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Introduction et résumé par le mensuel Pour la Science
Article publié par le président de Global Chance
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INTRODUCTION ET RÉSUMÉ
En France, les discussions des politiques énergétiques se bornent à traiter de la part du nucléaire dans la production d’électricité. De plus, elles omettent l’importance des économies possibles d’électricité, et d’énergie en général.
L’essentiel
• Le débat public sur l’énergie n’a fait son apparition en France qu’il y a quelques mois, à l’occasion de la campagne pour les élections présidentielles. Selon l’auteur, il est biaisé par deux grandes omissions.
• D’une part, ce débat se focalise sur la production d’électricité, alors que l’électricité ne représente qu’un quart de l’énergie consommée. D’autre part, il ignore le rôle capital que peuvent jouer les économies d’électricité.
• Avec une politique volontariste d’économies d’électricité, divers scénarios deviendraient réalistes, dont celui de l’abandon de la filière électronucléaire d’ici 2030.
L’auteur
Benjamin Dessus, ingénieur et économiste, préside l’association Global Chance, composée de scientifiques s’intéressant aux enjeux environnementaux et prônant un développement mondial équilibré.
CHOIX ÉNERGÉTIQUES : UN DÉBAT BIAISÉ
Pour la première fois en France, un débat sur l’énergie s’est glissé dans la campagne pour l’élection présidentielle dès son début, en octobre 2011. Ce n’est pas trop tôt. Depuis 40 ans, de nombreux scientifiques soulèvent avec insistance, mais dans le désert, d’importantes questions non résolues quant à la production d’électricité par des centrales nucléaires : la possibilité d’un accident nucléaire majeur en Europe, la gestion des déchets radioactifs à vie longue, les risques de prolifération des armements nucléaires. Le secteur électronucléaire a en effet la particularité unique de créer, en même temps que de l’énergie utilisable, une série de produits radioactifs qui présentent des dangers majeurs et à très long terme.
Qu’est-ce qui a modifié la donne ? Les bons résultats aux élections européennes et régionales du parti Europe Écologie n’y sont pas pour rien, mais l’émergence du débat tient surtout au choc de l’opinion française devant l’accident nucléaire majeur de Fukushima, survenu dans un pays comparable au nôtre. Consciente de l’enjeu électoral, la majorité politique actuelle a engagé dès le printemps 2011 deux initiatives : une étude sur les coûts passés et futurs de la filière électronucléaire, confiée à la Cour des comptes, et la mise en place par le ministre de l’Industrie d’une « Commission Énergies 2050 » censée éclairer l’avenir énergétique de la France à long terme.
Sans attendre les résultats de ces divers travaux, le débat s’est introduit dans la campagne électorale, dès la « primaire » socialiste, à travers la question du nucléaire. C’est une bonne nouvelle, puisque les discussions atteignaient enfin la place publique et qu’elles ont incité la plupart des candidats à la présidentielle à prendre position – même si cela a révélé l’incompétence, dans ce domaine, de nombre d’intervenants et la duplicité de certains autres.
Il faut cependant souligner que la question du nucléaire n’est qu’une partie d’une question beaucoup plus vaste : celle de la « transition énergétique », une modification du système énergétique dans sa globalité qui s’impose aujourd’hui. Car l’enjeu est à la fois de permettre à tous les pays d’accéder à un niveau de développement équivalent à celui des sociétés industrialisées, de restreindre au mieux nos ponctions de ressources fossiles d’énergie (pétrole, gaz, charbon) et de diviser par deux les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) avant 2050, le tout sans faire de paris technologiques ni prendre des risques environnementaux inconsidérés. Hélas, les questions environnementales, qui étaient sur le devant de la scène politique et médiatique au temps du « Grenelle de l’environnement », préoccupent beaucoup moins aujourd’hui nos gouvernements. Ces derniers, dans un contexte de crise économique et financière, ont ainsi tacitement renoncé à l’ambition de maintenir le réchauffement planétaire au-dessous de deux degrés.
En France, persiste chez les élites politiques et médiatiques une malencontreuse et double simplification : celle qui consiste à assimiler les questions énergétiques aux seules questions de production, et la production d’énergie à la production d’électricité. Or pour y voir plus clair, ces trois thèmes sont à distinguer soigneusement. Il s’agit de penser l’énergie non plus seulement en termes de « mix de production » (les proportions de telle ou telle forme d’énergie dans la production totale d’énergie), mais en termes systémiques. Expliquons ce que cela signifie, après quoi nous présenterons et discuterons quelques-uns des scénarios énergétiques proposés.
