« Les citoyens veulent monter l’escalier environnemental marche par marche »

, par   Pierre Radanne

Alors que l’urgence économique et sociale a relégué au second plan dans l’opinion française les questions d’environnement, d’énergie et plus largement de changement climatique, le travail pédagogique de fond n’est pas réalisé par les acteurs politiques, administratifs et économiques, qui se contentent de prendre des décisions d’urgence. La France souffre donc aujourd’hui d’un manque de vision globale sur la transition écologique et environnementale, dans un contexte où le débat public reste très politique et très centralisé. Or les évolutions ne peuvent se décréter de haut en bas, à coups d’injonctions : les diktats culpabilisateurs ne marchent pas et ne font que déclencher des résistances sporadiques, voire systématiques. Pourtant, la société est capable de procéder à des changements, mais à condition que ces derniers passent par l’appropriation, et non par un volontarisme politique asséné qui, au fond, ne règle pas grand-chose...

Page publiée en ligne le 19 avril 2014

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« Les citoyens veulent monter l’escalier environnemental marche par marche » (Pierre Radanne)
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« LES CITOYENS VEULENT MONTER L’ESCALIER ENVIRONNEMENTAL MARCHE PAR MARCHE »

Pierre Radanne (interview), Libération, lundi 17 mars 2014

Pour Pierre Radanne, spécialiste de la lutte contre le changement climatique, la pédagogie est plus efficace que les règlements imposés.

Ex-patron de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Pierre Radanne dirige le bureau d’études Futur Facteur 4.


Quels enseignements tirer de cette première journée de circulation alternée en France depuis dix-sept ans ?

L’urgence économique et sociale a relégué au second plan dans l’opinion française les questions d’environnement, d’énergie et plus largement de changement climatique. Le travail pédagogique de fond n’est pas réalisé par les acteurs politiques, administratifs et économiques, qui se contentent de prendre des décisions d’urgence. Sur la durée, les citoyens ont du mal à les suivre, même s’ils ont bien compris l’urgence de la lutte contre la pollution de l’air. Bien sûr, les Français concernés par la circulation alternée ont joué le jeu, mais de façon subie. Or, on aurait pu anticiper ce qui se passe. La marge de progression reste énorme.

Pourquoi la France souffre-t-elle d’un manque de vision globale sur la lutte contre la pollution et, au-delà, sur la transition énergétique et environnementale ?

Parce que le débat public, en France, reste très politique et très centralisé. Il faut attendre que la machinerie administrative centrale se mette en branle pour que les acteurs territoriaux et de proximité agissent. Le mouvement est donc systématiquement plus lent que dans les autres pays européens. Le retard français sur cette question trouve aussi sa source dans un déficit chronique de sensibilisation, d’information et d’acculturation à l’échelle locale.

Fiscalité toujours favorable au diesel, suspension de l’écotaxe qui aurait pu financer des alternatives de mobilité moins polluantes, hausse de la TVA sur les transports publics… La France marche-t-elle à reculons dans la lutte contre la pollution ?

Les évolutions ne peuvent se décréter de haut en bas, à coups d’injonctions. Sinon, on se trouve face à des résistances sporadiques, voire systématiques. Quand on ne mobilise pas tous les acteurs locaux, cela ne peut pas marcher. Lors du débat sur la transition énergétique, l’ex-ministre de l’Environnement, Delphine Batho, avait organisé des débats citoyens en régions. Les participants disaient : « Si vous imposez des réglementations comminatoires, si vous voulez tout résoudre par un effet prix ou taxes, cela ne marchera pas. Mais accompagnez-nous dans nos vies, dans nos villes, nos entreprises, aidez-nous à nous prendre en charge, à repenser les transports collectifs, les énergies renouvelables, etc. »

La formule qui fonctionne, c’est l’information, l’accompagnement, l’accès à l’expertise, certes associés à des règlements, mais progressifs. Les citoyens demandent à monter l’escalier environnemental, mais marche par marche, en fonction de leur capacité à réaliser des choses. Les diktats ne marchent pas.

La société française serait donc sensible à la nécessité de procéder à des changements ?

Oui, mais à condition que cela passe par l’appropriation, pas par l’imposition ou la culpabilisation, surtout si celles-ci accentuent les inégalités sociales. Les pays où cela se passe le mieux sont ceux où la décentralisation se double de réels moyens et de compétences laissés aux collectivités locales et territoriales pour organiser les transitions. En Ile-de-France, on voit bien qu’il existe des disparités incroyables en matière de transports collectifs. Le réseau est remarquable à Paris, déficient en périphérie. Difficile, dans ces conditions, d’imposer un péage urbain, sauf à faire payer encore plus ceux qui vivent loin du centre. Si Londres a pu le systématiser, c’est précisément parce que le maillage de transports en commun du Grand Londres est beaucoup plus équilibré. Le Grand Paris permettra d’avancer, mais le retard accumulé par rapport à de grandes métropoles, même dans les pays en développement comme le Brésil, est considérable.

Pourquoi un tel déficit d’action et d’anticipation politique ?

Le problème dépasse ce seul cadre. La société française débat mal avec elle-même. La conscientisation et la compréhension des sujets urgents existent, mais elles ne se transcrivent pas en capacité d’action. La France, contrairement à l’Allemagne, n’a pas la culture de la transition. Avec des choix, des cheminements, un agenda collectif à court et moyen terme, un an, cinq ans ou dix ans. Notre culture de l’unilatéral se traduit par un volontarisme politique asséné qui, au fond, ne règle pas grand-chose. Qu’a donné, vraiment, le Grenelle de l’environnement, à part l’évocation de chiffres à long terme, de tendances à atteindre, sans souci des modalités, essentielles, de mise en œuvre ? Le passage à l’action n’a pas eu lieu…

Propos recueillis par Christian Losson

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