDE ÉNERGÉTIQUE DES SCÉNARIOS (7 PAGES)
4.2 LA QUESTION DE L’OFFRE (13 PAGES)
4.3 IMPACTS SUR L’ENVIRONNEMENT ET LA FACTURE ÉNERGÉTIQUE
CHAPITRE 5 : LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DE L’ANALYSE
5.1 PERTINENCE DES SCÉNARIOS VIS-A-VIS DE PLUSIEURS QUESTIONS
5.1.1 La réduction de la demande
5.1.2 Les analyses de sensibilité
5.1.3 Les réseaux
5.1.4 La valeur du carbone
5.2 LES IDÉES FORCE QUI RESSORTENT DE L’ANALYSE DES SCÉNARIOS
5.2.1 Les technologies émergentes et les incitations publiques
5.2.2 La question des prix de l’énergie
5.2.3 La question de l’acceptabilité sociale des choix
5.2.4 La politique industrielle
5.2.5 La R&D
5.2.6 La combinaison de différentes énergies
5.3 LES CONDITIONS DE RÉALISATION ET LES IMPACTS GLOBAUX
5.3.1 Prolongation de la production du parc actuel
5.3.2 Accélération du passage à la génération 3 voire 4 de réacteurs nucléaires
5.3.3 Réduction progressive du nucléaire avec N/P de 40 à 50% 2050
5.3.4 Sortie complète du nucléaire en 2050
5.3.5 Tout est bien qui finit bien
CHAPITRE 6 : QUELQUES CONCLUSIONS
ANNEXE 1 : LE SCENARIO ÉNERGÉTIQUE DU GOUVERNEMENT
ANNEXE 2 : ANALYSE CRITIQUE DE L’ÉTUDE DE PROSPECTIVE ÉNERGÉTIQUE DE L’UFE
REVUE DE PRESSE
Des experts dénoncent les "erreurs" du rapport Énergie 2050 d’Eric Besson
Marie-Caroline Lopez, La Tribune, 13 mars 2012
Des biais méthodologiques, des erreurs factuelles et surtout des tours de passe-passe idéologiques au service de convictions pro-nucléaires. Les experts de l’énergie réunis au sein de l’association Global Chance n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer le rapport Energie 2050 publié en février par le ministre, Eric Besson.
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« Incompétence des auteurs ou mensonges ? On hésite face à la quantité d’erreurs factuelles de ce rapport. Personnellement, je penche pour un mélange des deux », déclare Bernard Laponche, polytechnicien, ancien ingénieur du CEA, ex-directeur général de l’Agence Française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), ancien conseilleur auprès de Dominique Voynet, lorsqu’elle était ministre de l’Environnement.
Pourtant, Eric Besson a réuni le gratin du monde de l’énergie en octobre 2011 pour « mener une analyse des différents scénarios de politique énergétique pour la France à l’horizon 2050 ». La Commission Énergie 2050, qui a rendu son rapport mi février, était présidée par Jacques Percebois, universitaire spécialiste de l’énergie et Claude Mandil, ancien directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie.
« Une régression méthodologique totale »
« C’est la première fois qu’une telle commission d’experts n’élabore pas ses propres scénarios et se contente de comparer les scénarios publiés, comme par hasard, dans les semaines qui ont suivi sa constitution, par les différents acteurs du nucléaire en France, le CEA, Areva, RTE, la filiale d’EDF, ou encore l’administration. C’est une régression totale par rapport aux pratiques gouvernementales précédentes », déplore pour sa part Benjamin Dessus, président de l’association Global Chance, ingénieur et économiste, ancien d’EDF, de l’AFME et du CNRS. Il connaît le sujet puisqu’il avait co-rédigé en 2000, à la demande du premier ministre Lionel Jospin, un rapport sur le même sujet, avec Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan, et René Pellat, Haut-Commissaire à l’énergie atomique à l’époque.
« L’auteur de la synthèse n’a pas lu le rapport ! »
« Percebois dirigeait les travaux et pourtant c’est Mandil qui a rédigé la synthèse en insistant sur la nécessité des économies d’énergie. Manifestement, il n’avait pas lu le rapport puisqu’il n’est pratiquement pas question d’économies dans ce rapport. Et c’est bien le problème », estime Benjamin Dessus.