La demande en énergie, un levier trop souvent oublié
Un système énergétique a pour fonction de mettre à la disposition d’une société donnée les services requérant de l’énergie, nécessaires aux besoins de l’ensemble de ses membres : alimentation, logement, éducation, santé, culture, mobilité, etc. Le décrire, c’est donc expliciter l’ensemble des liens entre ces besoins très divers et les ressources énergétiques, également très diverses, dont peut disposer cette société. L’optimisation économique, sociale et environnementale du système énergétique, sous diverses contraintes (ressources, effet de serre, risques d’accidents, déchets), suppose d’accorder autant d’importance à la maîtrise de la demande d’énergie qu’à celle de l’offre d’énergie. Or, comme on le fait trop souvent dans notre pays, en réduisant la question de l’énergie à celle de l’offre, on se prive de marges de manœuvre considérables. En effet, comparée à une augmentation de la production d’énergie, une limitation des besoins en énergie est souvent bien plus rentable économiquement pour la collectivité et les individus, plus juste socialement et plus sensée sur le plan de la protection de l’environnement.
Au niveau mondial, l’affaire semble entendue. Même l’Agence internationale de l’énergie (AIE), instance qu’on ne peut pas soupçonner d’être antinucléaire ou de militer en faveur de la décroissance, ne compte plus sur la seule augmentation de la production d’énergie pour assurer un accès aux services énergétiques pour tous sans catastrophe climatique. En témoigne son scénario « 450 ppm de CO2 », censé permettre à l’humanité d’éviter une grave crise climatique (en limitant la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone à 450 parties par million). Il repose sur l’adoption d’une dizaine de grandes mesures où les efforts sur la maîtrise de la demande d’énergie et l’efficacité énergétique représentent 54 pour cent de l’effort total de réduction des émissions de gaz à effet de serre, loin devant les énergies renouvelables (21 pour cent) ou le captage-stockage du CO2 dans le sous-sol, et très loin devant le nucléaire, lequel ne contribue que pour six pour cent au résultat.
La transition énergétique, avec ses exigences d’égalité d’accès aux services de l’énergie pour tous et l’indispensable prise en compte des limites physiques de notre planète, repose pour une bonne moitié sur la maîtrise de la demande d’énergie. Et pendant ce temps, le débat en France se focalise sur l’évolution du mix de production d’électricité... On note le grand décalage entre le débat français et la véritable problématique de l’énergie, décalage d’autant plus criant que l’électricité ne représente que 25 pour cent de la consommation totale d’énergie des Français – lesquels, comparés à leurs voisins, font un usage immodéré de l’électricité !
Ces évidences trop souvent oubliées méritaient d’être rappelées et soulignées.
Venons-en au débat français qui, après le choc de Fukushima, s’est limité dans la campagne électorale à la question : quelle proportion de l’électricité produite devrait représenter le nucléaire dans les 20 ou 30 années à venir, et comment l’atteindre ? À l’exception notable des écologistes partisans d’une sortie du nucléaire, tous les partis proposent des objectifs chiffrés en pourcentages du total de production d’électricité : maintien d’une proportion de nucléaire supérieure à 70 pour cent pour la majorité actuelle, repli à 50 pour cent en 2025 pour le Parti socialiste, etc.
De façon significative, les discours ne mentionnent jamais les quantités d’électricité auxquelles s’appliquent ces parts de marché. La France consommera-t-elle annuellement 500 térawattheures en 2030 comme aujourd’hui, ou 800 comme le proposent certains, ou encore 350 comme le proposent d’autres ? Et pour quoi faire ?
Quels scénarios pour l’électricité ?
Dès juin 2011, notre association Global Chance, pressentant que l’essentiel du débat français porterait sur la question d’une sortie du nucléaire à terme, publiait une première note de comparaison de deux scénarios très contrastés, en termes à la fois de besoins d’électricité et de mix de production.
Dans le premier scénario, on suppose la poursuite des tendances actuelles. Le besoin d’électricité pour la France en 2030 y est estimé à 523 térawattheures (il était de 516 térawattheures en 2009), avec un recours au nucléaire restant à peu près identique à celui que nous connaissons, sauf que des centrales de type EPR se substituent avant 2031 au parc actuel, jugé trop dangereux.
