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• Thierry Charles, directeur général adjoint de l’IRSN : L’EPR ou le péché d’optimisme d’un « réacteur d’ingénieurs » (interview)
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L’EPR OU LE PÉCHÉ D’OPTIMISME D’UN « RÉACTEUR D’INGÉNIEURS »
Thierry Charles (IRSN), Le Monde, vendredi 28 juillet 2017
Thierry Charles, directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pointe « une perte d’expérience » dans la réalisation des grands projets nucléaires.
L’EPR est présenté comme un réacteur plus sûr. Qu’a-t-il de plus que ses prédécesseurs ?
Il marque indéniablement une avancée en matière de sûreté, avec des exigences renforcées. Sa conception prend en compte l’accident nucléaire majeur, la fusion du cœur qui s’est produite à Fukushima en mars 2011, à la fois pour en réduire la probabilité d’occurrence et pour en limiter les conséquences. Il possède notamment un dispositif de récupération et de refroidissement du corium, le magma à très haute température et extrêmement irradiant qui serait formé par le combustible et le métal fondus lors d’un tel accident. Il est aussi équipé de quatre systèmes de refroidissement indépendants et de moyens redondants pour refroidir la piscine d’entreposage du combustible usé. Et il est doté d’une « coque avion » pour faire face à la chute d’un avion.
Mais s’il est plus sûr, l’EPR est aussi plus puissant : 1 650 mégawatts (MW) électriques, cela correspond à une puissance thermique très élevée, de 4 500 MW, intrinsèquement moins favorable à la sûreté. Nous sommes en présence d’une vitrine de la course à la puissance : « l’A380 du nucléaire ». Cela ne va pas dans le sens de la simplicité technologique. Bien que les systèmes de sûreté puissent s’y adapter, il serait raisonnable de ne pas poursuivre cette course qui complexifie les installations et leurs systèmes de conduite et de sûreté.
Ce nouveau réacteur a été conçu dans les années 1990 par Areva et Siemens, rejoints par EDF et les électriciens allemands. Cette coopération a-t-elle été bénéfique ?
La conception de l’EPR a été longue et a permis des avancées majeures de sûreté, mais son caractère binational a impliqué des choix de technologies qui n’étaient pas utilisées en France. Ce qui a conduit à des difficultés de qualification de certains équipements, comme les soupapes du circuit primaire.
Il s’agit d’un réacteur novateur mais complexe, passé trop vite d’une longue phase de conception à la construction, alors que le projet industriel n’était pas suffisamment finalisé. Plus d’un millier de modifications ont dû être apportées en cours de réalisation, dans tous les domaines.
La mise en service de l’EPR de Flamanville, prévue en 2012, a été repoussée à fin 2018 et son coût est passé de 3,3 à 10,5 milliards d’euros. Comment expliquer ce dérapage ?
L’EPR est un « réacteur d’ingénieurs », bien conçu sur le papier mais dont la construction se révèle plus compliquée que prévu. EDF a péché par excès d’optimisme : le calendrier initial n’était tout simplement pas réaliste. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un prototype. En France, les délais de livraison des réacteurs précédents, de 1 450 MW, avaient atteint plus de cent cinquante mois.
La construction de l’EPR de Flamanville se termine. Les essais préalables au démarrage ont débuté, avec toutefois de possibles difficultés et donc délais supplémentaires. Les grands projets industriels ne sont jamais de longs fleuves tranquilles.
Il s’agit certes d’un prototype, mais de multiples problèmes ont émaillé le chantier de Flamanville…
Le lancement de ce nouveau modèle est intervenu dans un contexte de perte d’expérience de la maîtrise de grands projets nucléaires – les réacteurs du palier 1 450 MW ont été connectés au réseau voilà bientôt vingt ans –, à la fois pour la gestion industrielle de tels projets et pour certains savoir-faire. On l’a par exemple constaté avec les opérations de soudage du circuit primaire principal, qui ont été suspendues à plusieurs reprises entre fin 2014 et mi-2015.
De nombreuses non-conformités ont aussi été rencontrées, comme le manque d’armatures dans certaines parties du radier en béton [le socle] de l’îlot nucléaire. Plus récemment, l’excès de carbone décelé dans l’acier des calottes de la cuve a montré une insuffisante maîtrise des procédés de fabrication. Notons quand même que la détection de ces anomalies montre l’efficacité du contrôle interne et externe.
L’EPR n’est-il pas « victime » du renforcement des exigences de sûreté ?
Les attentes sont aujourd’hui plus fortes dans le domaine de la justification de la sûreté nucléaire et de son contrôle, en lien avec l’évolution de la société et sa demande de transparence. Raison de plus, pour cette filière industrielle, de retrouver une compétence qui s’est émoussée faute de réalisations, de s’adapter à ce nouveau contexte et d’en tirer tous les enseignements.
Propos recueillis par Pierre Le Hir
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