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• Benjamin Dessus : Pourquoi et comment sortir du nucléaire ?
• Pour aller plus loin : Changer de paradigme / Les Dossiers de Global-Chance.org
POURQUOI ET COMMENT SORTIR DU NUCLÉAIRE ?
Benjamin Dessus, Alternatives Économiques, lundi 13 février 2017
La France est dans une situation unique de dépendance vis-à-vis du nucléaire : elle en tire 75 % de sa production d’électricité, fournie par un parc de 58 réacteurs. Construits pour la plupart dans les années 1970-1980, la moitié d’entre eux auront atteint avant 2025 quarante années de fonctionnement, la limite d’âge pour laquelle ils ont été conçus. Ces réacteurs présentent les mêmes types de risques que ceux de Fukushima, avec des probabilités d’accident majeur qui augmentent avec le vieillissement des matériels.
Face à cette situation, EDF s’obstine dans sa politique du « tout nucléaire ». Le groupe veut d’une part prolonger la durée de fonctionnement de l’ensemble des réacteurs actuels, opération risquée pour la sûreté nucléaire et d’un coût estimé à une centaine de milliards d’euros. Et il veut d’autre part remplacer les installations en fin de vie par de nouveaux réacteurs de type EPR, dont le prototype de Flamanville accumule les retards, les problèmes techniques et de sûreté, avec notamment des pièces défaillantes au niveau de la cuve. L’estimation du coût de l’EPR s’élève déjà à 10,5 milliards d’euros, au lieu des 3 milliards initialement prévus.
Contre toute logique, la France s’entête
La France se distingue enfin par le choix du retraitement des combustibles irradiés. Cela se traduit par la croissance continue d’un stock de plutonium (le combustible des armes nucléaires) et de près de 100 000 m3 de déchets à très haute activité et longue durée de vie pour lesquels aucune solution satisfaisante à long terme n’existe. En particulier, le projet actuel de stockage souterrain irréversible à grande profondeur.
Les deux entreprises en charge de cette situation délicate sont en grande difficulté financière. Areva est en situation de faillite. De son côté, EDF, plutôt que de se concentrer sur la production domestique d’électricité (nucléaire ou non), s’aventure dans l’investissement et la livraison clés en main de deux réacteurs EPR au Royaume-Uni, une opération à hauts risques alors que l’émergence même de la filière EPR reste douteuse.
Contre toute logique, les pouvoirs publics et la majorité des candidats à la présidentielle continuent de prôner la poursuite d’une politique nucléaire volontariste en s’appuyant sur un discours incantatoire. Les expressions « indépendance énergétique », « excellence française », « Areva géant du nucléaire ou fleuron industriel », « marché international en expansion » font encore florès dans les discours de campagne mais ne font plus illusion : la France n’a exporté que 11 réacteurs depuis 1970 et, aujourd’hui, la capacité nucléaire mondiale est en phase de décroissance ; l’uranium n’assure pas l’indépendance énergétique de la France, celui-ci étant entièrement importé (essentiellement du Niger et du Kazakhstan) ; le parc nucléaire est menacé par la découverte d’anomalies et de falsifications dans des équipements vitaux, tandis que l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) déclare qu’un accident de type Fukushima est possible en France ; Areva, au bord de la faillite, ne peut être (provisoirement) sauvé que par des milliards d’aide d’État…
Pendant ce temps, les filières d’électricité renouvelables (éolien, photovoltaïque, biomasse, etc.) se développent partout dans le monde, avec une constante chute des coûts, sur des marchés en très forte croissance. Elles entrent aujourd’hui en compétition en Europe avec les centrales à combustibles fossiles et, plus encore, avec les centrales nucléaires dont les coûts ne cessent de déraper. Dans ce paysage nouveau et avec l’exigence d’une division par deux de la demande énergétique nationale d’ici 2050 qu’impose la loi de transition énergétique et dont l’électricité ne saurait s’exonérer totalement, les scénarios de substitution rapide du nucléaire par les énergies renouvelables nationales deviennent tout à fait réalistes.
Une feuille de route pour sortir de l’atome
Pour sortir du nucléaire, il faudrait simultanément programmer dès maintenant la fermeture des réacteurs au fur et à mesure de l’atteinte de leur limite d’âge au cours des vingt prochaines années. Il faudrait également engager une politique – actuellement inexistante – d’économies d’électricité avec des objectifs chiffrés ambitieux et réalistes à court et moyen terme (-20 % en 2025, -25 % en 2030), ce qui détendra la contrainte de production. Mais aussi accélérer et réaliser à grande échelle la rénovation énergétique des bâtiments. Se décider, enfin, à considérer le développement des énergies renouvelables comme une opportunité majeure, du point de vue de l’emploi, de l’indépendance nationale, du développement des territoires, de l’environnement et de la sécurité.
Les 100 milliards d’euros nécessaires pour tenter de prolonger l’existence du parc nucléaire d’une dizaine d’années seront bien utiles pour aborder résolument cette révolution électrique qui se développe partout ailleurs, autour de l’efficacité, des réseaux intelligents et des renouvelables.
Réussir la transition des emplois
Comme dans toute transition industrielle, la question des emplois est cruciale. Ce sont les personnels qui font tourner les centrales et ceux chargés du retraitement et de la fabrication du combustible qui sont les premiers concernés. L’important est d’anticiper et d’établir, en négociation avec les syndicats, un plan d’ensemble et un calendrier prévisionnel d’évolution et de reconversion du personnel sur les 20 ans qui viennent : départs à la retraite, formation, maintien sur place pour les opérations de fermeture et de démantèlement, reconversion vers les filières renouvelables, etc.
C’est un problème sérieux mais qui concerne une population de niveau technique élevé, exerçant en grande majorité dans des spécialités très recherchées dans le secteur des énergies renouvelables (mécanique, électronique, informatique, thermique, électricité) et plus généralement de la transition énergétique.
Ne pas prendre en main dès maintenant cette transition indispensable risque fort de conduire dans quelques années à un abandon brutal et désordonné du nucléaire, sous la pression des réalités économiques (et a fortiori en cas d’accident majeur en Europe) dans les pires conditions d’impréparation, à la fois pour notre sécurité électrique et pour les travailleurs de la filière nucléaire.
Benjamin Dessus
Ingénieur et économiste, fondateur de l’association Global Chance.
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