Le second scénario fait l’hypothèse d’une sortie du nucléaire et d’une politique volontariste d’économies d’électricité, en particulier dans les secteurs résidentiel et tertiaire. Ces économies reposent sur deux piliers principaux. D’une part, il s’agit d’augmenter l’efficacité des appareils électriques (électroménager, audiovisuel, éclairage, froid, etc.), qui représentent plus des deux tiers de la consommation électrique des secteurs résidentiel et tertiaire ; d’importantes réductions de la consommation d’électricité sont ainsi possibles, et à faible coût. Il s’agit d’autre part de supprimer progressivement le chauffage électrique à effet Joule, au profit de pompes à chaleur ou d’autres combustibles (bois, gaz naturel).
Dans ce second scénario, le besoin d’électricité tomberait alors à 340 térawattheures en 2030. La production d’électricité, en l’absence complète de nucléaire, y serait assurée par de l’électricité d’origine renouvelable et, très partiellement, par des turbines à gaz naturel (voir la figure 1).
Figure 1 - La production totale d’électricité en 2031 et sa répartition selon son origine, d’après le scénario « Sortie du nucléaire en 2031 » (en bleu) et d’après le scénario « EPR 2031 » (en rouge). Les valeurs sont en térawattheures (1 TWh = 109 kWh).
Depuis l’automne 2011, sont apparus de nombreuses notes ou scénarios, principalement élaborés par des groupes proches des producteurs d’électricité ou de l’industrie nucléaire (UFE, AREVA, CEA, RTE), qui mettent en scène des visions contrastées du mix électrique français et en discutent les vertus et les faiblesses. Seule l’Association négaWatt a publié à cette époque un scénario énergétique complet, qui ne se limite pas à l’électricité mais inclut toutes les autres demandes et offres d’énergie.
Les scénarios autres que ceux de négaWatt et de Global Chance ont une caractéristique commune : la demande d’électricité y constitue une donnée externe qui, dans la plupart des cas, est au moins aussi élevée qu’en 2010. Les économies possibles d’électricité y sont donc ignorées. Seule l’UFE (Union française de l’électricité) justifie cette position, mais à partir de considérations financières qui donnent des résultats erronés (voir l’encadré Le calcul des coûts des économies d’électricité plus bas).
La Commission Énergies 2050 s’est focalisée sur la comparaison de ces scénarios, sans chercher à en évaluer la cohérence interne et les limites. Elle est ainsi tombée dans le travers d’une confusion entre « système énergétique » et « mix électrique » en 2050, sans analyser ce qui détermine les demandes nationales d’énergie ou d’électricité.
La confusion entre optimisation du système électrique et optimisation du mix de production électrique a des conséquences importantes sur les résultats économiques des comparaisons. Dans le paradigme du « mix », on est tout naturellement conduit à donner un poids essentiel (aux côtés de critères physiques ou techniques, comme l’intermittence ou les émissions de CO2 mises en jeu) aux coûts de production du kilowattheure pour chacune des filières. La facture des ménages comme celle de la collectivité s’en déduisent aisément, les divergences des scénarios sur la demande électrique étant marginales.
Le nucléaire, un coût difficile à estimer
Pour la plupart des filières de production d’électricité arrivées à maturité, on connaît assez bien les coûts d’investissement des unités. Il en est de même pour l’éolien terrestre. Les fourchettes d’appréciation sont moins étroites pour le secteur photovoltaïque et l’éolien marin. Quant aux coûts des combustibles fossiles (charbon, gaz, etc.), les incertitudes sont telles qu’il semble prudent d’établir des fourchettes assez larges de coûts (à la hausse), en tenant compte de l’incidence du coût des émissions de CO2 associées (voir la figure 2).
Figure 2 - Les fourchettes de coûts vraisemblables pour les différentes filières de production électrique en 2031, hors nucléaire, en euros par mégawattheure. Le coût prévu pour le thermique classique tient compte d’une taxe sur le CO2 de l’ordre de 100 dollars (80 euros) par tonne.
