Page publiée en ligne le 20 avril 2015
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• Nucléaire : « bon sens économique » contre sûreté du parc ? (Benjamin Dessus)
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NUCLÉAIRE : « BON SENS ÉCONOMIQUE » CONTRE SÛRETÉ DU PARC ?
Benjamin Dessus, Le Club Mediapart, mercredi 8 février 2012
Que nous dit en effet la Commission énergie 2050 mise en place par Eric Besson et dont l’ensemble des ONG d’environnement avait dénoncé l’objectif et la méthodologie au point de refuser d’y participer ?
Que tous comptes faits, la meilleure solution pour la France nucléaire c’est de ne rien faire ou presque, continuer comme avant, prolonger la durée de vie de nos centrales de 20 ans… On verra bien ce qu’on fera après. Cela suppose évidemment de faire un sort à la question de la sûreté du parc existant dont la Commission rappelle que c’est une « condition incontournable ». Tellement incontournable que le plus simple est de n’en plus parler. Au point de ne plus porter la moindre appréciation comparative sur les risques nucléaires de scénarios aussi différents qu’un scénario de sortie accélérée du nucléaire, de prolongation pendant 20 ans du nucléaire actuel, ou d’une solution tout EPR. La sûreté n’est plus un paramètre du choix puisque par hypothèse elle est acquise.
La Cour, de son côté, calcule avec soin les coûts d’investissements passés du parc actuel de réacteurs et celui du réacteur EPR, conçu pour remplacer éventuellement les réacteurs de ce parc vieillissant. En euros 2010 la Cour reconstitue un coût d’investissement tout compris de 1160 €/kW en moyenne pour les réacteurs du parc actuel : pour les premiers, les plus simplets, 900 €/kW et pour les derniers, les plus sophistiqués, un coût de 1260 €/kW.
Par contre pour l’EPR tête de série, on saute brutalement à 3700 €/kW, avec l’espoir, ténu si l’on se réfère au passé (1), de faire chuter ce coût vers 3100 €/kW si on en fait une série suffisante.
Cela paraît bien normal : il n’y a aucune comparaison entre des réacteurs vieux de trente ans, complètement dépassés en termes de sûreté, de disponibilité, de rendement, et notre moderne EPR. Non seulement, nous dit-on celui-ci peut produire près de 15% d’électricité de plus par MW installé (avec un meilleur rendement et une disponibilité supérieures), mais il est 10 fois plus sûr que nos vieux réacteurs !
D’accord se dit-on, la leçon de Fukushima a porté, cela vaut la peine de payer deux fois plus cher pour prendre 10 fois moins de risques, les 573 premières victimes recensées comme « liées au désastre de Fukushima » (2) ne seront pas mortes pour rien.
Et puis la Cour, estime, à partir des chiffres donnés par EDF, ce que coûterait la réhabilitation de ce parc de vieux réacteurs, pour en prolonger la vie d’une vingtaine d’années dans des conditions de sûreté suffisantes, de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire : 45 milliards pour les opérations de « jouvence », une dizaine de milliards pour la mise aux nouvelles normes de sûreté, voire un peu plus. Au total 50 ou 55 milliards € pour 62 GW, de l’ordre de 800 € par kW.
C’est le rapprochement des deux études qui est inquiétant et l’usage que fait la Commission Énergie des enseignements apportés par la Cour des comptes.
Si nous comprenons bien, la Commission nous explique que pour un investissement total de moins de 2000 €/kW (1160+800 = 1960 €/kW, dont plus de la moitié sont déjà amortis) on va disposer d’un parc tout neuf, aussi inoxydable que le fameux EPR (puisque la sûreté n’y serait pas « contournée ») qui coûterait dans le pire des cas 50% de moins que ce même EPR.
Pourquoi sans priver ? Mais alors, pourquoi continuer à s’intéresser à l’EPR, si les réacteurs de la génération précédente, convenablement relookés aux normes de sûreté actuelles, font parfaitement l’affaire avec un rabais de 50 ou 60% ? Pourquoi ne pas refaire de ces réacteurs pour remplacer les anciens si par hasard ils présentaient des faiblesses dans un avenir trop proche ?
Ne serait ce pas par hasard parce qu’on serait scandaleusement « coulant » sur les normes de sûreté pour le parc ancien ? On nous a tant vanté les charmes de la double enceinte de confinement, du « cendrier » de la triple ou quadruple redondance des commandes et des capteurs, qu’on est forcément pris d’un gros doute. Et si cette « économie » était justement la mesure de ce qu’il faudrait faire pour atteindre un niveau de sûreté analogue à celui de l’EPR, dont on sait par ailleurs déjà qu’il n’est pas suffisant ?
Au moment où l’on apprend que la mise à « l’arrêt à froid » du réacteur n° 2 de Fukushima est remis en cause et que la température y remonte de façon inquiétante (3), au moment où l’ASN classe au niveau 2 une anomalie de conception sur deux tuyauteries de traitement de l’eau des piscines des unités 2 et 3 de la centrale de Cattenom (4), un niveau très rare même au niveau du parc nucléaire français, on est en droit de s’interroger sérieusement sur la stratégie proposée.
Certes, formellement, quand dans une dizaine d’années les travaux seront faits et les 55 milliards dépensés, à supposer qu’il n’y ait pas d’accident avant, l’ASN pourra théoriquement dire « non, les conditions d’une poursuite ne sont pas réunies, on ne continue pas ». Mais on voit mal comment la pauvre Autorité de Sûreté pourra résister aux pressions des politiques et des industriels qui auront engagé leur image et pas mal d’argent dans cette réhabilitation d’autant qu’il ne restera aucune solution alternative de repêchage.
Et là, il sera trop tard pour pleurer, chers concitoyens !
Benjamin Dessus
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Notes
(1) En euros constants, le coût d’investissement des centrales nucléaires françaises a systématiquement connu depuis 35 ans une augmentation constante et importante, contradictoire avec le phénomène « d’apprentissage industriel » qu’on observe par exemple pour les éoliennes et le photovoltaïque.
(2) Voir l’article récent « 573 deaths ’related to nuclear crisis’ »,The Yomiuri Shimbun, 5 février 2012.
(3) « Tepco Injects Boric Acid Into Reactor as Temperatures Rise », Tsuyoshi Inajima, Bloomberg, Feb 6, 2012.
(4) Il s’agit de la non-conformité d’une tuyauterie des piscines des réacteurs 2 et 3, à la centrale de Cattenom. Cette non-conformité, déclare l’ASN, constitue un écart par rapport au référentiel de conception. Elle constitue une dégradation des dispositions de défense en profondeur. C’est en raison de ses conséquences potentielles que l’événement a été classé au niveau 2. Cette erreur de conception avait échappé à tous les contrôles et visites décennales précédentes.
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