La loi sur la transition énergétique prévoit une division par deux de la consommation finale d’énergie française en 2050, avec une baisse intermédiaire de 20% en 2030, soit une diminution de l’ordre de 15% en 2025, échéance à laquelle, toujours selon la loi sur la transition énergétique, la part de l’électricité nucléaire dans la consommation électrique nationale ne devra pas dépasser 50%, contre plus de 75% aujourd’hui. Dans un contexte caractérisé par la stabilisation de la demande électrique depuis plusieurs années, par l’essor confirmé de la production d’origine renouvelable, et par un niveau d’exportation nette d’électricité record et sans perspective crédible d’augmentation, la réalisation simultanée de ces différents objectifs de la transition énergétique ne semble a priori guère s’envisager sans programmer la fermeture d’une partie du parc nucléaire - une vingtaine de réacteurs selon la Cour des comptes. Une perspective sacrilège pour EDF, peu disposée à voir révélé le coût réel de démantèlement d’une centrale nucléaire, et qui propose donc aujourd’hui de maintenir la puissance du parc nucléaire à son niveau actuel, quitte à en « moduler » l’usage pour compléter chaque fois que nécessaire la production renouvelable quand celle-ci, intermittente, viendrait à manquer. Une “stratégie” hasardeuse sur le plan de la sûreté des installations... et désastreuse sur le plan économique !
Il sera toujours temps, passé 2018, d’expliquer au prochain président de la République que le maintien du couperet des 50% n’est pas possible, bien malgré EDF, dans une période si difficile pour le portefeuille des consommateurs. Et on pourra toujours spéculer sur le coût réel de démantèlement d’une centrale nucléaire puisqu’on en aura soigneusement évité l’expérience…
Le propos tenu dans Les Échos du 19 février (1) par Stéphane Feutry, délégué à l’état-major à la Direction de la production nucléaire d’EDF selon lequel « le parc nucléaire a toujours su faire de la modulation, mais ce qui change avec l’intermittence des énergies solaire et éolienne, c’est que nous avons besoin de faire varier davantage de réacteurs en même temps » vient éclairer très utilement l’une des déclarations de son président qui a particulièrement retenu l’attention deux jours plus tôt : « Notre parc, disait-il, doit continuer de fonctionner au niveau actuel. La puissance globale de 63 gigawatts (2) est un plafond, mais aussi un plancher » (3).
On pouvait en effet légitimement se poser la question de la compatibilité de cette déclaration du président d’EDF avec les prescriptions de la loi sur la transition énergétique : division par deux de la consommation finale d’énergie en 2050, sa chute de 20% en 2030 (et donc une diminution de l’ordre de 15% en 2025), et la limitation à 50% du nucléaire dans la consommation électrique française en 2025.
Comment y parvenir alors que le nucléaire contribue aujourd’hui à plus de 75% de la consommation intérieure française ? Il faudrait en effet une augmentation de cette consommation de 50% en 2025 à laquelle personne ne croit pour y parvenir sans toucher à la production nucléaire actuelle (440 TWh). Elle stagne en effet depuis plusieurs années comme le montre la figure 1 et évoluera, selon RTE, de plus ou moins 0,16%/an en France dans les années qui viennent, malgré les nouveaux usages de l’électricité régulièrement invoqués pour justifier un retour à la hausse (4) ; quant au bilan exportations/importations d’électricité (62 TWh en 2015), il est limité par la capacité des lignes transfrontalières mais aussi par la surcapacité croissante en Europe qui entraîne la chute des prix de gros (de 60 €/MWh en 2012 à 26 €/MWh actuellement).
Figure 1 :
Il faudrait donc logiquement fermer des réacteurs, une vingtaine selon la Cour des Comptes.
C’est hors de question pour EDF qui propose de maintenir la puissance du parc nucléaire à son niveau actuel et de l’utiliser chaque fois que nécessaire comme roue de secours de l’électricité renouvelable quand celle ci, intermittente vient à manquer. Un prêté pour un rendu, en somme, de ce qui se passe aujourd’hui où notre parc nucléaire, bien incapable de se débrouiller tout seul aux périodes de pointes de consommation électrique appelle les barrages hydroélectriques et les centrales à combustibles fossiles à la rescousse !
Mais pour cela il faut rendre rapidement modulable la production de cet énorme outil qu’est un réacteur nucléaire. EDF le fait déjà à petite échelle et à grand peine depuis plusieurs années sur une partie de son parc. C’est peut-être faisable à plus grande échelle même si c’est très délicat, mais cela contribue à fragiliser les gaines de combustible et la cuve du réacteur soumis à des variations mécaniques et thermiques importantes et beaucoup plus fréquentes qu’en fonctionnement continu. En déclarant que « moduler la production nucléaire oblige à un peu plus de maintenance, parce que les robinets ou les tuyaux sont un peu plus sollicités. Mais on est dans l’épaisseur du trait » Stéphane Feutray va donc un peu vite, comme s’il s’agissait d’un vulgaire problème de robinets. Il en va en fait de la sûreté de réacteurs vieillissants puisque la moyenne d’âge de 30 d’entre eux atteint 34 ans cette année. Que penserait-on d’un accident majeur survenant « dans l’épaisseur du trait » ?