La question du coût du kilowattheure d’origine nucléaire est bien plus difficile. En effet, il n’existe pas de marché international du nucléaire qui permettrait d’établir des coûts sur des bases statistiques sérieuses. Il faut donc se fonder sur des données nationales, qui sont très peu transparentes. C’est cette question controversée du coût actuel et futur de la filière électronucléaire que la Cour des comptes vient d’analyser, dans un rapport remis au Premier ministre le 31 janvier 2012. Les chiffres obtenus par cette autorité indiquent un coût actuel de production d’environ 50 euros par mégawattheure, qui devrait notablement augmenter dans le futur (voir l’encadré Ce que coûte et coûtera l’électricité d’origine nucléaire plus bas).
Dans l’esprit de la plupart des décideurs, on dispose dès lors de l’ensemble des données permettant de comparer le coût unitaire des différentes filières de production d’électricité, et donc celui des factures électriques, en tenant éventuellement compte des spécificités des réseaux de transport et d’électricité associés aux différents scénarios (les réseaux intelligents d’électricité ou smart grids, par exemple). Il en est de même pour les investissements à consentir.
Sur ces bases, il devient assez facile de classer les scénarios par ordre de mérite économique décroissant. C’est à cet exercice que la Commission Énergies 2050 s’est livrée. Elle a distingué trois grandes options. La première est de ne rien faire ou presque : se contenter de remettre aux normes les centrales nucléaires actuelles pour prolonger au maximum leur durée de vie, si possible à 60 ans (ce qui revient à accepter le risque d’un accident majeur). On évite ainsi à la fois d’avoir à construire un nouveau parc nucléaire, et on laisse à nos petits enfants plutôt qu’à nous ou à nos enfants la délicate question du démantèlement, dont on sait qu’il va coûter cher, sans que l’on soit en mesure de préciser la note.
La deuxième option considérée par la Commission Énergies 2050 est de remplacer le parc actuel à la fin de sa durée de vie par un parc de réacteurs de type EPR, réputés beaucoup plus sûrs. Enfin, la troisième option consiste à remplacer le parc actuel par des solutions à énergies renouvelables, complétées éventuellement par de l’électricité d’origine fossile.
La Commission Énergies 2050 conclut que la première option – ne rien faire ou presque – est celle qui coûte le moins cher. Ce n’est guère étonnant, puisque l’écart de coût entre le nucléaire ancien rénové (autour de 50 euros par mégawattheure selon son estimation) et les solutions à énergies renouvelables ou les réacteurs EPR va de 25 à 40 euros par mégawattheure selon les filières.
Mais l’étude de la Commission ne va pas plus loin : pas d’analyse des factures globales annuelles pour la collectivité et les ménages, pas d’analyse de scénarios se distinguant par la demande électrique, pas d’analyse des coûts d’économie d’énergie produits par l’UFE et par Global Chance. Il y a là une carence significative de l’ostracisme dans lequel est maintenue en France la question des économies d’électricité...
Quand on compare par exemple les scénarios « Sortie du nucléaire en 2031 » et « EPR 2031 » mentionnés plus haut, on constate en effet que ce sont les économies d’électricité qui donnent une justification non seulement physique, mais aussi économique, au scénario de sortie du nucléaire. Les coûts au kilowattheure de ces mesures d’économie sont nettement plus faibles en moyenne que celui du kilowattheure distribué à l’usager : ils sont de l’ordre de 9 centimes d’euro par kilowattheure économisé, tandis que le kilowattheure consommé coûte à l’usager environ 13 centimes. Les économies réalisées sur les quantités d’électricité à produire, à transporter et à distribuer constituent la part principale de l’avantage économique calculé.
Sortir du nucléaire en 2031 est possible
Dans le scénario « Sortie du nucléaire en 2031 », le coût du kilowattheure est certes supérieur de 20 pour cent, mais la facture globale (et donc celle des ménages) est inférieure de 25 pour cent. Une analyse de sensibilité au coût du nucléaire montre qu’avec un coût de 60 euros par mégawattheure, la facture annuelle dans le scénario « EPR 2031 » tomberait en 2031 à 63 milliards d’euros et se situerait en haut de la fourchette des coûts globaux annuels du scénario « Sortie du nucléaire en 2031 ». Il n’est ainsi pas sûr, d’un strict point de vue économique, que la stratégie de prolongation de la durée de vie du parc actuel soit la meilleure.
Au-delà du débat sur les chiffres, on voit bien apparaître le risque que fait courir une analyse du mix de production d’électricité sans se préoccuper du niveau de demande et de sa maîtrise.