« Ce rapport confond le système énergétique et la production d’électricité, qui ne pèse que 25 % de l’ensemble. Toute la problématique de la consommation et de sa maîtrise est évacuée », ajoute-t-il. « Le concept de la transition énergétique est réduit à la seule question de la diminution des émissions de CO2 », regrette-t-il. « Le seul endroit où on parle encore d’effet de serre, c’est dans le nucléaire, c’est symptomatique », ajoute-t-il.
« Les économies d’énergies discréditées »
« Lorsque les économies d’énergie sont évoquées, c’est pour les discréditer », regrettent les experts de Global Chance, en montrant du doigt certains passages comme : « Certains scénarios ne sont envisageables qu’au prix de révolutions dans les comportements individuels et sociaux, qui ne nous semblent ni crédibles, ni souhaitables. Il faudra certes adapter fortement nos comportements à de nouvelles contraintes, notamment pour économiser une énergie qui risque d’être chère et largement polluante, mais pas au prix de scénarios qui prônent la mise en œuvre d’une société autarcique et qui ne ferait que gérer la pénurie dans tous les domaines de la vie courante ».
Le rapport Énergie 2050 inclut, à tort, l’électricité nucléaire dans les « énergies primaires » (qui sont en fait les formes d’énergie disponibles dans la nature avant toute transformation) « ce qui lui permet d’affirmer que le nucléaire contribue à l’indépendance énergétique de la France », poursuit Benjamin Dessus. « Le gouvernement escamote l’uranium et le fait qu’on l’importe. On ne parle d’uranium que lorsqu’il y a des otages au Niger », assène Bernard Laponche.
Rendre obligatoires les expertises indépendantes
« L’autre dissimulation de Besson », selon Global Chance : le rapport ne tient pas compte des engagements officiels du gouvernement en matière de réduction de la consommation d’énergie ou de développement des énergies renouvelables. Enfin, une phrase hérisse particulièrement les experts de l’association anti-nucléaire : la recommandation numéro 3 de ce rapport, « s’interdire toute fermeture administrative d’une centrale nucléaire qui n’aurait pas été décidée par l’exploitant à la suite des injonctions de l’autorité de sûreté ». « Le pouvoir politique devrait s’emparer de la question de la sureté et ne pas s’en remettre à l’ASN, encore moins à l’exploitant évidemment, là c’est aberrant », commente Gobal Chance.
Qui en profite pour prêcher pour sa paroisse. « Le pouvoir politique doit rendre obligatoire des expertises indépendantes. Quand on fait une critique, comme aujourd’hui, d’un rapport, c’est écarté, considéré comme un acte militant. Ce n’est pas le cas en Allemagne, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne », estime les experts de Global Chance.
Marie-Caroline Lopez
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« La sûreté nucléaire posée comme sacrée pour mieux l’évacuer » [encadré]
Ce rapport considère la sûreté nucléaire « comme une nécessité incontournable, donc acquise. Le coup est assez fort. Les auteurs évitent ainsi de s’interroger sur la sûreté », affirme Benjamin Dessus. « Comme la sûreté est sacrée, on considère qu’elle est assurée. C’est de l’ordre de la croyance religieuse », ajoute-t-il.
Or, les experts de Global Chance sont très critiques sur la sûreté nucléaire. Après Fukuhsima, Jacques Repussard, directeur de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a déclaré qu’il fallait désormais « imaginer l’inimaginable ». « Outre l’impossibilité d’y arriver, cela signifie qu’il faut accepter l’idée qu’un accident comme Fukushima se produise », déclare Benjamin Dessus.
« Avant Fukuhsima, on considérait que tout était très bien au niveau des centrales françaises. La catastrophe japonaise a montré que des agressions extérieures nettement plus forte que prévues pouvaient survenir. L’Autorité de sureté nucléaire (ASN) a demandé que les centrales soient protégées en cas de séismes ou d’inondations de vigueur extraordinaire. Cela gomme toutes les questions qui se posaient avant, sur les centrales elles mêmes. C’est un tour de passe-passe », dénonce Bernard Laponche, en revenant sur les recommandations de l’ASN pour mettre le parc français à l’abri d’un scénario type Fukushima.
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