Et puis, à supposer, ce qui est loin d’être acquis, que cette pratique se généralise sans risque de fausse manœuvre dangereuse ni augmentation des risques d’accident majeur par dégradation accélérée des caractéristiques de résistance de l’installation, reste un problème économique de taille que Bernard Salha le directeur des Études et Recherches d‘EDF éclipse en déclarant simplement que « cette manœuvrabilité permet de limiter les pertes de production ».
En effet, si le nucléaire doit satisfaire dans une proportion importante aux besoins complémentaires d’électricité renouvelable au point de ne plus représenter que 50% de la consommation, il ne produira plus, globalement (solde des exportations comprises), que 310 TWh environ (5) contre 440 aujourd’hui, une chute de production de plus de 40%. C’est dire que le nombre d’heures moyen d’appel au parc nucléaire actuellement de 7100 heures/an devra descendre autour de 5000 heures par an.
Cette chute du taux de charge aura des conséquences majeures sur le coût de production nucléaire. Le poids de l’amortissement des investissements initiaux, des investissements de maintenance et des frais fixes d’exploitation (en particulier de personnels), voisin de 90%, rend en effet le coût du MWh extrêmement sensible au taux de charge annuel du parc comme le montre la courbe ci dessous.
Le coût au MWh du parc après « Grand carénage » estimé par la Cour des comptes entre 63 et 70 € sur la base du taux de charge annuel actuel pourrait ainsi subir une augmentation de 35% et atteindre de 85 à 96€.
C’est donc une proposition à la fois très risquée du point vue de la sûreté et désastreuse du point de vue économique que suggère EDF en faisant semblant de croire qu’elle pourra sortir du dilemme de réduction du parc à laquelle elle est confrontée du fait de la loi sur la transition énergétique en venant généreusement au secours des énergies renouvelables intermittentes.
EDF nous a longtemps expliqué, pour justifier l’ampleur de son parc nucléaire, que les énergies renouvelables électriques exigeaient du fait de leur intermittence de se voir adossées de capacités équivalentes d’électricité thermique à combustibles fossiles, ruineuses et très émettrices de gaz à effet de serre. Aujourd’hui que ces énergies deviennent compétitives par rapport au nucléaire, EDF fait le dos rond avec un discours plus conciliant vis-à-vis de ces énergies et leur propose même un projet d’alliance présenté comme gagnant-gagnant.
Il sera toujours temps, passé 2018, d’expliquer au prochain président de la République que le maintien du couperet des 50% n’est pas possible, bien malgré EDF, dans une période si difficile pour le portefeuille des consommateurs. Et on pourra toujours spéculer sur le coût réel de démantèlement d’une centrale nucléaire puisqu’on en aura soigneusement évité l’expérience…
Benjamin Dessus Président de l’association Global Chance
(4) En France par exemple, l’introduction de 2 millions de véhicules électriques dans le parc avant 2025, évidemment bien improbable (il n’en existe que 40 000 aujourd’hui) n’entraînerait qu’une augmentation de consommation de 5 ou 6 TWh d’électricité et celle d’un million de pompes à chaleur en remplacement de chaudières fioul (actuellement au nombre de 2,4 millions) également improbable avec le prix du fioul actuel une augmentation 6 à 8 TWh, au total moins de 3% de la consommation actuelle.
(5) Dans l’hypothèse d’une consommation intérieure de 500 TWh en 2025, en augmentation de 5% par rapport à 2015.
Le crépuscule du nucléaire Yves Marignac, Politis, hors-série n°63, « Crise climatique : Les solutions pour en sortir », novembre-décembre 2015, pp. 28-29
Nucléaire français : l’impasse industrielle Le poids du pari industriel nucléaire de la France à l’heure de la transition énergétique Yves Marignac & Manon Besnard, WISE-Paris, Rapport commandé par Greenpeace France, mardi 23 juin 2015, 72 pages
L’échéance des 40 ans pour le parc nucléaire français Processus de décision, options de renforcement et coûts associés à une éventuelle prolongation d’exploitation au delà de 40 ans des réacteurs d’EDF Yves Marignac, Wise Paris, 22 février 2014, 171 pages
Sûreté nucléaire en France post-Fukushima Analyse critique des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) menées sur les installations nucléaires françaises après Fukushima. Arjun Makhijani et Yves Marignac, Rapport d’expertise, lundi 20 février 2012