Le débat énergétique de la campagne électorale est bienvenu dans un pays où il est resté confiné trop longtemps dans les seules sphères du pouvoir exécutif et de l’administration. Mais il faut prendre garde qu’il ne se réduise pas très vite au seul débat sur la production d’électricité et à des considérations purement économiques.
Deux ans après le sommet de Copenhague, un an après l’accident de Fukushima, les œillères de l’économisme productif risquent de nous faire oublier les enjeux principaux de la transition énergétique, et de nous inciter à poursuivre, par conservatisme méthodologique, de politiques inadaptées aux enjeux du long terme. Parmi ces enjeux et ces risques figure l’irréversibilité du nucléaire, qui laisse aux décennies futures, parfois lointaines, des coûts considérables que le calcul économique peine à prendre en compte.
Prenons garde enfin que la focalisation actuelle des principales forces politiques sur le débat économique n’ait pas aussi pour conséquence, voire pour fonction chez certains, de passer Fukushima par pertes et profits.
Benjamin Dessus, président de Global Chance
ENCADRÉS
Le calcul des coûts des économies d’électricité
Pour estimer l’intérêt d’un investissement d’économie d’énergie, la méthode la plus classique consiste à calculer un temps de retour de l’investissement, temps au bout duquel le surinvestissement dû au choix d’un appareil de meilleure qualité énergétique est remboursé par les économies financières associées aux économies d’énergie réalisées.
Prenons l’exemple d’un réfrigérateur haut de gamme (classe A++) dont le surcoût, par rapport au réfrigérateur standard (classe A), est de 100 euros, mais qui permet d’économiser 100 kWh par an, avec un tarif d’électricité pour le consommateur de 13 centimes par kWh. Le temps de retour de ce surinvestissement est de 100 / (100 x 0,13) = 7,7 ans.
Il existe une autre méthode de calcul, qui fait appel à la notion de « cumul actualisé des économies d’énergie » au cours de la durée de vie de l’appareil investi. L’introduction d’une préférence pour le présent par rapport au futur peut être traduite par le choix d’un taux d’actualisation. Si un taux de 10 pour cent est choisi par un acteur économique, cela traduit le fait qu’il lui est équivalent de disposer aujourd’hui d’un euro ou dans un an de 1/1,10 euro, ou dans deux ans de 1 / (1,10)exp.2 euro, etc. Dans cette logique, on calcule le cumul actualisé des économies annuelles réalisées pendant la vie de l’appareil pour déterminer un « coût d’investissement au kilowattheure cumulé actualisé (ou kWh cumac) ». Ce coût d’investissement est alors comparé au prix payé par l’acteur pour se fournir en électricité.
Dans l’exemple du réfrigérateur, le cumul actualisé des économies d’électricité sur 15 ans (durée de vie supposée de l’appareil) est égal à : 100 kWh (1 + 1/1,10 + 1/1,102 + ... + 1/1,1014) = 840 kWh. Il aura donc fallu investir 100 euros pour économiser 840 kWh cumulés actualisés, soit 120 euros par MWh cumac, ou 12 centimes par kWh cumac. Dans ce cas, la comparaison avec le tarif électrique (13 centimes) indique que l’investissement d’économie est rentable.
C’est à partir de ce type de calculs que l’UFE a élaboré un ordre de mérite des mesures d’économie d’électricité (voir le graphique 1). Mais ses résultats sont erronés. Sur l’exemple du réfrigérateur, l’UFE trouve, sans explications, un coût cumac de 960 euros par MWh, huit fois supérieur à la valeur obtenue plus haut et qui ne correspond pas aux coûts constatés sur le marché actuel.
Graphique 1 - Classement par ordre de mérite économique de quelques mesures d’économie d’électricité selon l’UFE et selon Global Chance. Les opérations dont le coût est inférieur au tarif de l’électricité (ligne horizontale) sont rentables.
Ce que coûte et coûtera l’électricité d’origine nucléaire
Le coût de l’électricité produite par le parc nucléaire français actuel, largement amorti puisqu’il a en moyenne 26 ans, est selon la Cour des comptes de 49 euros par mégawattheure, supérieur de 15 pour cent au coût officiel (42 euros).Mais les opérations de mise à niveau de la sûreté des réacteurs, indispensables à très court terme, et les opérations de jouvence nécessaires en cas de poursuite de l’exploitation du parc au-delà de 40 ans amènent la Cour à rehausser ce coût autour de 55 euros par mégawattheure.
La Cour signale cependant que ce coût est très sensible au coût réel des investissements post-Fukushima ; l’estimation de ce dernier lui apparaît comme minimale et ne prend en compte qu’une infime partie de l’assurance (quelques pour mille) contre un éventuel accident grave ou majeur qui pourrait se produire sur ce parc de réacteurs anciens, dont les cœurs et les enceintes de confinement ne peuvent être réhabilités.
Il est bien sûr très difficile d’estimer à la fois la probabilité d’un tel accident et le montant des dégâts. Sur les bases historiques d’occurrence d’accidents majeurs de réacteurs que nous avons constatés depuis 30 ans dans le monde (quatre accidents pour 470 réacteurs), l’indemnisation des 100 milliards d’euros de dégâts consécutifs à un accident majeur sur le parc français demanderait, pour constituer la cagnotte nécessaire,d’y affecter de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an, soit 3 euros par mégawattheure, tout au long de la durée de vie restante du parc.
Bien entendu, on peut espérer, mais sans en être sûr, que les probabilités d’accident en France soient très inférieures aux occurrences historiques mondiales. Mais, d’un autre côté, on sait qu’un accident tel que celui de Fukushima coûtera beaucoup plus que 100 milliards d’euros (l’IRSN prévoit de l’ordre de 600 milliards pour les trois réacteurs de Fukushima).
Globalement, il paraît raisonnable, compte tenu des incertitudes nombreuses que signale la Cour, de s’attendre à un coût de l’ordre de 60 euros par mégawattheure pour le parc de réacteurs actuel, si l’on souhaite (et si l’on peut, sans prise de risques trop importants) en prolonger la durée de vie de 10 à 20 ans.
En ce qui concerne la nouvelle génération de réacteurs PWR (les EPR) dont le coût d’investissement est beaucoup plus élevé que le parc ancien (3700 euros par kilowatt contre 1150 euros par kilowatt en moyenne pour le parc actuel), la Cour situe le coût du mégawattheure des premiers réacteurs dans une fourchette allant de 75 à 90 euros. Ce calcul ne tient pas compte d’un effet (à la baisse) d’apprentissage industriel éventuel pour les réacteurs suivants, qui d’ailleurs ne s’est pas produit historiquement (voir le graphique 2 ci-dessus). À l’inverse, le calcul n’intègre aucun surcoût dû au renforcement des exigences de sûreté consécutives à l’accident de Fukushima, ni de prime d’assurance contre le risque d’accident majeur. Il semble donc raisonnable de maintenir cette fourchette de coûts.
Graphique 2 - Évolution du coût d’investissement (en francs constants par kilowatt) de la filière électronucléaire française au cours de son histoire.
BIBLIOGRAPHIE
Les coûts de la filière électronucléaire, rapport de la Cour des comptes, janvier 2012 (disponible sur www.ccomptes.fr/fr/CC/Theme-290.html).
B. Dessus et B. Laponche, En finir avec le nucléaire. Pourquoi et comment, Seuil, 2011.
World Energy Outlook, Agence internationale de l’énergie, 2009 (rapport téléchargeable sur www.iea.org/textbase/nppdf/free/2009/weo2009.pdf).
J. M. Charpin, B. Dessus et R. Pellat, Étude économique prospective de la filière électrique nucléaire (pdf, 1 Mo), rapport au Premier ministre Lionel Jospin, La Documentation française, 2000.
À DÉCOUVRIR ÉGALEMENT SUR LE SITE DE GLOBAL CHANCE
(encadré = plus d’informations au survol)
Publications
L’énergie et les présidentielles : décrypter rapports et scénarios
Les Cahiers de Global Chance, n°31, mars 2012
Énergie : demain, « tous prod’acteurs » ?
Benjamin Dessus (interview), L’Âge de faire, n°62, mars 2012
Nécessités et limites des scénarios énergétiques
Benjamin Dessus et alii (entretiens), Les Amis de la Terre, jeudi 29 décembre 2011, 29 p.
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Fukushima : réactions en chaîne
(Tribunes, analyses, interviews, etc. : les réactions des membres de Global Chance face à la catastrophe nucléaire de Fukushima)
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(Rapports, analyses, tribunes, interviews, etc. : les propositions de Global Chance et de ses membres pour, enfin, sortir du nucléaire)[+